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« Bush et Cheney sont hors de contrôle »

dimanche 18 novembre 2007 - 06h:45

Gabriel Kolko - Spiegel Online

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Dans une entrevue avec SPIEGEL, l’historien militaire vivant à Amsterdam, Gabriel Kolko discute de la perspective de la guerre contre l’Iran et défend l’idée que nombreux sont ceux qui parmi les militaires américains considèrent qu’à présent la Maison Blanche est « hors de contrôle. »

Spiegel Online : M. Kolko, les éditoriaux de la presse américaine comme le Wall Street Journal, l’hebdomadaire Standard et le National Review poussent à l’action militaire contre l’Iran. Comment la direction militaire américaine voit-t-elle un tel conflit ?

Gabriel Kolko : Les militaires américains sont à la limite de la rupture. Ils sont en train de perdre les guerres en Irak et en Afghanistan. Tout est sacrifié pour ces guerres : l’argent, les équipements en Asie, globalement la puissance militaire, etc. Où et comment pourraient-ils ouvrir un autre front ?

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IED explosant sur une route en Afghanistan lors du passage d’une patrouille - Dailymotion

Le Pentagone est à court d’argent pour ses fournitures, et c’est ce dont tant de personnes dépendent dans cette bureaucratie militaire. La situation sera bien plus mauvaise en cas d’une guerre contre l’Iran.

Beaucoup parmi les militaires américains ont compris le dilemme fondamental de la guerre moderne : plus d’argent et de meilleures armes ne signifient pas que vous aller gagner. Les IEDs [Improvised Explosive Devices], qui coûtent tellement peu pour leur fabrication défont une force militaire qui dépense des milliards de dollars par mois. Les IEDS sont si adaptables que chaque nouvelle stratégie développée par les Etats-Unis pour s’en protéger est contrée par les insurgés irakiens.

Les Israéliens également n’ont jamais pu tout à fait parer les IEDs. Un rapport cite un ingénieur militaire israélien disant que la réponse israélienne aux IEDs était fréquemment l’utilisation d’engins de terrassement blindés pour percer efficacement loin en avant 18 pouces de trottoir et de terre où des dispositifs explosifs pourraient être cachés. C’est incroyable, car le coût de ce genre de protection signifie la destruction de routes qui forment la base d’une économie moderne.

Spiegel Online : Les gens au Pentagone sont-ils rendus nerveux par la façon dont les voix influentes à la Maison Blanche continuent de pousser au conflit avec l’Iran ?

Kolko : Beaucoup parmi les militaires des Etas-Unis pensent que Bush et Cheney sont hors de tout contrôle. Ils se rebellent contre Bush et Cheney. Dana Priest, journaliste au Washington Post a récemment déclaré dans une entrevue qu’elle pensait que les militaires américains se révolteraient et refuseraient d’envoyer des missions vers l’Iran si la Maison Blanche émettait de tels ordres.

Le commandant amiral William Fallon du CENTCOM [commandement central des USA, regroupement de militaires dont les responsabilités incluent le Moyen-Orient] aurait contrecarré le souhait de Cheney d’envoyer un troisième porte-avion dans le Golfe Persique. Il a été dit dans un article « qu’il aurait affirmé en privé qu’il n’y aura pas de guerre contre l’Iran tant qu’il dirigerait le CENTCOM. »

Le lieutenant général Bruce Wright, responsable des forces américaines au Japon, a indiqué à Associated Press la semaine dernière que la guerre en Irak avait affaibli les forces américaines face à n’importe quel conflit potentiel avec la Chine. Il a été cité comme disant : « Avons-nous des soucis ? Ils dépendent du scénario. Mais il faut se préoccuper du petit nombre de nos forces et de l’âge de nos forces. »

Spiegel Online : Pensez-vous que le conflit avec l’Iran est probable ?

Kolko : Tous les journaux économiques influents (Financial Times, Wall Street Journal, etc...) reconnaissent que les économies américaines et européennes sont maintenant en crise, et cela pourrait durer. Le dollar chute, les état du Golfe et d’autres peuvent l’abandonner (comme devise d’investissement). Une guerre avec l’Iran produirait un chaos économique car le pétrole se ferait rare. Il y a des états que les Etats-Unis souhaitent isoler, comme la Russie et le Venezuela qui pourraient alors développer une grande influence par leur capacité à vendre du pétrole durant une telle crise. L’équilibre de la puissance économique du monde est en jeu, et c’est une grande question.

Spiegel Online : Mais les états du Golfe ne sont-ils pas intéressés à voir l’Iran affaibli par un conflit avec les Etats-Unis ?

Kolko : Les état du Golfe n’aiment pas l’Iran chiite, mais ils exportent le pétrole qui fait leur richesse. Ils dépendent de la paix, pas de la guerre.

Spiegel Online : Comment l’Iran réagirait-il à une provocation venant des Etats-Unis, par exemple à la frontière ? Les militaires iraniens pourraient-ils de quelque façon être un adversaire pour les Etats-Unis ?

Kolko : L’Iran a combattu l’Irak pendant environ une décennie et a perdu des centaines de milliers d’hommes. Peut-être ce sera à nouveau le cas le cas, mais c’est peu probable. Il y a un certain nombre d’îles minuscules dans le golfe qu’ils ont pu se fortifier pendant des années. Est-ce que 90 pour cent de leurs armes peuvent être détruites ? Même si les ces Etats-Unis y parviendraient, le reste serait suffisant pour couler beaucoup de bateaux et pétroliers. La quantité de pétrole exportée par le Golfe serait de ce fait réduite, peut-être même cesserait-elle tout à fait. Ceci ne ferait que renforcer les rivaux américains comme la Russie et le Venezuela.

Spiegel Online : Mais que dites-vous-vous des bombes anti-bunkers ? Ne s’agit-il pas d’une technologie à laquelle l’Iran ne pourrait pas s’opposer ?

Kolko : Les bombes anti-bunkers ne peuvent que détruire un certain nombre d’installations souterraines, mais pas toutes. Si ces bombes sont nucléaires elles seront très efficaces, mais elles seront également radioactives. En plus de massacrer les Iraniens, elles tueront également des alliés et des soldats américains se trouvant à proximité.

Spiegel Online : Que dites-vous du prétendu « plan Cheney » laissant Israël attaquer l’Iran ? Quel rôle Israël jouerait-il dans un conflit avec l’Iran ? Israël n’est-il pas également intéressé à voir les Etats-Unis affaiblir son plus grand rival dans la région ?

Kolko : Israël peut être un facteur. Mais ils devront traverser l’espace syrien et jordanien, et les Iraniens seront prêts si [les avions israéliens] ne sont pas abattus en survolant la Syrie. Leurs ripostes peuvent être efficaces, mais peut-être pas... La guerre avec l’Iran entraînera une pluie de fusées et Israël en sortira en étant alors dans l’incapacité de traiter ses priorités locales. L’Iran est susceptible de fabriquer des armes nucléaires tôt ou tard. Comme le feront d’autres nations. Israël en possède déjà des centaines. Les stratèges israéliens estiment que la dissuasion sera alors effective. Pourquoi alors prendre des risques dans une guerre ?

Les Israéliens détestent l’Iran et ne supportent pas l’idée qu’il existe des armes nucléaires iraniennes, mais ils estiment aussi pouvoir gérer cela avec des moyens préventifs. Israël a besoin de son armée, qui n’est pas assez forte cependant pour faire face à de possibles problèmes avec ses voisins — les Palestiniens et les voisins Arabes, qu’ils craignent et détestent. Cela signifie qu’Israël peut être belligérant mais sans être capable de jouer le rôle des Etats-Unis, excepté naturellement en usant d’armes nucléaires.

Je considère plutôt les Israéliens plutôt comme des adversaires d’une guerre avec l’Iran à laquelle ils participeraient. Ils ont certainement noté comment lors de la guerre avec le Liban, les Palestiniens dans Gaza ont saisi l’occasion pour augmenter la pression au sud d’Israël. Les Israéliens se sont opposés à la guerre contre l’Irak parce qu’elle mènerait à une influence dominante iranienne dans la région, ce qu’elle a fait.

Par conséquent les informations selon lesquelles Cheney essaye d’utiliser Israël, si elles sont exactes, prouvent qu’il est en plein confusion et tout à fait dérangé — mais aussi particulièrement isolé.

Spiegel Online : Mais que dites-vous du parti démocrate ? N’est-il pas dans l’intérêt du parti démocratique de faire tout son possible pour en finir avec la guerre ?

Kolko : Chacun des trois principaux candidats du parti démocrate à l’investiture — Clinton, Obama et Edwards - ont refusé lors d’un récent débat dans le New Hampshire de promettre de retirer les militaires américains d’Irak au début de 2013. Le public américain est un facteur mineur comme les élections l’ont à plusieurs reprises montré, mais il peut jouer aussi un certain rôle. N’importe qui estimant que les démocrates mettront un terme aux guerres se dupe lui-même. Mais la guerre avec l’Iran exigerait de nouvelles autorisations. Alors le congrès, potentiellement, pourrait être très important.

Interview réalisé par John Goetz.

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Gabriel Kolko

Gabriel Kolko est historien. Il est l’auteur de "Anatomy of a War : Vietnam, the United States, and the Modern Historical Experience".

Du même auteur :

- « Quoi qu’ils fassent, les USA perdront la guerre d’Irak »
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Video

- Dailymotion : IED en Afghanistan
- Dailymotion : IED en Irak

16 octobre 2007 - Spiegel Online - Vous pouvez consulter cet article sur le site :
http://www.vaiw.org/vet/index.php?n...
[Traduction : AIO - Palestine.net]


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