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Les ruines de Suhmata

vendredi 11 avril 2008 - 07h:00

Isabelle Humphries - The Electronic Intifada

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La famille Semaan vient de Suhmata, un village du nord de la Galilée attaqué en octobre 1948 par un avion de la Haganah

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Le village de Suhmata avant sa destruction en 1950 par la milice sioniste * (photographe inconnu)

Contrairement à la majorité des réfugiés palestiniens dispersés dans le Moyen-Orient et au-delà, Wagih Semaan peut nous conduire à quelques kilomètres de sa maison, traverser un fossé et une clôture et s’asseoir au milieu des ruines du village dont il a été chassé à l’âge de 11 ans. Cependant, malgré sa "citoyenneté" israélienne, il n’est pas plus en mesure de retourner vivre sur sa terre que les Palestiniens du camp d’ Ein al-Hilwe de l’autre côté de la frontière libanaise.

Wagih compte parmi les 250000 (au moins) réfugiés palestiniens, qui sont déplacées à l’intérieur - ils ont réussi à rester dans leur patrie, mais se voient refuser l’accès à leurs terres et leurs foyers. Comme le reste du million de Palestiniens qui vivent en Israël, les personnes "déplacées à l’intérieur" vivent avec des passeports israéliens mais sont néanmoins traités comme des citoyens de deuxième classe dans tous les secteurs.

Alors que les brutalités infligées aux habitants de la Cisjordanie et de Gaza démontrent clairement que la vie des Palestiniens, ne vaut pas cher pour l’Etat d’Israël, le statut de deuxième classe des Palestiniens vivant dans l’État juif montre la nature d’apartheid inhérente à un état qui se définit comme Juif.

L’apartheid israélien ne pourrait cesser même dans le scénario (très improbable) où Israël se retirerait totalement jusqu’aux frontières de 1967. Le cas des personnes déplacées à l’intérieur et à la confiscation des terres de Palestiniens légalement définis par Israël comme "citoyens" - à la fois en 1948 et toujours depuis cette date -, sapent à la base les affirmations d’Israël qui prétend fonctionner comme une démocratie pour ses citoyens palestiniens

La famille Semaan vient de Suhmata, un village du nord de la Galilée attaqué en octobre 1948 par un avion de la Haganah [la milice du pré-état Sioniste qui devint plus tard l’armée israélienne]. A ce moment là, les habitants de Suhmata, un millier au moins, ainsi que plusieurs centaines de réfugiés enfuis des autres villages déjà occupés, cherchaient refuge dans les maisons et les champs d’oliviers. Alors que les villageois fuyaient l’assaut dans la terreur, 16 ont été tués. Wagih explique : "ils ont tiré une balle dans la tête d’un jeune homme devant son père, ils ont aussi laissé le corps d’une femme à manger aux chiens."

Certains ont vraiment essayé de rester, en vain. "Mon père ne voulait pas partir - il s’est caché sous les arbres. Une fois, il venait juste de changer de place et l’arbre sous lequel il était abrité a été visé depuis les airs. Il a eu de la chance de rester en vie", dit Wagih. Le village était entouré de tous les côtés, sauf dans la direction du nord, vers le Liban. Le message était clair - il n’y a pas de place pour les Palestiniens dans le nouvel Etat. Quatre-vingt-trois pour cent des habitants de Suhmatans se sont réfugiés au Liban et en Syrie, l’un étant un fils célèbre du village, Abu Maher al-Yamanil, adjoint du regretté chef de la résistance, Georges Habache.

Sept pour cent, cependant, ont réussi à se réfugier chez des parents dans les quelques rares villages palestiniens qui n’ont pas été détruits par l’occupation israélienne, devenant finalement citoyens dans le nouvel État juif. Mais rester dans leur pays d’origine n’était pas une option facile. En s’approchant avec précaution du village, à travers les champs, durant les premiers mois les habitants de Suhmata ont vu certaines de leurs maisons dynamitées. Le frère le plus agé de Semaan a pu ainsi voir que leur maison avait été dynamitée. "Il ne pouvait simplement pas se résoudre à le dire à notre mère," se rappelle un des frères de Semaan. D’autres maisons ont été rapidement occupés par un groupe de Juifs roumains qui attendaient que leur propre colonie soit construite sur les terres du village. En quelques années, le village a été détruit- les colons juifs ont emménagé dans les nouveaux bâtiments - et Israël a considéré que cela briserait les espoirs de retour des réfugiés. "Ils ont même pris les pierres de nos maisons pour bâtir la nouvelle colonie", précise Wagih.

De 1948 à 1966 tous les Palestiniens demeurant en Israël, et pas seulement les réfugiés, ont été soumis à la loi militaire, semblable à celle imposée sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, occupée par Israël en 1967. *** La règle militaire a apporté couvre-feu, restrictions à la circulation et à l’emploi, et des peines sévères pour toute activité politique. A cette même époque, le combat était simplement de manger et de vivre, de rester en vie. La famille de Semaan vivait à 13 dans une seule pièce, dans le village de Fassuta ; ainsi que l’explique Wagih, « couché l’un à côté de l’autre, nous ne pouvions pas bouger." Comme tout homme jeune, Wagih a été poursuivi par la police pour des activités politiques avec le Parti Communiste, mais beaucoup de gens étaient trop effrayés pour tenter même de parler.

Bien que le temps du régime militaire pour les Palestiniens vivant en Israël soit terminé, un système de surveillance et de contrôle politique de cette minorité, plus sophistiqué, reste en place. De nombreux Palestiniens en Israël, restent aujourd’hui encore très inquiets vis à vis de l’activité politique, pleinement conscient de ses conséquences pour eux-mêmes et leurs familles, mais un nombre croissant est prêt à s’exprimer. Pour attirer l’attention sur la situation persistante d’injustice depuis six décennies, depuis la Nakba - catastrophe, nom donné à la période 1947-1949 - le Comité Suhmata en Galilée a lancé une nouvelle pétition pour protester contre l’expansion des colonies sur leurs terres.

Les comités individuels de village et, plus tard, une organisation-cadre globale pour promouvoir le droit au retour pour les personnes déplacées à l’intérieur, ont été formés dans le sillage de la Conférence de Madrid de 1991, lorsque les Palestiniens d’Israël se sont rendus compte que leur statut n’était pas représenté à la table de négociation. Ayant précédemment comptés sur les mouvements internationaux en faveur de la libération de la Palestine, de nombreux militants politiques palestiniens en Israël ont décidés de prendre le contrôle de leur propre lutte, de se battre pour être considérés comme une partie intégrante du peuple palestinien et non pas comme une préoccupation « interne » des israéliens.

Le comité de Suhmata soutient la conscience du village parmi les habitants qui subsistent, par la mise à jour régulière d’un site web (www.suhmata.com ), en organisant des visites et des circuits sur le site du village et en s’efforçant de protéger les vestiges, en particulier en ce qui concerne les lieux saints. Au cours de la dernière décennie, des villageois ont organisé des manifestations au village - aujourd’hui pacage pour le bétail des colons - le jour de commémoration de la Nakba, de la « Journée des terres » et d’autres événements nationaux palestiniens, des camps d’été pour enfants, des travaux de rénovation dans les cimetières. Le village dispose de son proper terrain jeu, aménagé dans les ruines (comme c’est le cas dans d’autres endroits de la planète).

La pétition actuelle exige un arrêt des projets israéliens annoncés en janvier 2008 pour la construction d’environ 3500 nouveaux logements sur des terrains lotis à Suhmata afin d’élargir la ville juive de Maalot. Maalot a été fondée en 1957 dans le cadre des tentatives israéliennes visant à judaïser la Galilée qui possède encore une importante population palestinienne. Déjà la ville submerge et confisque les terres des villages palestiniens de Tarshiha et Mi’lia qui subsistent encore.

Les villageois n’ont aucune illusion sur le fait qu’une pétition pourrait transformer l’orientation de la politique israélienne, mais la voit comme partie intégrante d’un combat plus large afin de faire connaître les droits de tous les Palestiniens au retour et les tentatives continues d’Israël pour établir les « faits sur le terrain » et dicter leurs propres conditions de tout règlement futur - un règlement qui ne rendrait pas justice aux réfugiés.

Pourquoi cette terre est-elle ouverte à l’immigrant russe tandis qu’elle nous est interdite ?" demande Wagih.

« Assez - stoppez ce projet - il s’agit de terres palestiniennes. Nous en appelons à la conscience de tous les gens de bien, ici et à l’extérieur. Ils parlent de paix, mais il n’y aura pas de paix sans une solution au problème du retour ; tant qu’ils continuent à bâtir à nos dépens. "

Notes du rédacteur

* Légende interprétée initialement de manière erronée dans le sens où la photographie aurait été prise en 1950.
** Phrase interprétée initialement de manière erronée, « Alors que les villageois fuyaient l’assaut dans la terreur, 16 ont été tués. Wagih explique : "ils ont tiré une balle dans la tête d’un jeune homme devant son père, et laissé son corps à manger aux les chiens." »
*** Le texte initial déclarait que la loi militaire a été imposé de 1948 à 1967. The Electronic Intifada regrette ces erreurs.

* Isabelle Humphries a travaillé pendant plusieurs années avec des organisations non gouvernementales palestiniennes en Galilée, et achève une thèse de doctorat sur les Palestiniens déplacés à l’intérieur. Elle peut être contactée au isabellebh2004@yahoo DOT co DOT uk.

30 mars 2008 - The electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Brigitte Cope


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