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Mémoires de voisinage

jeudi 14 février 2008 - 05h:39

Amira Hass

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Eradiquer un nouveau quartier ? Qu’y-a-t-il de nouveau dans cette information, se demandent les gens de Rafah.

Quand j’entends les Israéliens se proposer d’éradiquer un quartier de Gaza, je revois Yafa, 15 ans, dans son quartier. Je la connaissais depuis qu’elle avait un an. Des yeux constamment brillant de curiosité derrière ses petites lunettes, une voix légèrement enrouée, vive mais tranquille, tenace et douée en anglais et en mathématiques, donnant un coup de main aux travaux dommestiques et prenant en charge ses deux jeunes s ?urs, véritables boules de nerf et de surcroît bavardes contrairement à son caractère. Elle aimait surfer sur Internet et discuter avec ses amis en ligne. Et à plusieurs centaines de mètres de chez elle, dans le quartier de Tel al-Hawwa, à Gaza ville, quelques maisons avaient déjà été effacées de la terre par les bombes israéliennes.

Je me souviens bien sûr du nom du quartier, c’était Saja’iyya. J’ai oublié par contre le nom de la jeune femme qui venait juste de commencer à publier sa poésie : des petits poèmes personnels. Les pages du journal dans lequelles, ces poèmes ont été publiés, posées sur la table dans l’appartement de location, avaient créé beaucoup d’émotion et d’excitation.

"Eradiquer un quartier » ! et dire que je ne sais même pas dans quel quartier de Khan Yunis, habite cette féministe invétérée. Sa parole critique et aiguisée était connue de tous les officiels. Elle fut la première femme à Gaza, à fumer le nargileh (pipe à eau) et je pense qu’elle est parmi les rares femmes à continuer à sortir tête nue. Malheureusement, nous avons perdu le contact. Je reçois de temps en temps de ses nouvelles grâce à un ami commun notamment comment un missile tiré par un hélicoptère de l’armée israélienne est tombé tout près de sa maison.

Bassam m’a dit un jour, « demandez où se trouve les écoles et vous trouverez mon quartier ». Plus tard, quand je me suis perdu dans les ruelles du camp de réfugiés de Jabalya, il s’est montré impatient en disant : "J’ai oublié que vous n’étiez pas née ici" et je ne sais toujours pas s’il parlait sérieusement.

Il m’a appris à me « débrouiller » dans la circulation en cas de besoin. « Si tout le monde est sens dessus dessous, alors pourquoi devrions-nous aller tout droit ?". Je pense que depuis ce temps-là, le sable a recouvert les pavés et l’asphalte de son quartier.

Je ne sais pas si les gens ont de nouveau peint les murs de béton des immeubles d’habitation qui ont remplacé les cabanes de réfugiés et leurs ruelles étroites. Après tout, depuis plus d’un an, nous, journalistes israéliens, la bande de Gaza nous est interdite.

Au cours de l’une des invasions de Jabalya par l’armée israélienne, en octobre 2004, pour lutter contre la terreur et la vaincre à tout jamais, mais en fait juste pour la vaincre sur le moment, la maison des parents de Bassam a risqué d’être éradiquée tout comme tant de dizaines d’autres maisons, non par des bombardements aériens mais par des bulldozers de l’armée israélienne tandis que d’autres habitations étaient gravement endommagées par les tirs d’obus. Les gens ont fui les bulldozers et les bombardements devenant réfugiés pour une deuxième fois. C’est pourquoi les parents de Bassam et sa grand-mère ont refusé de quitter leur domicile.

je me souviens d’un marché en plein air, actif, bondé et coloré, installé dans les ruelles de ce quartier du nord-ouest. Il y avait toujours quelqu’un derrière une montagne de bananes ou goyaves, qui connaissait Bassam et qui nous offrait des fruits avec un large sourire, assaisonné d’un peu d’hébreu. C’était aussi le quartier d’un d’un cousin de Bassam qui travaillait à Jaffa dans une pâtisserie ashkénaze strictement casher avant que les permis de travailler ne furent supprimés. Je me demande aujourd’hui si la pâtisserie qui, plus tard, à ouvert à Jabalya, et qui vendait des « rugelach » et des croissants, est toujours ouverte.

Dans une maison caractérisque des militants du Fatah, une famille de réfugiés du village Huleiqat (Heletz), dans le quartier Nasser de la ville de Gaza, il m’a été suggéré de me convertir à l’islam pour que je puisse entrer au paradis. La grand’mère était inquiète de mon sort dans l’au-delà. Lorsque son fils était dans une prison israélienne, il a vu, à la télévision, les soldats arrêter son propre fils et sa femme qui tentait de le libérer. C’était l’époque de la première Intifada.

Non loin de là, habitait N., enseignant, et sa famille. Je suis toujours étonnée de découvrir combien était petit son visage quand elle retirait son voile et découvrait ses cheveux coupés courts. Son fils obstiné, âgé seulement de 8 ans, reprochait des choses sérieuses au Hamas même si son père en était un militant. Lorsqu’on lui demandait s’il était pour le Hamas ou pour le Fatah, il répondait qu’il était pour Allah. Mais il y a environ un an, lorsque des combats ont éclaté entre les deux mouvements, il s’est arrêté de dire qu’il était pour Allah parce qu’il savait que cela pouvait être interprété comme un soutien pour le Hamas.

Les résidents du quartier ont perdu le compte des obus, des bombes et des missiles qui sont tombés près de chez eux, tuant amis et connaissances, blessant grièvement les enfants de l’école et détruisant les maisons de leurs proches.

Abu Aouni aime se tenir devant la porte de sa maison dans le camp de réfugiés de Shabura à Rafah, dans le quartier appelé Bureir, du nom de son village qui a été détruit et sur lequel s’est installé l’actuel kibboutz Bror Hayil. Grand, avec une voix rauque à cause des cigarettes malgré son c ?ur fragile, des mains de paysan, ses souvenirs s’effritent comme des mottes de terre. Lui aussi a cessé de compter le nombre de maisons que l’armée israélienne a effacé de la terre à Rafah depuis 1967, alors même que son fils, enquêteur de terrain pour une organisation des droits de l’homme, compte soigneusement chaque maison détruite et chaque quartier détruit depuis 2000.

Eradiquer un nouveau quartier ? Qu’y-a-t-il de nouveau dans cette information, se demandent les gens de Rafah.

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Amira Hass

De la même auteure :

- La rage de faire main basse sur les terres palestiniennes
- Deux millions de Khaled
- Un geste en faveur des services pénitentiaires israéliens

13 février 2008 - Ha’aretz - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.haaretz.com/hasen/pages/...
Traduction de l’anglais : D. HACHILIF


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