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Qu’a le monde arabe ?

lundi 10 décembre 2007 - 06h:36

Rim Al Fayçal - Arab News

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Rim Al Fayçal, “photographe saoudienne basée à Jeddah”, a des mots très durs, dirigés non seulement contre « l’élite régnante » et « l’intelligentsia » arabes, mais aussi le « grand public » arabe (ndt).

Il y a un proverbe arabe qui dit, « Si vous n’avez plus aucun sens de la honte, alors sentez-vous libre de faire comme bon vous semble » et en observant l’actuelle humeur arabe, on est frappé combien ce proverbe s’applique aux Arabes aujourd’hui, qu’il s’agisse du grand public ou de l’élite régnante et de l’intelligentsia.

Les Arabes ont pratiquement échoué dans tous les projets idéologiques et politiques qu’ils ont entrepris dans les 60 dernières années (à part quelques succès mineurs çà et là). Tout ce qu’ils ont tenu pour sacré tel que le Nassérisme, le nationalisme arabe ou le Baasisme n’a amené qu’une amère déception. Il ne ressort aucune fierté de leurs accomplissements. Ce mélange toxique a produit une façon d’être complètement pourrie. Tout le monde arabe en est affligé avec de légères différences liées au contexte historique et culturel spécifique à chaque pays. Cette atmosphère putride, comme je l’ai dit, couvre tous les segments de la société arabe - le grand public et l’élite.

Comme résultat de cette écoeurante atmosphère, les Arabes abandonnent simplement toute raison ou tout respect de soi quand ils sont confrontés a une possibilité d’échec ou de défaite. Ils ne savent pas comment résister ou réagir aux défis posés à leur existence-même, particulièrement concernant la cause palestinienne. Nous sommes devenus des spectateurs désespérés que des étrangers tiennent le premier rôle dans notre propre pièce.

Il existe un souhait inexprimé dans les esprits arabes qui est que le problème palestinien disparaisse d’une manière ou d’une autre, même si cela doit signifier la disparition des Palestiniens eux-mêmes. Nous nous comportons comme si nous étions dans la position de quelqu’un accablé par la responsabilité de prendre soin d’un membre de la famille gravement handicapé, et qui, après de nombreuses années de soins désespérés, souhaite que le parent infirme meure simplement, lui économisant la douleur et l’angoisse de veiller sur l’infortuné.

Ainsi, nous espérons maintenant que les Palestiniens vont tout simplement s’évanouir et nous laisser vivre en paix, nous les autres Arabes, nous laisser profiter le la vie, et nous occuper de ces choses mondaines qui font la vie des autres. Nous ne désirons rien de plus qu’être épargné du spectacle macabre du Palestinien pleurant pour notre aide et en train de mourir.

Alors que nous régurgitons notre angoisse personnelle en nous rappelant les milliers de personnes qui sont martes pour la Palestine, et bien plus encore qui ont été mutilés, nous choisissons d’ignorer le fait que nous avons des pays dans lesquels retourner. Nous avons des maisons et des familles vivant librement sur leur propre terre dans la dignité, alors que les Palestiniens sont morts par dizaines de milliers depuis 1948 et que les autres vivent comme des réfugiés errant sans-abri depuis 1948, pour ne rien dire de ceux qui vivent sous une occupation brutale et humiliante depuis 1967. Les Arabes sentent qu’ils ont souffert de prendre soin de leur parent handicapé, mais leur souffrance approche-t-elle de celle des Palestiniens ?

Le mot qui capture l’humeur du monde arabe est maintenant celui de « business ». Ils discutent de l’augmentation du prix de l’essence, du boom économique explosant partout dans le monde arabe, des réformes des lois économiques et de la libéralisation de l’économie. Les mots comme mondialisation et libre-échange sont du dernier chic maintenant que nous construisons de nouvelles villes pour exprimer cette nouvelle direction dans les sociétés arabes. Tout ça est bel et bon et devait être fait pour améliorer le niveau de vie des Arabes.

Cependant, perdu dans cette euphorie économique, il y a tout le reste. La solution des problèmes du monde arabe repose-t-elle dans la création de quelques milliardaires ? Comment pouvons-nous essayer de réparer le tuyau dans une maison qui brûle ? Si vous sentez que j’exagère les choses, alors regardez autour de vous.

La situation en Palestine n’a jamais été pire. Une nation entière a été mise dans des camps de concentration et est en train de mourir de faim et le monde arabe trouve que cela ne mérite pas l’appellation de crise ? L’Irak est occupée et brutalisée et vous n’appelez même pas à la résistance ou soutenez celle qui est déjà sur le terrain, préférant dénoncer le chaos sans accuser ou demander des comptes à ceux qui en sont responsables. La Somalie est pratiquement à l’agonie et vous n’avez pas bougé.

L’Iran sera bientôt bombardé et alors toute la région sombrera dans plus de chaos mais vous parlez avec enthousiasme de la croissance économique. C’est comme si vous construisiez une maison au-dessus d’un volcan actif et, pire, qui gronde déjà et que tout ce que vous trouviez à faire c’est de parler de la manière dont vous la décorerez.

Et quand quelqu’un, à Dieu ne plaise, résiste ou même pense à résister, il ou elle est traité de fanatique. La défense intrépide du Hezbollah au Liban l’an passé ne leur a valu aucun remerciement de la part des régimes arabes ni de beaucoup au sein du peuple arabe. Ils sont passés sur cette première vraie victoire en six décennies de conflit israélo-arabe avec rien de plus que du mépris.

En plusieurs façons la fille de Qatif, selon l’appellation qu’on lui donne aujourd’hui dans le monde entier, m’apparaît comme une métaphore de ce qui afflige le monde arabe : Une femme violée par une bande et pourtant punie d’avoir été une victime ! Quiconque la défend est aussi considéré comme coupable. Elle symbolise ce qui va complètement de travers dans notre manière d’être dans laquelle les droits donnés par Dieu sont pervertis et où le mauvais devient juste et la cruauté devient la justice.

Aujourd’hui, dans le monde arabe c’est la victime qui est punie, c’est à la victime que l’on ne permet pas de rechercher la justice ou de se défendre. C’est la loi de la jungle dans laquelle le fort est récompensé et le faible persécuté. Alors, sentez-vous libres de faire comme bon vous semble puisque nous sommes devenus des gens dépourvus de toute honte.


Avec nos remerciements à K.

Rim Al Fayçal - Arab News, le 3 décembre 2007 : What Ails Arab World
Traduction : Blog d’Alain Gresh, Nouvelles d’Orient (et Info-Palestine.net, pour les quelques paragraphes manquants)


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