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Le figuier

jeudi 1er mai 2008 - 07h:19

Iris Keltz - CounterPunch

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Les parcs de loisirs du FNJ en Israël

« Sur la page d’accueil de son site Internet officiel, le FNJ se vante d’avoir fait fleurir le désert et européanisé un paysage historiquement arabe. Il souligne fièrement que ces forêts et ces parcs ont été créés sur "des zones arides, désertiques"...

« Ce que le site ne dit pas au visiteur, c’est que le FNJ est aussi le principal organisme chargé d’empêcher toute commémoration - sans parler de "visites de retour" - dans ces forêts de la part des réfugiés palestiniens dont les maisons personnelles sont ensevelies sous ces arbres et ces bases de loisirs. »

« Le Nettoyage ethnique de la Palestine » - Ilan Pappe - Fayard - p. 294 (Le mémoricide de la Nakba)


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Une entrée de la Vieille Ville de Jérusalem,
la porte de Jaffa (porte occidentale).




Souvenirs de Jérusalem-Est

En 1967, par un caprice du sort, je me suis trouvée intégrée et accueillie par les liens du mariage dans une famille arabe vivant à Jérusalem-Est, deux semaines après mon arrivée. Quarante années plus tard, je revis la guerre avec un regard sur les lignes de front jeté depuis la sécurité de mon fauteuil. J’ai dévoré des livres d’histoire, lu des comptes rendus de particuliers, discuté avec des témoins oculaires pour essayer de comprendre les forces tectoniques - politiques et militaires - qui façonnaient le monde pendant que Faisal et moi tombions amoureux, nous unissions et rêvions à notre avenir, tout en nous cachant dans un appartement en sous-sol à Ramallah.

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L’armée israélienne devant Jérusalem en 1967.

Mon drame personnel s’est produit avec, comme toile de fond, une guerre catastrophique. Le matin du sixième jour de guerre, une voix stridente, colèreuse, annonçait en arabe à la radio que Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza, le Golan et la péninsule du Sinaï étaient désormais sous contrôle militaire des Israéliens. En moins d’une semaine, Israël était devenu trois fois plus vaste qu’il ne l’était à l’armistice de 1948. Pour les Arabes, c’était une défaite écrasante et les un million trois cent mille Palestiniens qui vivaient dans ces territoires devenaient la responsabilité et le problème d’Israël.

Je vivais à Jérusalem-Est quand la Vieille Ville et la ville moderne commençaient à fusionner après 19 ans de séparation. La fluidité de cette situation s’affermirait dans une nouvelle réalité mais pendant un moment, immédiatement après la guerre, un curieux flirt pour « rencontrer l’autre » s’est mêlé à une forte dose d’appréhension. La communauté palestinienne autour de moi vivait comme dans les limbes, rongée par l’angoisse. La crainte des soldats israéliens s’était ancrée dans les souvenirs depuis 1948, quand des centaines de milliers de Palestiniens ont été expulsés de leurs villes et villages pour que se crée l’Etat d’Israël. Presque 20 ans plus tard, leur monde s’effondrait encore davantage. La famille qui me traitait comme sa fille et me donnait nourriture et abri se cramponnait à son précieux passeport jordanien, mais elle ne savait plus vraiment quel pays était le sien. Le dinar jordanien était toujours accepté sur le marché. Aucun parmi nous ne possédait de shekels. Les gens espéraient pouvoir rester dans leurs maisons, ils étaient impatients de rouvrir leurs commerces et garder leurs emplois. Ceux qui travaillaient pour le gouvernement jordanien avaient perdu définitivement leur travail, beaucoup sont devenus des réfugiés économiques, tel le frère de Faisal qui a fini par aller au Koweït.

La mère de Faisal était infirmière/sage-femme et son père tenait un petit café dans une rue sombre de la Vieille Ville. La famille, originaire d’Al-Arish, en Egypte, au sud de Gaza, avait immigré il y a des générations dans la région d’Hébron où elle possédait une grande surface de terres dans le village palestinien d’Al-Samu. J’essayais d’imaginer ma propre famille virée des Queens (une des cinq circonscriptions de la ville de New York) par une armée en marche revendiquant les Queens comme leur patrie ancestrale et nous obligeant à nous réinstaller dans le New Jersey, pour être à nouveau déplacés 19 ans plus tard. Je ne pouvais pas imaginer de telles pérégrinations traumatisantes. En surface, les membres de la famille semblaient accepter leur sort avec sérénité mais peut-être étaient-ils trop choqués pour pleurer et hurler sur ce qui arrivait, une fois encore, à leur famille et leur communauté.

Après la guerre, Faisal et moi avons été parmi les premiers à nous rendre à la porte occidentale qui avait été fermée pendant 19 ans, et à pénétrer dans un secteur formellement interdit qui avait séparé l’est et l’ouest de Jérusalem. Pendant 19 ans, la porte Mandelbaum, un check-point des Nations unies, avait été le seul passage sûr entre Jérusalem-Est, la Jordanie, et Jérusalem-Ouest, Israël. Quand les Britanniques ont évacué en 1948, les combats entre Palestiniens et Juifs faisaient rage mais les Juifs ont été incapables de conquérir la Vieille Ville. Moshe Dayan, qui commandait les forces israéliennes, et son homologue jordanien ont déplacé de deux miles la ligne d’armistice existant depuis 19 ans et la bande de territoire entre les deux est devenue un no man’s land.

Construite par Soliman le Magnifique, la porte occidentale était connue sous le nom de Bab el-Khalil pour les Palestiniens et porte de Jaffa pour les Israéliens. Durant les années 1800, elle était le principal passage entre les anciennes et nouvelles cités de l’est et de l’ouest de Jérusalem. Faisal et moi sommes passés par la porte occidentale comme l’ont fait autrefois le kaiser allemand Wilhelm et le général britannique Allenby, mais nous n’étions pas des dignitaires en visite. Nous étions à la recherche de la maison de pierres de son grand-père.

Sans l’intrusion de la population ou de la circulation, la végétation se serait développée au milieu des barbelés, des rochers sur les flancs des collines, des déchets et des maisons abandonnées. Des oliviers, figuiers, non entretenus, parmi d’autres arbres, avaient mûri en prenant des formes originales. Des buissons de lauriers-roses, qui avaient besoin d’un peu d’eau, avaient proliféré au milieu des rosiers sauvages et des chardons bénits. D’autres personnes s’éparpillaient à travers le site, à côté de nous, elles aussi à la recherche de leur passé. Des agriculteurs arabes ont installé des stands improvisés pour vendre leurs dernières récoltes de pastèques. Le no man’s land avait été parsemé de mines terrestres, nous ne nous rendions pas compte de tout le danger. Peut-être que les soldats israéliens qui surveillaient ce que nous faisions avaient déjà nettoyé le secteur.

Après les souvenirs d’enfance des 6 premières années de sa vie, Faisal retrouvait la maison en pierre de son grand-père, intacte, personne n’y avait touché. Le toit en terrasse du bâtiment avait résisté à l’épreuve du temps dans l’ombre d’un figuier qui donnait ses fruits. Seules, des vitres de fenêtres étaient brisées ou manquaient, témoignant que la maison avait été inoccupée. Des roses trémières qui avaient résisté et des iris sauvages bordaient un chemin qui conduisait à une porte non verrouillée. Etendant le bras vers des branches toutes proches, nous avons cueilli des figues mûres. Ce fut comme si la maison et l’arbre n’avaient attendu que ce moment. De goûter ces fruits sucrés a permis à Faisal de débloquer tous ses souvenirs d’enfance sur son grand-père, le sheik Mahmoud, visionnaire réputé, écrivain, mystique et universitaire de son époque.

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L’un des nombreux massacres sionistes :
Deir Yassin, le 9 avril 1948.

Dans le ciel, le soleil tapait fort, mais à l’intérieur la maison était fraîche. Eparpillés sur le sol, il y avait des carnets déchirés et des pages jaunies, remplis de gribouillages en arabe, maculés d’excréments d’animaux, c’était ce qui restait dans les pièces vides. Etalé sur le sol, un sac de tissu rouge passé avec, à l’intérieur, un vieux Coran manuscrit. Le grand-père de Faisal avait abandonné sa maison contre son gré et il avait crû qu’il y reviendrait le lendemain ou sous peu. Sinon, il aurait emmené son Coran, sa correspondance personnelle et ses revues comme l’a fait Faisal lors d’une guerre inattendue. Le grand-père avait laissé sa maison, comme des centaines de milliers d’autre Palestiniens, lors de la guerre juive d’Indépendance, que l’on connaît dans l’histoire palestinienne sous le nom d’al-Nakba, « la catastrophe ». Certains ont fui, terrorisés devant les rumeurs de massacres, comme celui du 9 avril 1948 à Deir Yassin, un village palestinien en limite de Jérusalem où des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés.

Faisal faisait le tri parmi les papiers pendant que moi, adossée au mur épais, je rêvais qu’on servait des banquets à des amis reposant confortablement sur des oreillers épars sur les tapis finement tissés. « Ahalein wesahalein », je disais à nos invités tout l’honneur de les recevoir dans notre maison. Nous leur racontions comment nous avions retrouvé la maison du grand-père dans le « no man’s land », près de vingt années après qu’elle fut abandonnée. Puis la voix de Faisal m’a sorti de ma rêverie.

« Erees [Iris], il y a des lettres manuscrites du roi Farouk, le roi d’Egypte, qui remercient mon grand-père pour l’interprétation de ses rêves et ses conseils personnels, et une lettre aussi de Muhammad Ali Jinnah (*). » A l’époque, je n’avais aucune idée de qui était cet homme. Depuis, j’ai découvert que Jinnah, avocat de profession, avait ouvert la voie au rêve d’un Etat démocratique laïc musulman construit en Inde, sous le règne britannique, et qu’on le connaissait comme le père du Pakistan moderne. J’aurais aimé pouvoir demandé au grand-père de Faisal quel conseil il aurait donné à Jinnah et ce qu’il aurait pensé d’un Etat créé aujourd’hui sur un autre Etat au profit d’un groupe religieux déterminé ?

L’après-midi a passé rapidement et avant qu’on s’en rende compte, le soleil était bas à l’ouest du ciel. Ramassant les journaux déchirés, la correspondance et le vieux Coran comme une récolte miraculeuse, nous nous sommes empressés de rentrer à la maison par le no man’s land, de passer la porte occidentale vers la Vieille Ville, heureux de partager chaque détail de nos découvertes avec Ampty, Ibrahim, Samira et Marwan. Le lendemain, nous sommes partis tous ensemble voir la maison de pierres. Cette fois, nous avions prévu un pique-nique avec hummus, fromage, olives, pain pita et des figues, fraîches cueillies pour le dessert. Mais nous arrivions trop tard !

Une armée de bulldozers avaient rasé le secteur, pour en faire un parc, nous dit-on. Plus de trace de la maison. Nous avons cherché en vain le figuier. Parti lui aussi ! Nous avons tourné en rond, désorientés, n’arrivant pas à croire ce qui arrivait. Tout le quartier avait été rasé. Aucun repère ne restait auquel se raccrocher. Des décombres de pierres et de béton étaient mélangés à des restes d’arbres et arbustes, à des ordures, créant une mini tempête de poussière. La poussière s’est mêlée à nos larmes qui roulaient sur nos joues, tels des ruisselets de chagrin, alors que notre triste cortège reprenait la route vers le no man’s land, passant la porte occidentale vers la Vieille Ville, nos figures tachées de boue séchée.

Ce fut une douleur insupportable. L’espoir, cette denrée rare dans cette partie du monde, avait été vite étouffé. Combien de fois, avais-je sillonné mon quartier dans Queens avec mes deux frères, collectant des fonds pour planter des arbres en Israël, voulant aider à faire fleurir le désert. Il m’a fallu des années pour comprendre pourquoi Israël ne pouvait même pas épargner un figuier qui donnait des fruits. Israël veut effacer une histoire qui le dérange.


Iris Keltz écrit et enseigne, elle vit dans le Nouveau Mexique depuis la fin des années 60. Elle est l’auteur de Scrapbook of a Taos Hippie (Cinco Puntos Press, 2000). Tout en voyageant dans tout le Moyen-Orient, vivant dans un kibboutz en Israël, Iris a rencontré une famille palestinienne de Jérusalem-Est et a vécu la guerre de 1967 avec elle. Depuis lors, elle est rentrée 4 fois pour témoigner des changements qui se sont opérés entre la vie en Cisjordanie sous le contrôle jordanien et la vie sous occupation israélienne. Ce récit est extrait du livre auquel elle travaille actuellement sur ce qu’elle a vécu pendant et après la guerre. Elle peut être contactée à l’adresse : irisk13@earthlink.net.

*) - Muhammad Ali Jinnah (25 décembre 1876 - 11 septembre 1948) était un homme politique indien musulman. Leader le la Ligue musulmane, il est le fondateur et le premier gouverneur de l’État du Pakistan, créé lors de la Partition des Indes en 1947 et destiné à rassembler tous les musulmans indiens dans un seul État. (Wikipédia)

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Comment Israël confisque Jérusalem-Est
(P. Rekacewicz et D. Vidal - février 2007- Le Monde diplomatique)
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28 avril 2008 - CounterPunch - traduction : JPP


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