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Abattre les murs de la prison

mercredi 30 janvier 2008 - 03h:54

Saleh Al-Naami - Al Ahram Weekly

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Que dira Abbas à moi et à mon épouse alors que Yasmine meurt pendant qu’il va au devant des embrassades avec Olmert, l’homme qui a prononcé une sentence de mort pour ma fille en lui refusant l’accès aux soins ? »

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Dimanche 27 janvier 2008... Boire le thé assis sur un mur abattu ! Photo : AP/Majed Hamdan

Qualifié de « crime de guerre » par Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue Arabe et de « punition collective » illégale par l’Union Européenne et les agences internationales, la crise humanitaire et politique créée par le blocus hermétique de Gaza depuis cinq jours par Israël est non seulement très coûteux pour 1 million et demi d’habitants de la misérable bande côtière.

Endommagée « au delà de ce qui est réparable », selon plusieurs Palestiniens s’exprimant à Rafah devant « Al-Ahram Weekly » est l’image du président palestinien Mahmoud Abbas, largement critiqué pour avoir « tourné un oeil aveugle sur la misère de son propre peuple dans Gaza » tout en continuant à s’impliquer dans des entretiens pour la paix avec Israël.

Parlant au « Weekly » dans Gaza plus tôt cette semaine, Selim Hazzaa a violemment condamné Abbas de maintenir des canaux de communication ouverts avec Israël alors que sa fillette Yasmine, âgée de 9 ans, ne peut pas entrer en Egypte pour le traitement de son cancer en raison du blocus israélien. « Que dira Abbas à moi et à mon épouse alors que Yasmine meurt pendant qu’il va au devant des embrassades avec Olmert [le premier ministre israélien], l’homme qui a prononcé une sentence de mort pour ma fille en lui refusant l’accès aux soins ? »

À Damas mercredi, un large ensemble d’organisations politiques palestiniennes a appelé Abbas à rompre les négociations « ridicules » avec les Israéliens et qui, selon Abbas, doivent se poursuivre. Ce rassemblement impressionnant, comprenant des dirigeants palestiniens très populaires comme Khaled Meshaal du Hamas et Ramadan Shallah du mouvement du Jihad islamique, a envoyé un message clair à Abbas. « Je veux demander à nos frères dans Ramallah [le quartier général d’Abbas], qu’est-ce que vous attendez exactement ? » a déclaré Shallah. Selon Meshaal, alors que l’Autorité Palestinienne [AP] parle aux Israéliens, les Palestiniens dans la bande de Gaza qu’il a qualifiée comme « plus grande prison dans l’histoire », « sont massacrés ».

Même des partisans d’Abbas se sentent dans une position inconfortable. L’écrivain palestinien Hani Al-Masri estime que le président doit interrompre les négociations immédiatement. « Cela n’a pas de sens que les négociations se poursuivent tandis qu’Israël change les faits sur le terrain et sabote toute chance pour une solution juste et acceptable, » dit-il au « Weekly ».

« Nous nous faisons massacrer et personne ne dit rien. Ils ont tous peur d’Israël et des Etats-unis, sans exception, » fait savoir un Palestinien qui a franchi la frontière avec l’Egypte à Rafah ce mercredi, à la suite d’une série d’explosions qui ont percé le mur de séparation à la frontière, permettant à un flux massif d’au moins 200 000 Palestiniens de sortir de Gaza. Cette rupture de la frontière était la seconde tentative faite par les Palestiniens qui avaient lancé un appel à l’Egypte pour qu’elle ouvre sa frontière de façon unilatérale — sans le consentement formellement requis de la part d’Israël et de l’Union Européenne. La première tentative de mardi matin par des milliers de femmes venues de Gaza avait été repoussée avec des canons à eau de la sécurité égyptienne.

Les officiels égyptiens disent avoir pris contact avec « les organismes internationaux concernés » pour discuter d’une ouverture limitée du poste-frontière de Rafah, mais « strictement » pour des raisons humanitaires, mais que leur demande avait été mal reçue. Les Palestiniens ne sont pas impressionnés. « Pourquoi [les Egyptiens] ne permettraient-il pas à cette frontière de s’ouvrir immédiatement alors que [les Israéliens] bloquent Gaza et nous privent d’électricité ? Pourquoi avons-nous dû donner l’assaut à cette frontière ? Devons-nous être humiliés par les Israéliens, le monde, et même par nos frères arabes ? » se demande un des habitants de Gaza.

Mercredi, la ville de frontière de Rafah et sa ville voisine d’Arish ont été inondées de Palestiniens parvenus à passer la frontière. Quelques heures plus tard, un porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères a critiqué l’Egypte pour avoir permis aux Palestiniens de sortir de Gaza. Israël a indiqué revenir sur son engagement de reprendre les approvisionnements d’urgence en carburant pour Gaza. Mais d’après les services égyptiens de sécurité sur place, lorsque les manifestants ont traversé [la frontière] à l’aube mercredi, il n’y avait aucun possibilité pour la sécurité égyptienne de les repousser par la force armée. « C’était tout simplement inadmissible, » a fait savoir une personne des services de sécurité.

La nuit de mardi, les forces égyptiennes de sécurité ont interdit l’accès au « Weekly » à Arish et à Rafah. Toute la zone a été étroitement verrouillée par un cordon de sécurité. « C’est incroyable. Il y a des Palestiniens partout. Ils vont et viennent pour acheter de la nourriture, des médicaments, du ciment et du carburant. Les magasins sont pratiquement vides ; même que la plupart des négociants ont profité de la situation en doublant et en triplant des prix, » nous a commenté par téléphone un habitant d’Arish. « Maintenant il y a un manque de produits. Nous nous attendons à ce que ceci empire si des approvisionnements massifs ne sont pas immédiatement envoyés à Arish et à Rafah, » a-t-il ajouté.

Mercredi, le Président égyptien Hosni Mubarak a déclaré devant les journalistes avoir ordonné à l’aube aux forces égyptiennes de sécurité postées dans Rafah de permettre aux foules palestiniennes d’entrer dans le territoire égyptien et « de les laisser se procurer leurs nécessités de base puis de s’en retourner dans Gaza — tant que ils ne portent pas d’armes ou quoi que ce soit d’illégal ». Des témoins visuels dans Rafah et Arish ont expliqué au « Weekly » que beaucoup de Palestiniens font exactement cela. « Certains continuent à aller et venir afin d’emporter plus d’articles. Ils portent de lourdes charges. Cela parait terrible, » a commenté un résidant d’Arish. Selon quelques estimations, des centaines, si ce n’est des milliers de Palestiniens louent des appartements — parfois à plusieurs — pour rester dans Arish pendant une période indéfinie.

Des sources officielles égyptiennes indiquent avoir reçu des protestations américaines et israéliennes quant au passage de la frontière de Rafah. Ils expliquent cependant que le Caire n’est pas en mesure de forcer les Palestiniens à s’en retourner. L’Egypte, reconnaissent-ils, a déjà une mauvaise image vis-à-vis des citoyens de Gaza et de leur direction politique qui est le Hamas. Les sources informées indiquent au « Weekly » que les dirigeants du Hamas n’étaient pas particulièrement réceptifs aux appels faits par le Caire exigeant la prise de contrôle de la situation par le Hamas, d’éviter toute « explosion », et de donner le temps à l’Egypte d’employer ses « bons offices » avec les Israéliens, les Américains et les autres pour mettre fin au siège. Selon Meshaal à Damas mercredi, l’Egypte devrait conclure un nouvel accord sur les frontières avec le Hamas et l’Autorité Palestinienne [de Ramallah]. En raison de la crise humanitaire en cours, il n’y a plus rien sacré dans les accord sur les frontières signés avec Israël.

Alors que le Président Mubarak critiquait le Hamas de tirer des fusées vers Israël, parce que cela donnait le prétexte aux Israéliens d’imposer un blocus sur Gaza, certaines sources suggèrent que le Caire projetterait d’avoir une communication plus intensive avec le Hamas, « pour mieux gérer le statu quo ». Une de ces sources a déclaré : « Nous n’allons pas donner une légitimité à la prise de pouvoir du Hamas dans Gaza, mais nous devons discuter avec le Hamas sur les voies à adopter pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui et à venir. » Cette même source a ajouté que n’importe quel dialogue entre l’Egypte et le Hamas examinerait aussi la perspective d’entretiens pour une réconciliation nationale en Palestine entre le Hamas et le Fatah.

En effet, l’aggravation du blocus de Gaza a généré une immense pression publique sur le Hamas et sur le président Abbas pour qu’ils résolvent leurs divergences. Mahmoud Al-Zahhar, un des premiers responsables du Hamas, avait un ton conciliant et inhabituel lorsqu’il s’est exprimé davant les journalistes lundi. Le Hamas est, dit-il, disposé « tout le temps qu’il faudra » a participer à un dialogue constructif avec le Fatah. Les jeunes dirigeants dans les deux mouvements essayent maintenant de faire avancer les choses. Un Comité National pour le Dialogue et la Réconciliation a été formé il y a peu dans Gaza. Parmi ses membres se trouve Ghazi Hamad, ancien porte-parole du gouvernement d’Ismail Haniyeh, et Faysal Abu Shahla, un représentant connu du Fatah. Y participent en outre des universitaires et des militants de la société civile.

En attendant, l’image dont le Caire doit s’inquiéter va au delà des milieux palestiniens. Quelques centaines de manifestants se sont rassemblés dans le Square Tahrir mercredi et ont fustigé le gouvernement égyptien pour ne pas avoir prêté un appui suffisant aux Palestiniens sous le siège israélien. « Quelle honte ! Nous devrions avoir honte de nous-mêmes pour ne pas avoir soutenu nos frères palestiniens. Ce gouvernement devrait avoir honte de ne pas reflèter le vrai sentiment de l’Egypte ! » a crié Hamdeen Sabahi, un élu nasseriste du parlement égyptien. « Pourquoi devrions-nous davantage nous inquiéter de nos relations avec Israël que des vies des Palestiniens innoncents assassinés par les Israéliens ? » at-il demandé.
Sabahi et les autres manifestants ont réclamé l’expulsion immédiate de l’ambassadeur d’Israël en Egypte. Avant et à la suite de ces manifestations, beaucoup de figures de l’opposition — la plupart du temps appartenant aux Frères Musulmans — ont été arrêtés et mis en détention.

Pendant que la crise se développe, les calculs israéliens, en dépit des assauts militaires et de la réduction des tirs de fusées depuis Gaza vers Sdérot, semblent également avoir été faux. Selon les médias israéliens, les rêves que le siège contre Gaza inciterait à une révolte populaire contre le Hamas se sont brisés. Le Hamas parait en effet disposer d’encore plus d’appui qu’auparavant. Les Palestiniens qui sont entrés dans Rafah à l’aube mercredi ont crié des slogans pro-Hamas. À Damas, toutes les factions palestiniennes — certaines islamiques et d’autres non-islamiques — ont exprimé leur solidarité avec le Hamas. Et au Caire, les manifestants égyptiens criaient également leur appui au Hamas. Tandis que quelques cercles arabes officiels veulent critiquer la résistance palestinienne à cause de la crise, le sentiment populaire est tout différent. Comme l’a affirmé par Abdul-Sattar Qassem, professeur de science politique à l’université d’An-Najah dans Naplouse, « les Palestiniens ont le droit de s’engager dans toutes les formes de résistance à l’occupation. »

Moussa, secrétaire général de la Ligue Arabe a semblé reconnaître ce sentiment populaire, envoyant un avertissement aux capitales arabes. « Le processus d’Annapolis est conduit à l’abîme à cause des agressions israéliennes et du silence du monde face à ces agressions, » a-t-il déclaré. « La situation actuelle pose un très grand point d’interrogation sur le destin du processus de négociations qui a été lancé lors de la réunion d’Annapolis, » a-t-il ajouté.

Il est difficile de savoir comment la situation évoluera dans les prochains jours. Alors que les milliers de Palestiniens semblent avoir traversé Rafah, des centaines de milliers d’autres demeurent emprisonnés dans Gaza, avec parmi eux des enfants mourant dans les hôpitaux par manque de soins. Les développements de mercredi peuvent aider le gouvernement égyptien à exercer plus de pression sur les Etats-Unis et Israël pour faire cesser le siège et autoriser une aide humanitaire régulière vers Gaza, mais cela n’est n’est pas sûr. Le ministre israélien des affaires étrangères a déclaré que le blocus israélien et les plans militaires ourdis contre Gaza ne seront remis en cause par aucune critique. En attendant, beaucoup de commentateurs tournent leurs yeux vers les ministres des affaires étrangères arabes réunis au Caire dimanche, où de la pression significative sera sans doute ressentie pour que soit adoptée une résolution brisant unilatéralement le blocus israélien.

Du même auteur :

- Feu vert américain pour de nouvelles atrocités
- Frappe sur tel Aviv
- Le Hamas en ligne de mire
- De Balfour à Bush

25 janvier 2008 - Al Ahram weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2008/881...
[Traduction : APR - Info-Palestine.net]


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