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Rafah s’est transformé en plus grand marché du Sinaï

samedi 26 janvier 2008 - 07h:50

Juan Miguel Muñoz - El Païs

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Après la démolition du mur qui sépare Gaza de l’Egypte, les dizaines de milliers de Palestiniens ont fait exploser le commerce et les prix.

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Un déferlement à la fois joyeux et inquiet... mais un débordement de vie ! Finalement, quelques charges explosives bien placées ont donné un million de fois plus de résultats que toutes les réunions "poudre aux yeux" auxquelles on assiste.

Dans le corridor Philadelphie, « no man’s land » entre Gaza et l’Egypte et zone militaire hermétique, il était visible hier que le désespoir stimulait l’ingéniosité.

Sous les tours de garde surmontées du drapeau égyptien, plusieurs jeunes palestiniens criaient : « Un shekel, un shekel ! ». Ils avaient placé de petits escaliers, et pour 18 centimes d’Euro ils aidaient les personnes âgées, les femmes et les enfants à éviter le mur de ciment haut d’un mètre et demi donnant accès à un marché débordant dans la partie égyptienne de la ville de Rafah.

Des dizaines de milliers de Palestiniens se sont précipités dans les rues pour tout acheter. Les prix ont explosé, en même temps que le picaresque. Mais aux habitants de Gaza vivant dans la souffrance et à qui sont imposés des prix de niveau européen, les exigences des commerçants égyptiens les enchantaient. Le Hamas a brisé la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte ce mercredi et le commerce s’est emparé de cette ville divisée.

Il est rare de pouvoir observer des Palestiniens tellement satisfaits au milieu de ce chaos, des obstacles et du vacarme. C’était un désordre plein de joie, sans les disputes si habituelles et si bruyantes. Il fallait acheter. Et vite. Personne ne sait à quel moment le gouvernement du Caire imposera à nouveau la fermeture. Des hommes et des femmes de tout âge et de toute condition ont voyagé dans des camions et des voitures remplies depuis tous les coins de Gaza. La veille le flot humain était venu plutôt par curiosité, parce que les stocks dans la partie égyptienne et plutôt pauvre de Rafah avaient été immédiatement épuisés. Hier, les rues étaient remplies de produits. Les Egyptiens on su rapidement remplir le vide et gagner de bonnes poignées de devises.

Les personnes se déplaçaient d’un endroit à l’autre. L’agriculteur Ahmed venant de la partie palestinienne de Rafah avait besoin de gasoil et attendait son moyen transport pour rentrer, soit un âne, soit une moto ou une voiture. « J’en achète pour pouvoir utiliser mon tracteur. Je sais que le gasoil coûte ici l’équivalent d’un demi shekel et qu’ils en demandent deux. Mais à Gaza nous payons cinq shekels ». A peine un jour après que les miliciens palestiniens aient démoli la paroi de fer de huit mètres de haut, le marché avait adapté ses prix. Bien qu’acheter de l’essence, un produit de valeur étant donné le blocus israélien, présente des risques. Beaucoup d’enfants en vendaient au bord des routes dans des boîtes. « Il faut faire attention. Tant en Egypte qu’à Gaza on lui ajoute de l’eau et cela est mauvais pour le moteur », commentait un conducteur qui a préféré éviter ce risque.

C’était comme transformer en jour d’été un journée froide mais splendide. Des milliers d’égyptiens ont fait des centaines de kilomètres pour se rendre à Rafah et à Arish afin de vendre tout ce qui était possible. C’ est le cas de Mohamed, un avocat de 23 ans et venant d’une ville au bord du canal de Suez, qui voudra profiter d’une ouverture qui selon lui sera éphémère. « Je vends du sel, des sauces, des détergents, du thé, du chocolat, de l’huile, des céréales, des fèves... Je n’essaye pas d’abuser car je sympathise avec les Palestiniens, mais je fais du bon argent. Prions pour que la frontière soit ouverte pour toujours ».

Mohamed ne représente pas la norme. Le bédouin Yousef vient d’acheter deux motocyclettes importées de Chine --- presque toutes proviennent de ce pays --- pour 800 dollars (543 Euros). « Jen ai déjà vendu une pour 1100 dollars. J’espère obtenir 1200 pour la deuxième ». Des dizaines de jeunes Palestiniens les emportaient et devaient les hisser quelques centaines de mètres plus loin au dessus du mur frontalier. Cette fois-ci, sans escalier. Ce flot humain était toujours incontrôlable alors qu’il commençait déjà à faire nuit. Des hommes avec des chèvres, des brebis et des agneaux sur les épaules s’en retournaient à Gaza. Le prix d’un agneau a doublé ou a triplé, allant jusqu’à 150 ou même 200 Euros. Mais dans la bande de Gaza ils en valent 300. Donc tout le monde était content.

Des milliers de Palestiniens ont passé la journée jour en faisant des aller-retour, chargés de tapis, de tabac, de pneus, de bombonnes de gaz... Avec le sourire, bien qu’un sentiment d’urgence soit dominant. Ils sont convaincus que ce soulagement sera passager. On pouvait à peine avancer au milieu des animaux --- certains conduisaient une douzaine de brebis, d’autres un couple de chameaux --- des personnes et des véhicules militaires égyptiens qui se rendaient à la frontière mise à terre pour commencer à préparer, peu à peu, sa fermeture quand il conviendra. Il n’a pas manqué, au milieu de ce tumulte, de détails qui reflétaient d’évidentes doses d’organisation.

Le trou ouvert dans la clôture mène à deux rues sablonneuses. Une d’elles était fermée et un policier du gouvernement du Hamas expliquait pourquoi : « L’aide humanitaire est prioritaire. Israël ne nous permet pas que cette aide entre par ses postes-frontière. Donc les camions du Croissant Rouge déchargent rapidement ici ». La présence de policiers et de miliciens du Hamas était visible. Certains coordonnaient leur travail avec des agents égyptiens. D’autres avaient des tenues civiles. Il est impossible de penser que le mouvement islamique ne profite pas d’une opération de démolition de frontière planifiée si scrupuleusement. Le gouvernement d’Ehud Olmert a asphyxié la population civile jusqu’à la limite. Peut-être cela est-il terminé. Et le Hamas va en sortir renforcé. « Ce qui passait avant par les tunnels, maintenant nous le montrons à ciel découvert », commentait avec satisfaction un milicien.

Il est presque certain que des matériaux pour explosifs, des munitions et des armes seront passés sous le nez des policiers égyptiens. Et de l’argent, beaucoup d’argent. À tel point que le Gouvernement d’Ismail Haniya a annoncé qu’il avançait d’une semaine le paiement des salaires pour 20000 fonctionnaires. Il faut profiter de l’appel d’air.

Du même auteur :

- Le Hamas rend les coups
- Bush inonde le Proche-Orient avec ses armes
- Guerre sale entre Palestiniens
- Le Hamas construit son état dans Gaza

25 janvier 2008 - El Païs - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.elpais.com/articulo/inte...
Traduction : Claude Zurbach


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