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Merkel devant la Knesset : l’Allemagne a trouvé son nouveau bouc émissaire

dimanche 23 mars 2008 - 07h:17

Raymond Deane - The Electronic Intifada

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Les propos d’Angela Merkel devant la Knesset soulignent l’absence complète de mention des centaines de milliers de Palestiniens qui vivent dans la crainte et la terreur quotidiennes des incursions israéliennes, des démolitions de maisons, des assassinats, des attaques aériennes, des arrestations arbitraires, des emprisonnements et des tortures.

Le discours historique de la chancelière allemande Angela Merkel à la Knesset israélienne le 18 mars 2008 a été presque universellement applaudi, et présenté par Charlotte Knobloch, présidente du Conseil Central des juifs allemands, comme « ayant ouvert un nouveau chapitre dans les rapports entre Israël et l’Allemagne. »

Etant donné l’énorme influence de l’Allemagne dans l’Union Européenne, il est impératif de passer les propos de Merkel à la critique et de remettre en cause les affirmations implicites contenues dans le discours lui-même et dans ses échos dans la presse allemande.

Après avoir exprimé la « honte » des Allemands pour l’holocauste, elle poursuit en précisant : « tandis que nous parlons ici, des milliers de personnes vivent dans la crainte et la terreur des attaques de fusées du Hamas, et du terrorisme. » Ce choix de termes maladroits semble souligner l’absence complète d’attention aux centaines de milliers de Palestiniens qui vivent dans la crainte et la terreur quotidiennes des incursions israéliennes, des démolitions de maisons, des assassinats, des attaques aériennes, des arrestations arbitraires, des emprisonnements et des tortures.

Elle mentionne cependant les Palestiniens, mais sans aucune équité : « Les attaques terroristes ... n’apportent aucune solution au conflit qui assombrit la région et les vies quotidiennes des gens en Israël et des gens qui vivent dans les zones autonomes palestiniennes. »

Ainsi ce n’est donc pas la colonisation par Israël, la construction du Mur, et le militarisme violent qui assombrissent les vies des Palestiniens, mais les actions du Hamas.

Notez que ces Palestiniens ne vivent pas dans les territoires « occupés » ou même « contestés », mais dans des « zones autonomes » (autonomiegebieten), ce qui parait beaucoup plus innofensif. Ce terme, qui était d’utilisation générale au débuts du processus d’Oslo est maintenant uniquement employé par les Allemands car il permet de cacher le fait dérangeant que les Palestiniens vivent sous une occupation cruelle soutenue par l’Union Européenne.

« L’Allemagne soutient fermement la vision de deux états vivant en paix et dans des frontières sûres, pour les juifs en Israël et les Palestiniens en Palestine, » a encore indiqué Merkel. De façon tout à fait regrettable elle ne manque jamais une occasion d’utiliser des clichés, et sa propension à avoir des « visions » rappelle péniblement celle du président américain actuel. Ses propos semblent reprendre à son compte un nationalisme ethnique et peut-être même le nettoyage ethnique, puisqu’ils impliquent que les citoyens palestiniens vivant en Israël devraient élire domicile dans l’hypothétique « état palestinien. »

En conclusion, s’émerveillant des fantastiques rapports entre l’Allemagne et Israël, et spéculant sur le futur du Moyen-Orient, Merkel a cité David Ben-Gurion, le premier des premiers ministres israéliens : « Celui qui ne croit pas aux miracles n’est pas réaliste. »

On se demande si Merkel s’est rendue compte qu’il n’y avait rien innocent à reprendre ici les termes de Ben-Gurion. Celui-ci faisait écho à Chaim Weizmann, le premier président d’Israël, pour qui le nettoyage ethnique des Palestiniens était « un miraculeux nettoyage de la terre, une miraculeuse simplification de la tâche d’Israël. »

Alors qu’un miracle est une force majeure, indépendante de la volonté humaine, « l’exode » des Palestiniens était le résultat d’une campagne militaire délibérée. La croyance de Ben-Gurion dans les miracles est allée jusqu’à la certitude justifiée qu’Israël pourrait à plusieurs reprises mener de semblables actions tout en faisant porter la critique sur Dieu, tant qu’Israêl bénéficiera de puissants soutiens du type de celui que l’Allemagne est fière de lui prodiguer avec servilité.

Le discours de la chancelière Merkel, en bref, est un condensé de banalités, de mensonges, d’omissions, de menaces, et de flagornerie dépourvue de sens. Pourtant cela lui a rapporté une ovation debout à la Knesset, et les jugements portés en Allemagne ont été presque enthousiastes. Pour exemple, Thorsten Schmitz dans le respecté Sueddeutsche Zeitung : « Israël n’existerait pas sans les Allemands. L’état des juifs est la réponse à l’holocauste... Chaque nouvelle année de l’existence d’Israël ... représente métaphoriquement une victoire sur Hitler... Angela Merkel n’a pas souhaité prendre simplement sa place dans la rangée des sympathisants [à l’occasion du soixantième anniversaire d’Israël], mais a voulu en prendre la tête. »

De nouveau, nous trouvons le mélange empoisonné des demi-vérités historiques — le mouvement pour la création d’un état juif en Palestine est né des décennies avant l’holocauste, bien que ce dernier aient assurément accéléré le processus — avec un silence pesant sur les crimes qu’impliquaient la création de cet état, sa survie et son expansion sans limites.

Le discours de Merkel a naturellement une grande vertu, selon le point de vue allemand : il était à la fois si obséquieux et si dépourvu de critique envers Israël que cette réception tellement enthousiaste à la Knesset peut maintenant faire en sorte que les Allemands — ou du moins les politiciens allemands et leurs faire-valoir dans les médias — peuvent se sentir bien avec eux-mêmes, comme un enfant qui aurait été simplement débarassé de ses péchés par un prêtre amical bien que sévère, et aurait été ainsi dispensé d’une punition excessivement douloureuse.

Mais justement un prix pour les crimes de l’Allemagne est en train d’être payée, et c’est par les Palestiniens dont la situation si pénible laisse Merkel si indifférente. Il y a un nom pour quelqu’un qui doit prendre à son compte les péchés de quelqu’un d’autre : c’est un bouc émissaire. Et s’il y a un pays européen qui a un sombre passé en ayant pris pour bouc émissaire un peuple sémitique pour lui faire endosser ses propres fautes : c’est bien l’Allemagne.

Pour cette raison, ceux qui imaginent que la politique allemande envers Israël est une sorte de rachat se trompent sérieusement. En faisant porter ses propres responsabilités sur les victimes de ses anciennes victimes, l’Allemagne évacue ses crimes passés.

Si l’holocauste a imposé une obligation historique à l’Allemagne, c’est dans une large mesure envers le peuple juif. Mais l’Allemagne a fait le choix d’interpréter cet obligation comme une nécessité de soutenir sans conditions l’état d’Israël, un état qui n’existait pas au moment de l’holocauste, ce qui implicitement ou explicitement revient à soutenir la prétention de cet état à représenter les juifs partout où ils se trouvent.

L’Allemagne coupe de ce fait l’herbe sous le pied de tous les juifs dans le monde — y compris en Israël — qui se dissocient courageusement des crimes de l’état hébreu. Alors que c’est ce genre de personnes qui disposent de la plus forte possibilité d’influer de façon positive sur la politique israélienne, l’Allemagne agit comme un obstacle à ce nécessaire changement à l’intérieur d’Israël.

L’Allemagne n’aura pas réglé ses comptes avec son passé tant qu’elle n’aura pas abandonné son besoin de boucs émissaires et tant qu’elle n’en finira pas avec son soutien inconditionnel à l’état voyou [« rogue state »] israélien. Un tel appui nécessite une collaboration sans conditions à la dépossession et au politicide du peuple palestinien, une position difficilement compatible avec le désir affiché par l’Allemagne de tourner la page.

En retour, comme les Palestiniens sont un peuple fier et têtu qui « ne se laissera pas emmener sans résistance dans ce cauchemar » d’annihilation nationale et culturelle, la violence et le carnage se poursuivront de tous les côtés (je n’écris pas « des deux côtés », car la guerre contre le peuple palestinien a des ramifications au delà d’Israël et de la Palestine).

Les politiciens israéliens et les journalistes allemands qui portent aux nues Angela Merkel célèbrent sans en avoir conscience un ennemi de la paix et de la justice et retardent l’instauration d’une paix juste au Moyen-Orient.

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Raymond Deane - Photo : E. Langan

* Raymond Deane, irlandais, est auteur-compositeur et militant. Ilest co-fondateur de l’organisation Ireland Palestine Solidarity Campaign, Il vit actuellement une partie de l’année dans le sud de l’Allemagne.

Du même auteur :

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20 mars 2008 - The Electronic intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
[Traduction : APR - Info-palestine.net]


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