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Nidal et "l’Autre monde"

mardi 11 décembre 2007 - 06h:06

Le blog de Karim Lebour - RFI

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Quarante jours à Gaza.

Il est rare que les journalistes d’agence de presse parle à la première personne dans leurs dépêches. C’est pourtant ce que vient de faire Nidal al Moughrabi, correspondant de Reuters à Gaza. Voici ce qu’il écrit.

Pour de nombreuses raisons, j’espérais que l’armée israélienne me laisserait passer par Israël pour rejoindre la Cisjordanie. Mais mon espoir de quitter la bande de Gaza pour rallier l’autre partie des territoires palestiniens a été déçu.

Je voulais rendre visite à mes collègues, des Israéliens, des étrangers, et mes compatriotes palestiniens, à qui je parle quotidiennement mais que je n’ai pas vus depuis des années. J’espérais aussi aller en Jordanie pour passer quelques jours à l’étranger. Cela aurait été la première fois depuis des années.

Mais cela n’a pas pu avoir lieu. Pourquoi ?

"Raisons de sécurité". C’est la seule explication que m’a donnée l’armée après le rejet le mois dernier de la demande de Reuters concernant la délivrance d’un permis m’autorisant à quitter Gaza par le seul point de passage ouvert, celui d’Erez, afin d’aller en Cisjordanie pour participer à une formation que propose mon agence de presse à Jéricho. Ce sont précisément ces deux mots qui empêchent depuis des années le million et demi d’habitants de la bande de Gaza de rendre visite à leurs proches en Cisjordanie, territoire distant de 35 kilomètres.

L’année dernière, j’avais obtenu mon premier permis depuis 2000, année marquée par un soulèvement palestinien qui avait entraîné un durcissement des mesures de sécurité israéliennes. Mais depuis juin et la prise de contrôle de la bande de Gaza par les islamistes du Hamas, les habitants de l’enclave côtière sont encore plus isolés.

Parce qu’Israël a décidé d’isoler le Hamas, la circulation sur la plupart des axes routiers a pratiquement cessé. Le trafic aérien et le trafic maritime sont également bloqués par l’Etat juif. D’habitude, mon épouse s’oppose à ce que je parte seul. Mais alors que la bande de Gaza est soumise à un embargo, elle m’a écrit une longue liste de choses à acheter à l’étranger, notamment des chaussures, des vêtements et du maquillage.

A la veille de la formation, nous attendions tous la réponse à nos demandes de permis. Et puis nous avons enfin reçu un appel, peu après minuit : un seul de mes collègues était autorisé à se rendre en Cisjordanie. Cela a été un coup terrible. "Pourquoi moi ?", c’est la question que je me suis posée. Mais je sais que je ne suis pas seul dans ce cas. Mon jeune collègue Mohammed Salem a été blessé par balle à la jambe par un soldat israélien alors qu’il prenait des photos près du passage d’Erez en octobre. Reuters a voulu l’envoyer à l’étranger pour le faire soigner mais il n’a pas de permis.

Quant à la formation, ce sont finalement les collègues étrangers qui sont venus dans nos locaux à Gaza. Quand je les ai raccompagnés à Erez, je me suis dit que j’en avais assez de voir les autres emprunter ce point de passage. "Je veux aller moi aussi dans l’Autre monde", me suis-je dit. "L’Autre monde", c’est comme cela que les Palestiniens appellent désormais tout ce qui existe au-delà des frontières de la bande de Gaza.

Je vis dans la bande de Gaza depuis 35 ans et la vie ici ne m’a jamais semblé aussi dégradée. Les gens sont victimes des crises économiques successives et des divisions politiques qui déchirent les familles. Même les morts ne sont pas épargnés. A cause du manque de ciment, les nouvelles tombes sont couvertes de sable ou d’argile. Parmi les vivants, ce sont les plus jeunes qui ont le plus de mal à comprendre la situation. Ce que ma fille et mon fils, âgés de onze et six ans, ont toutefois très bien saisi, c’est que la vie est meilleure à l’extérieur, dans l’"Autre monde". "Pourquoi tu ne nous emmènes en Egypte ou à Dubaï ?", m’a demandé ma fille l’autre jour. Je ne peux pas lui répondre "raisons de sécurité. J’aimerais avoir une réponse.

Nidal al Moughrabi, Gaza, 2 décembre (Reuters)


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Le blog de Karim Lebour (RFI), le 3 décembre 2007


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