16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

La porte-parole « soviétique » du Quai d’Orsay

samedi 8 mars 2008 - 06h:12

Mohamed Salmawy - Al Ahram/hebdo

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


La porte-parole du Quai d’Orsay a dénoncé la position des syndicats et des unions égyptiens et arabes ayant protesté contre le choix d’Israël comme invité d’honneur au Salon du livre de Paris dans son édition de 2008.

L’argument avancé était que cette protestation émane d’organismes privés et non pas des gouvernements.

En réalité, le monde avait totalement oublié ce genre de logique totalitaire qui prévalait au milieu du siècle dernier et qui considérait que n’importe quel acte pour qu’il soit crédible doit émaner du gouvernement. Suivant cette logique, la Pravda est le journal agréé, les déclarations affichées doivent être celles des officiels, et l’identité reconnue est l’appartenance au Parti communiste au pouvoir. Tout ce qui est en dehors de ce cercle est insignifiant, puisqu’il émane d’organismes privés, c’est-à-dire du peuple et non pas du gouvernement.

C’est la première fois que le gouvernement français adopte cette position qui est bel et bien dépassée par le temps depuis la chute bruyante du Mur de Berlin, à l’égard de laquelle Pascale Andréani a, semble-t-il, fait la sourde oreille. Exprime-t-elle de cette manière une nouvelle politique des Affaires étrangères françaises sous Sarkozy ? Ou bien est-ce là une entorse sans précédent faite à la tradition française et démocratique consistant à respecter la société civile et l’opinion publique et ne voulant traiter qu’avec les positions gouvernementales exclusivement ?

La porte-parole a oublié ou a fermé les yeux sur le fait que le Salon du livre de Paris n’est pas uniquement une rencontre des gouvernements, mais qu’il est un forum culturel concernant les écrivains, les auteurs et les éditeurs, et ensuite le public qui le fréquente. Et lorsque les écrivains, les auteurs et les éditeurs en Egypte et dans le monde arabe prennent une position vis-à-vis de ce Salon, cela sous-tend qu’ils sont les parties concernées et que les gouvernements n’y sont pour rien. Leur position vis-à-vis de cet hommage n’acquiert pas la même valeur que celle des parties concernées par le Salon et qui sont au nombre de 25 syndicats et unions locales égyptiennes et régionales arabes ayant protesté contre cette décision. Elles ont exprimé l’avis d’un large secteur de l’opinion publique, écrivains, éditeurs, voire même activistes des droits de l’homme et ceux concernés par ces droits. Sans oublier les enseignants, les médecins, les pharmaciens, les étudiants et les représentants des organisations de la solidarité afro-asiatique. Mais la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères ne reconnaît pas tout cela et fait fi de l’opinion publique, prenant en considération uniquement les positions des gouvernements qui n’assisteront pas au Salon ni ne prendront part à ses activités.

La société civile dans le monde arabe gagne en force chaque jour et certains pays occidentaux affirment leur intérêt croissant pour encourager les activités civiles. Ces mêmes pays appellent le gouvernement à encourager sans cesse ces organisations non gouvernementales, politiques soient-elles, culturelles ou sociales en leur procurant une plus grande marge de liberté. Mais, il semble que la France a une autre opinion, qui ne reconnaît que les gouvernements et les décisions qu’ils prennent et non pas les positions de la société civile.

Je saisis cette occasion pour dire à Mme Andréani, la porte-parole soviétique du Quai d’Orsay, que l’opinion publique en Egypte est solide et qu’elle a choisi de prendre en main la situation et de s’exprimer à travers les cadres légitimes que lui procurent les formations syndicales élues. Ce au lieu d’attaquer les ambassades et d’incendier les voitures qui stationnent devant. Comme il s’est passé pendant l’effervescence qui a eu lieu au temps des caricatures diffamant le prophète au Danemark.

L’opinion arabe cultivée a choisi d’entrer en contact avec le Quai d’Orsay, car il apporte son soutien officiel au Salon du livre, dans une langue qu’il peut comprendre, et ce en présentant ce qu’on appelle en terminologie diplomatique une « note de protestation ». Dans cette note, nous avons protesté officiellement contre l’hommage rendu à Israël qui a violé et qui continue de violer quotidiennement les principes culturels et humanitaires sur lesquels ont reposé les civilisations du monde et que ce Salon était supposé mettre en valeur. Nous avons également mis l’accent dans cette note sur le registre d’Israël dans le domaine des droits de l’homme et ses violations systématiques de toutes les lois internationales dans les territoires occupés, dans les domaines politique, culturel et humanitaire.

Les signataires de cette note de protestation ont effectué une marche, le dimanche 24 février, au siège de l’ambassade de France à Guiza. L’ambassadeur français, pour sa part, a accueilli les présidents des syndicats et des unions, signataires de cette note, et leur a promis de la remettre au Quai d’Orsay. Cette mesure collective sans précédent aurait été favorablement accueillie par la porte-parole et elle l’aurait trouvée de grande portée, difficile à ignorer, d’autant qu’elle n’émanait pas de gouvernements, mais de l’opinion arabe avec tous ses secteurs, si les signataires avaient demandé le contraire. C’est-à-dire s’ils avaient appelé dans leur note à une normalisation culturelle avec Israël et accueilli favorablement cet hommage rendu par le Salon du livre de Paris, faisant fi de la souffrance palestinienne au niveau des droits de l’homme et de tous les droits culturels, sociaux, politiques, voire même humanitaires.

Même si la porte-parole soviétique n’avait pas compris la portée de notre protestation et même si elle n’avait pas trouvé de meilleure façon de traiter avec la protestation arabe, toute conscience humaine a interagi avec cette mesure. Les voix protestataires se sont élevées même à l’intérieur d’Israël. Le poète Aharon Shabtaï, de son côté, a déclaré littéralement il y a quelques jours qu’il ne pensait pas qu’un Etat qui maintient l’occupation commettant quotidiennement des crimes contre les civils mérite d’être invité aux forums culturels. Certains écrivains européens ont écrit protestant contre la décision de rendre hommage à Israël dans le Salon du livre de Paris. La presse mondiale incarnée dans Le Monde, le New York Times, La Repubblica en ont parlé. Et les réactions continuent, à un moment où la porte-parole soviétique du Quai d’Orsay reste dans l’attente d’une décision officielle émanant des gouvernements non concernés par la question.

Du même auteur :

- "Faut-il ouvrir les frontières avec Gaza ?"- 2 février 2008.

- "Une joie avortée" - 3 janvier 2008.

- "Attentats du 11/9 : la découverte dangereuse de Cossiga" - 27 décembre 2007.

Al-Ahram/hebdo - Semaine du 5 au 11 Mars 2008, numéro 704 (Opinion)


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.