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Une fois de plus, les USA ont affaibli leurs alliés et renforcé leurs ennemis

jeudi 15 mai 2008 - 20h:55

Tony Karon - The National

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L’administration Bush continue de lancer ces affrontements, avec la conviction que la force finira par éliminer ses opposants et donner pleins pouvoirs à ses amis, et elle obtient, invariablement, le résultat contraire.

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Le Hezbollah n’avait nullement envisagé de prendre le pouvoir, bien sûr,
ni de prendre l’initiative d’une guerre civile.

L’un des adages répandus dans le traitement des gens guéris de l’alcoolisme en Amérique repose sur l’idée que, si on réitère le même comportement, il est insensé de s’attendre à un résultat différent. On dirait pourtant que le président George W. Bush s’est sorti de son problème personnel d’alcoolisme, dans sa jeunesse, sans avoir retenu cette leçon particulière. Les évènements de la semaine dernière au Liban donnent à penser que son administration a l’intention, jusqu’à la fin, de réitérer les stratégies qui ont échoué à Gaza, Basra et Sadr City, avec l’espoir que les résultats à Beyrouth seront, je me demande comment, différents.

Effectivement, le bras de fer engagé contre le Hezbollah et provoqué par les alliés des Américains au Liban a obtenu un résultat entièrement prévisible, avec la milice chiite soutenue par l’Iran devenue maîtresse de tout Beyrouth-ouest, fermant les stations de télévision progouvernementales et tenant prisonniers, en fait, les alliés décisifs de Washington dans leurs maisons et bureaux.

Le Hezbollah n’avait nullement envisagé de prendre le pouvoir, bien sûr, ni de prendre l’initiative d’une guerre civile. Mais, provoqué d’une façon qu’il a perçue comme une menace pour la capacité de son mouvement à résister aux agressions d’Israël, il a montré sa détermination et sa capacité à résoudre l’affrontement à ses propres conditions. C’est exactement cela qui s’est passé quand l’armée libanaise - appelée pour arbitrer la situation - a fait annuler les décrets du gouvernement à l’origine de la prise de pouvoir du Hezbollah. La toile de fond de cette dernière crise est le blocage qui dure entre le gouvernement soutenu par les Etats-Unis et, d’une part, certains pays arabes décisifs et, d’autre part, l’opposition soutenue par la Syrie et l’Iran, blocage qui porte sur la question de la distribution du pouvoir au Liban.

La stratégie de Washington au Liban, comme en Iraq et comme dans les territoires palestiniens, est de rechercher l’affrontement aux fins d’éliminer les forces politiques radicales les plus enclines à remettre en cause ses directives expresses - le Hezbollah, le mouvement de Sadr, ou le Hamas -, quelle que soit la force de l’appui populaire de ces mouvements. Si l’administration Bush les considère comme des agents sous influence iranienne ou syrienne, alors elle cherche l’affrontement.

Les combats de la semaine dernière dans les rues de Beyrouth ont commencé quand l’un des alliés de Bush, le dirigeant druze Walid Jumblatt, a lancé ses attaques verbales blessantes contre le Hezbollah et qu’il s’en est pris à son réseau de télécommunication fibre optique qui fonctionne sur tout le Liban et compte près de 100 000 lignes numérotées. Le gouvernement l’a suivi, annonçant son intention de déclarer illégal ledit réseau parce qu’il aidait le Hezbollah à maintenir un Etat dans un Etat et à transformer le Liban en « satellite de l’Iran ».

Le Hezbollah, il est vrai, est un Etat dans un Etat, mais il fait valoir qu’il a démontré, et de loin, une capacité supérieure à celle de l’Etat officiel à résister aux agressions israéliennes. Son réseau de communication s’est avéré décisif pour sa capacité à résister aux tentatives israéliennes de l’éliminer durant l’été 2006, tentatives qui ont échoué pour une grande part parce qu’elles n’avaient pas réussi à perturber le commandement et l’influence du Hezbollah.

S’agissant d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, il s’est inquiété car liquider le réseau de téléphone revenait à désarmer le mouvement face à la moindre agression future des Israéliens, et c’était le seul réseau qu’il avait. Cette réaction était tout à fait prévisible, naturellement, ce qui fait que l’action du gouvernement contre le Hezbollah est un acte provocateur prémédité.

De nombreux analystes ont estimé que cela pouvait même faire partie de préparatifs américains pour une attaque sur l’Iran, en obligeant malgré lui Téhéran à des représailles. Argumentation plausible. Toutefois, il est loin d’être évident que les USA prendront le risque d’ouvrir un nouveau et très dangereux front pour ses forces déjà soumises à rude épreuve en Iraq. (Ils pourraient néanmoins essayer d’amener l’Iran à croire à une attaque imminente, dans l’espoir de peser sur le comportement iranien en Iraq). Toutefois, que les USA projettent ou non de bombarder l’Iran, il est sûr qu’ils espèrent faire reculer l’influence iranienne dans tout le Moyen-Orient, ce qui nécessite, évidemment, d’affaiblir le Hezbollah.

A cette fin, Washington a encouragé un front offensif contre le mouvement, lequel, avec ses alliés chiites et chrétiens, peut représenter jusqu’à la moitié de la population du Liban. Par une surestimation de la force et de la popularité de leurs propres alliés et une sous-estimation de celles de leurs adversaires, les USA ont effectivement, une fois de plus, consolidé la position des forces mêmes qu’ils essayaient d’éliminer, tout en affaiblissant encore plus celle de leurs amis.

Fouad Siniora et Saad Hariri, après Mahmoud Abbas et Nouri al-Maliki

Quand le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes par une victoire écrasante en 2006, au lieu de tenir compte du message des électeurs Washington a cherché à modifier l’esprit de cet électorat. Les USA ont élaboré une stratégie de punition collective par le retrait du financement de l’Autorité palestinienne, et ils ont été furieux quand l’Arabie saoudite s’est faite le médiateur dans les négociations pour un gouvernement d’union, entre le Hamas et le Fatah. Puis, quand les sanctions économiques se sont révélées incapables de faire descendre les Palestiniens dans la rue pour mettre le Hamas dehors, les USA ont continué en armant et en entraînant les milices du Fatah pour qu’elles fassent le travail - un processus qui a abouti à une prise de contrôle préventive de toute la bande de Gaza par le Hamas. Aujourd’hui, Mahmoud Abbas est plus affaibli que jamais, pendant que le Hamas se renforce continuellement grâce aux efforts d’Israël et des USA pour l’évincer.

En Iraq, durant ces derniers mois, les USA ont incité le gouvernement Maliki à lancer une campagne militaire à Basra et à Bagdad pour éliminer la milice de ses rivaux du mouvement Sadr. Sauf que les sadristes représentent un mouvement très populaire chez les chiites pauvres du milieu urbain, et qu’il est peu vraisemblable qu’une campagne militaire puisse réduire leur attrait, particulièrement s’ils sont perçus comme faisant l’objet d’une agression. Le fait que tant de soldats du gouvernement iraquien aient refusé de combattre l’armée Mahdi montre clairement cette folie de chercher à détruire le pouvoir sadriste par des moyens militaires.

Et pourtant, l’administration Bush continue de lancer ces affrontements, avec la conviction que la force finira par éliminer ses opposants et donner pleins pouvoirs à ses amis, et elle obtient, invariablement, le résultat contraire. Le président Bush va quitter ses fonctions en laissant les Etats-Unis affaiblis sur tous les fronts au Moyen-Orient, en grande partie à cause de sa passion immodérée, pour la politique de l’affrontement.

Tony Karon est analyste et rédacteur en chef basé à New York ; son blog : Rootless Cosmopolitain. Sa fiche d’identité

Du même auteur :

- "Hypocrisie européenne" (avec Saifedean Ammous )
- "Dahlan, un Pinochet palestinien qui fait son chemin"
- "Les illusions de la diplomatie US au Moyen-Orient"

11 mai 2008 - The National - photo : AP/P. Karadjias - traduction : JPP


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