16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

L’Esprit frappeur palestinien

lundi 19 mai 2008 - 05h:51

Jeff Halper

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Effectivement, nous, les Juifs israéliens, avons beaucoup à célébrer. Seulement, il semble que quelque chose n’allait pas. Quelque chose d’autre était là, une chose non dite, mais troublante. Je l’appelle, l’esprit frappeur palestinien.

JPEG - 28.5 ko
Arrestation de Jeff Halper, début avril, par les autorités israéliennes, pour avoir tenté d’empêcher la démolition de la famille Hamdan à Anata, Cisjordanie, au nord-est de Jérusalem-Est.




Repenser Israël après 60 ans

Le jour de l’Indépendance israélienne 2008, qui marque le 60è anniversaire de l’accession à l’Etat juif, devrait être le motif pour une réflexion et un réexamen sérieux, de même pour de sobres célébrations. Effectivement, nous, les Juifs israéliens, avons beaucoup à célébrer. Seulement, il semble que quelque chose n’allait pas. Le gala des 60 ans d’Israël a paru excessif, et la joie exprimée par haut-parleurs, à plein volume, quelle que peu artificielle et forcée. Les célébrations ont été, c’est vrai, plus militaristes et triomphalistes que d’habitude. Evidemment, ni les Palestiniens, ni l’Occupation n’ont été autorisés à prendre place dans les récits minutieux qui ont couvert cette journée de l’Indépendance, mais les leitmotivs et expositions militaires, la présence de milliers de soldats et policiers dans chaque lieu public, ont donné le sentiment d’une inquiétude sous-jacente. Quelque chose d’autre était là, une chose non dite, mais troublante. Je l’appelle, l’esprit frappeur palestinien.

Peut-être que notre triomphalisme retentissant n’aurait pas dû en faire autant lors de ces célébrations compte tenu d’un fait inquiétant : la solution à deux Etats, que même Olmert prétend être le seul espoir pour Israël de garder un Etat juif, cette solution est en train de disparaître sous nos yeux. Quiconque connaît les blocs imposants des colonies d’Israël, la fragmentation des territoires palestiniens et leur incorporation irréversible à Israël grâce à un dédale de routes modernes réservées aux seuls Israéliens et à bien d’autres « faits accomplis », quiconque a passé une heure en Cisjordanie peut observer distinctement que tel est bien le cas. L’expansion de la matrice de contrôle d’Israël sur tous les territoires occupés, associée à la protection de l’Amérique contre toute pression internationale en faveur d’un retrait significatif, a rendu l’Etat palestinien viable, et donc une véritable solution à deux Etats, irréalisables.

Avoir transformé l’occupation en un fait politique permanent conduit à ce qu’aujourd’hui, la question de la coexistence, de la paix et de la réconciliation s’est déplacée de Cisjordanie et Gaza vers le pays tout entier, vers une Palestine/Israël indivisible. Telle est la véritable signification des 60 ans. En effet, si un Etat palestinien viable ne peut être distinct d’Israël, alors le conflit devient un conflit qui recouvre l’ensemble du pays, de la Méditerranée jusqu’au Jourdain. Notre focalisation sur 1948 [lors de ces célébrations] soulève des questions que nous aurions préféré laissées de côté, des évènements et des politiques que nous avions effacés pendant les six décennies passées.

Les Palestiniens se sont-ils vraiment sauvé, ou est-ce nous, les Juifs israéliens, qui les avons chassés ? Si près de la moitié des habitants de cette partie de la Palestine qui fut affectée aux Juifs par les Nations unies en 1947 étaient arabes, par quel moyen avons-nous pu transformer ce petit bout de territoire en un « Etat juif » ? Le sionisme alors est-il innocent de crimes de guerre, ou avons-nous en réalité conduit une campagne atroce de nettoyage ethnique jusque bien au-delà des frontières de la partition ? Dans ce contexte, l’occupation de l’ensemble du territoire de Palestine est-elle la conséquence d’un mauvais calcul de la Jordanie ou, selon un point de vue exprimé 40 ans plus tard, est-elle en réalité « l’achèvement » inévitable de 1948, comme Rabin et beaucoup d’autres avec lui l’ont déclaré ? Comment pouvons-nous concilier notre soi-disant volonté de paix avec une annexion méthodique des territoires occupés, incluant presque 250 colonies ? Peut-on vraiment s’attendre à « gagner », à entraver les aspirations des Palestiniens à la liberté dans leur patrie et pour toujours ? et si on le croit, quelle sorte de société aurons-nous donc, de quoi nos enfants vont-ils hériter ? En effet, pendant que nous nous permettons de parler au nom de la juiverie mondiale, pouvons-nous croire que notre diaspora - fondamentalement libérale et non tribale comme le judaïsme en Israël - soutiendra des crimes de guerre qui ne feraient que saper la base morale de la communauté, ses convictions et sa foi ?

Puis, vient la question la plus difficile de toutes : si c’est nous qui avons éliminé toute solution réaliste à deux Etats - la création d’un Etat-prison palestinien tronqué sur 15% de la Palestine historique, du style des bantoustans d’Afrique du Sud, ne sera jamais une solution au conflit - alors, comment allons-nous mettre fin à notre conflit vieux d’un siècle ? Comment allons-nous traiter avec une entité binationale Palestine/Israël, qui sera, pour une grande part, notre propre création ?

Pour échapper à toutes ces questions, nous avons développé un certain nombre de mécanismes, retardant éternellement une solution politique qui n’est que l’une de ces questions. Il nous suffit d’ « affirmer » simplement notre soutien à une solution à deux Etats pour être considérés comme des gens désireux de faire la paix et raisonnables. Les partisans de deux Etats veulent simplement l’ « idée » d’un Etat palestinien, un processus sans fin « vers » cet Etat, afin d’échapper à la confrontation avec la réalité que nous avons créée. Tant qu’un Etat palestinien paraît rester possible, aucune pression ne s’exerce. Ainsi, beaucoup d’Israéliens, de Juifs de la diaspora, et d’autres - dont des personnalités qui cherchent et d’autres au contraire qui sont radicales, telles Noam Chomsky et Uri Avnery, de concert avec la Paix Maintenant, Brit Tzedek, Rabbis Michael Lerner et Arthur Waskow et les membres des Rabbins pour les droits humains - beaucoup se cramponnent avec ténacité à la solution à deux Etats, tous refusant d’admettre qu’elle n’est plus viable.

Le 40è anniversaire de 1967 était relié à l’occupation. Si nous avions traité alors cette question avec sagesse et justice, Israël aurait pu aujourd’hui être un Etat juif vivant en paix avec ses voisins sur 78% de la Terre d’Israël, une vrai motif alors pour des célébrations. Cette année, cette focalisation sur les 60 ans, sur 1948, est une affaire tout à fait différente. Si nous voulons sauver une présence nationale juive en Israël/Palestine, il ne nous reste plus qu’à affronter avec courage ce que nous avons fait en 1948 et la réalité binationale que nous avons encouragée depuis 1967. Nous ne pouvons plus accuser les Palestiniens de nos dilemmes ; ils ont accepté la solution à deux Etats en 1988. Non, c’est nous, les triomphants, nous qui croyions (et qui croyons toujours) que la puissance militaire associée à notre capacité à être des victimes pourraient vaincre la volonté d’un peuple pour sa liberté, c’est nous qui portons le fardeau de la responsabilité de cette situation antisioniste, toujours absolument prévisible.

Ce n’est qu’en conciliant nos célébrations et les pertes des Palestiniens que nous pourrons finalement arriver à un accord sur la présence, « dans notre pays », d’un autre peuple, avec des revendications et des droits égaux, ouvrant la voix à une paix juste, à une réconciliation et à la garantie d’une présence nationale juive sur la Terre d’Israël - quelle qu’en soit la forme politique. Si difficile qu’il soit, un tel réexamen peut en fait nous permettre de réaliser l’aspiration initiale et ultime du sionisme : un véritable retour au foyer de la nation juive, au c ?ur de sa civilisation. Notre âme errante et l’esprit frappeur palestinien pourront finalement se reposer. « Ce » sera alors un motif pour une célébration véritable, libre.

Jeff Halper est le coordinateur du Comité israélien contre la démolition des maisons (ICAHD).
Il peut être joint à l’adresse : jeff@icahd.org

Du même auteur :

- "Stratégie d’Israël pour une occupation définitive"
- "Quelle feuille de route ?"
- "Il ne s’agit pas seulement de territoire, mais de viabilité"

15 mai 2008 - CounterPunch - traduction : JPP


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.