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Démystifier le désengagement

jeudi 25 août 2005 - 07h:03

Azmi Bishara

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Malgré l’écran de fumée de son face à face avec les colons, Sharon n’a en rien arrêté sa guerre contre les Palestiniens, écrit Azmi Bishara.

Le plan de désengagement de Sharon débute comme suit : « L’Etat d’Israël est engagé dans le processus de paix et aspire à trouver une solution négociée au conflit, basée sur la vision du président des Etats-Unis Georges Bush. L’Etat d’Israël croit nécessaire d’agir afin de faire évoluer la présente situation. L’Etat d’Israël est arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas actuellement de partenaire Palestinien fiable avec lequel réaliser un quelconque progrès dans un processus de paix à deux partenaires ».
Puis un plan a été développé, révisant le désengagement et basé sur les considérations suivantes :

« Un : l’impasse liée à la situation actuelle est nocive, l’Etat d’Israël est dans l’obligation de lancer une initiative ne dépendant pas de la coopération palestinienne. »

« Deux : l’objectif du plan est d’améliorer la situation sur les plans sécuritaire, politique, économique et démographique. »

« Trois : dans toute futur accord permanent, il n’y aura ni villes ni villages israéliens dans la Bande de Gaza. D’un autre côté, il est clair qu’il y a en Cisjordanie des zones qui feront partie de l’Etat d’Israël, ceci incluant les principaux centres de population, cités, villes et villages, zones de sécurité et autres parties d’un intérêt particulier pour Israël . » (Plan de désengagement du premier ministre Ariel Sharon - révision du 28 mai 2004.)
J’ai cité les passages qui précédent car avec toutes les fanfares faites autour du désengagement, le monde peut avoir oublié de quoi il est en réalité question. Laissez-moi faire les clarifications nécessaires.

Le plan de désengagement de Sharon est une tentative de mettre la feuille de route sur la touche. C’est une tentative de couper l’herbe sous le pied à quiconque voudrait lancer une initiative pour sortir de « l’impasse » (qui n’est que le résultat de l’intransigeance israélienne, ou autrement dit, de l’absence d’un partenaire Palestinien préparé à accepter les diktats des Israéliens pour un accord final) et fait plaisir aux Etats-Unis, même si ce n’est que du point de vue de leur image dans la région après l’occupation de l’Irak, en suivant apparemment la feuille de route telle qu’elle était initialement formulée.

Bien que l’initiative de Sharon offre d’abandonner les colonies de Gaza, lesquelles sont dans tous les cas sans aucun avenir, l’objectif de ces « concessions » est de garantir la pérennité de larges blocs de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem. C’est certainement pour cette raison qu’il a cherché pour son plan une approbation américaine plutôt qu’arabo-palestinienne. Il avait besoin du soutien américain pour éviter toute pression internationale concernant le futur des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem, ou sur la question du statut de Jérusalem et du Droit au retour des Palestiniens réfugiés.

Il a obtenu tout cela sous forme d’échanges de lettres avec le président Bush le 14 avril 2004. Finalement, les 6 mois de discussion avec Washington n’ont pas servi à persuader les Américains qu’Israël devait quitter Gaza, mais à tirer le prix le plus élevé de ce désengagement. Peu nous étonne que Sharon ait déclaré au journal Yediot Aharanot lors de sa dernière interview (11 août 2005) avant que le désengagement ait débuté, qu’il préférait négocier avec les Américains plutôt qu’avec les Arabes.

Franchement, l’approbation Palestinienne et Arabe au désengagement a peu de valeur. Sharon ne leur a jamais demandé leur avis. Ou plutôt, leur accord rétroactif procède à la fois du désir de faire le jeu de Washington et de l’acceptation du fait que Sharon est celui qui mène le jeu. La joie populaire manifestée au départ des colons est parfaitement compréhensible et justifiable. Cependant, faire l’éloge du désengagement ou présenter Sharon comme un homme de paix n’est ni justifiable ni compréhensible, sauf s’il s’agit de se résigner à la faiblesse du monde Arabe.

Les intentions de Sharon sont claires et enregistrées, comme elles le sont dans l’échange de lettres avec Bush. C’est une chose de les ignorer et de se décevoir soi-même ; c’en est une autre de décevoir la population alors que les colonies s’étendent à pleine vapeur en Cisjordanie et à Jérusalem.

Dans une interview récente le 11 août, Sharon a répété sa certitude que la feuille de route était consommée après le désengagement de Gaza. Si beaucoup d’Arabes ont pris cela à c ?ur, ils devraient garder en mémoire que Sharon conditionne toute avancée après le désengagement aux progrès réalisés par l’Autorité Palestinienne dans la lutte contre le terrorisme. Pour Sharon, « le démantèlement de l’infrastructure du terrorisme » est le début de la feuille de route, une position reprise par Bush lors de la même interview lorsqu’il affirma qu’après le désengagement « la nécessité de faire ses preuves » serait du côté de la direction palestinienne et de son engagement à « lutter contre le terrorisme ».

Avec cette si curieuse facilité, l’interview a ensuite dévié vers les projets de Bush pour l’Iran, la question du Hizbollah, la confrontation de Sharon avec les colons et autres sujets qui déterminent le climat général aujourd’hui.

Concernant les colons, il faut mettre l’accent sur le fait que leur position par rapport au désengagement est un élément important dans les relations à l’intérieur de « l’establishment » israélien et de la société israélienne. Les colons ne jouent aucune comédie ; ils s’opposent réellement à Sharon. Il est cependant possible de les classer en deux catégories. Tout d’abord ceux qui défendent les colonies de Gaza non pas pour une question de survie, mais comme une première ligne de défense contre tout empiètement sur les colonies de Cisjordanie.

A long terme, leur opposition tournera à l’avantage de Sharon face aux pressions extérieures car il pourra les pointer du doigt pour illustrer quelles « concessions douloureuses » il a dû faire. L’autre catégorie comprend les colons qui sont de fait profondément hostiles à Sharon pour les avoir trahis en ayant subordonné un principe absolu de leur foi - tel que le « droit de coloniser toute la terre historique d’Israël » - à des impératifs de pragmatisme politique. Dans tous les cas, alors qu’il est erroné de considérer ces deux catégories comme une forme de jeu politique, il est tout aussi erroné de prendre cette cassure entre les colons et Sharon comme une preuve que le désengagement est une victoire du monde arabe. Il n’en est rien.

Le plan de désengagement de Sharon est essentiellement une tentative de profiter de la situation internationale pour faire avancer ses objectifs à long terme. Il serait utile de rappeler avec quelle constance et combien systématiquement Sharon s’est efforcé d’atteindre ces objectifs. A la suite de son élection comme premier ministre, Sharon a déclaré au journal « Maariv »(le 13 avril 2001), « Je n’ai pas changé mon point de vue... La seule chose qui ait changé est mon opinion que la Jordanie est la Palestine. Et ce changement s’est produit uniquement à cause des évolutions sur le terrain. Je ne voudrai jamais qu’il existe deux Etats Palestiniens. » A présent, si on considère que ses souhaits pour aboutir à un petit Etat Palestinien invivable combiné à un désengagement démographique et au mur de séparation poussent inexorablement vers une entité Palestino-Jordanienne, on comprend que même sa position sur la Jordanie et la Palestine n’a pas changé substantiellement.

Sharon préfère clairement un accord intermédiaire prolongé avec des concessions limitées du côté israélien à un arrangement permanent avec les Arabes. Comme Henry Kissinger, il souscrit à l’idée qu’une solution « de non-guerre » à long terme est plus réaliste qu’un accord permanent. Pour Sharon, une paix permanente est possible non pas à la condition que les Arabes reconnaissent Israël comme étant une réalité, mais seulement s’ils reconnaissent les droit historique des Juifs à établir un état. En d’autres mots, les Arabes sont effectivement sollicités pour qu’ils acceptent le sionisme, et tant qu’ils ne l’auront pas fait les concessions n’auront de valeur que dans le cadre d’arrangements intérimaire de sécurité et seront distribués avec une grande parcimonie.

Un état prolongé « de non guerre », d’un autre côté, confine la création d’un Etat Palestinien dans approximativement 42% de la Cisjordanie, et exclut Jérusalem. Un tel Etat serait issu d’un accord négocié plutôt que d’un processus unilatéral. Dans tous les cas, l’Etat que Sharon conçoit et que les Arabes devraient accepter, d’après ses déclarations au journal « Maariv », serait « réduit et désarmé » et « disposerait d’une force de police équipée uniquement des armes nécessaires au maintien de la sécurité.

Israël conservera ses limites extérieures pour les années qui viennent. Un Etat comme celui-là ne pourra pas conclure d’alliances avec des Etats hostiles à Israël. Israël conservera le droit de survoler son espace aérien. Tant que rien ne remet en cause la sécurité d’Israël, je n’ai aucun problème. » (13 avril 2001) Il a ajouté à ceci, dans une interview du journal « Haaretz », que l’Etat [Palestinien] aurait une continuité territoriale et qu’il y aurait une solution apportée aux checkpoints israéliens, car il y a sur ce point des sujets propres « à irriter les Palestiniens dans leur vie quotidienne ». (13 avril 2001).

En fait la vision de Sharon d’un « Etat » Palestinien remonte à bien avant cela. Sharon avait soutenu la conception de Menachem Begin d’une autonomie pour la Cisjordanie et pour Gaza telle que mentionnée dans les accords de Camp David. Cette conception est devenue une approche centrale de la question palestinienne après la guerre du Liban en 1982, au cours de laquelle il a échoué à expulser les Palestiniens vers la Jordanie avec l’aide de certaines milices libanaises.

Lors d’une conférence de presse qui s’était tenue le 20 juin 1982, juste deux semaines après que l’invasion israélienne du Liban ait commencé, Sharon révéla le lien entre la guerre et son idée d’une autonomie palestinienne : « Les habitants de Judée, Samarie et Gaza doivent comprendre que maintenant il n’y a personne d’autre qu’eux-mêmes pour résoudre leurs problèmes. Beaucoup d’hommes politiques comprennent, comme le font à présent les habitants, que le chemin de la paix passe par des négociations directes entre eux et Israël... La réalisation de cet objectif restera en attente, jusqu’à ce qu’il soit clair jusqu’à quel point la direction de l’OLP a été touchée ... Je crois que les Arabes de Judée, Samarie et Gaza veulent négocier. Dans les jours qui viennent, lorsque les combats sur le front se seront calmés, nous entamerons une offensive de paix vers les territoires [sous occupation - N.d.T] pour tenter de mettre en place des canaux de communication permettant d’ouvrir un dialogue concernant la mise en place d’un régime d’autonomie [self-rule] ». (Haaretz, 21 juin 1982).

Moins de six mois plus tard, Sharon annonçait son souhait de négocier avec la Jordanie sur le programme d’autonomie de Camp David (Maariv, 13 janvier 1983). En 1988, il était plus précis en ce qui concerne sa perception d’une autonomie palestinienne et ses relations avec la Jordanie : « Je crois personnellement que le programme d’autonomie est un pont pour la paix entre nous et l’Etat Palestinien en Jordanie. Dans le futur lointain, l’autonomie conduira à une fédération ou confédération israélo-palestinienne sur les deux rives du Jourdain » (Yediot Aharanot, 26 février 1988).

Au contraire de ce que certains imaginent, Sharon voit la Jordanie comme étant l’Etat Palestinien, mais pas nécessairement avec le but de changer le régime en place en Jordanie. Il n’y a pour lui aucune différence si « l’Etat Palestinien » reste le royaume hachémite. Lorsque Sharon invitait le roi Hussein à le rencontrer en 1980, il faisait la remarque suivante : « Je n’ai jamais dit que la Jordanie devait se transformer en Etat Palestinien. La Jordanie est un Etat Palestinien, car 60% de sa population est palestinienne. » (Yediot Ahranot, 30 août 1982).
Dans un article paru au début de la première Intifada, Sharon mettait en évidence ce qu’il croyait devoir être « les conditions d’encadrement » qu’Israël devait obtenir des Etats-Unis et devant servir de base à tout accord futur : « Jérusalem unifiée est la capitale éternelle d’Israël. Le Jourdain est la frontière de sécurité Est d’Israël (notez qu’il ne dit pas « frontière politique »). Il ne doit y avoir qu’une seule armée à l’Ouest du Jourdain, et c’est l’armée israélienne. Israël est responsable de la sécurité interieure et extérieure de toute la partie Ouest d’Israël (c’est-à-dire toute ce qui est à l’Ouest du Jourdain). Il n’y aura pas de souveraineté en Judée, Samarie et Gaza. Il n’y aura pas de deuxième Etat Palestinien à l’Ouest du Jourdain. Le problème des réfugiés Palestiniens doit être résolu par les Arabes. Le Golan fait partie d’Israël ». Et il ajoute à la fin de l’article : « A l’avenir, ma proposition permettra de mettre en ?uvre la ligne du Likud - un Etat Palestinien en Jordanie et une autonomie en accord avec Camp David comme phase intérimaire - et la mise en oeuvre de la ligne du Parti Travailliste qui consite à trouver un compromis territorial ». (Yediot Aharanot, 12 mars 1988).

Qu’est-il arrivé depuis ? La première Intifada a traîné en longueur et la Jordanie a décidé de façon unilatérale de se retirer de la Cisjordanie et de Gaza. Le roi Hussein a coupé l’herbe sous le pied à l’option du Parti Travailliste [israélien] de déporter les centres de population de la Cisjordanie vers la Jordanie. Dans un article important du journal « Yediot Ahranot » daté du 12 août 1988 et lors d’une conférence de presse une semaine plus tard, Sharon a jeté le gant au Parti Travailliste, le mettant au défi d’annexer de façon unilatérale tous les territoires qui n’auraient pas été attribués à la Jordanie lors d’un compromis territorial, et de remettre ce qui avait été initialement concédé aux Jordaniens aux Palestiniens eux-mêmes.

Les territoires qu’il a retenus dans cette option, qui avait pour objectif de dissuader les Palestiniens de s’aventurer dans les ruines de l’option jordanienne, représentent 42% de la Cisjordanie, plus Gaza. Si, depuis lors, l’OLP a pris la place de la Jordanie dans les accords d’Oslo, c’est un héritage dû à Rabin. Si Sharon parle maintenant en termes d’Etat Palestinien plutôt que de régime d’autonomie, sa conception d’une souveraineté palestinienne ne diffère de sa conception de l’autonomie palestinienne que parce que la première suppose que les Palestiniens aient le contrôle de leur sécurité domestique et aient un semblant de souveraineté. Et s’il se désengage de Gaza aujourd’hui, c’est là aussi une tentative de prendre l’initiative dans un contexte régional et international nouveau.

L’élement le plus significatif de ce nouveau contexte est le soutien sans faille de la politique du Likud par Washington depuis le 11 septembre 2001, l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis et la deuxième Intifada. Aucun de ces éléments n’a altéré les fondements du but que s’est fixé Sharon.

21 août 2005 - Cet article peut être consulté à : http://weekly.ahram.org.eg/2005/757...
Traduction : Claude Zurbach


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