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Réaliser le rêve divin pour la Terre Sainte

lundi 12 novembre 2007 - 06h:55

Desmond Tutu - The Boston Globe

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Toutes les fois où l’on ma demandé si j’étais optimiste quant à une solution au conflit israélo-palestinien, je réponds que je ne le suis pas. L’optimisme exige des indications claires que les choses sont en train de changer - des paroles avec du sens et des actes non ambiguës qui signifient de réels progrès. Je n’ai pas encore entendu de paroles significatives, pas plus que je n’ai vu d’actes sans ambiguïté pour justifier un quelconque optimisme.

Cependant, cela ne signifie pas que je suis sans espoir. Je suis un chrétien. Je suis contraint par ma foi à espérer et espérer, plaçant ma confiance dans des choses jusqu’ici invisibles. L’espoir persiste face à l’évidence du contraire, jamais découragé par les reculs et les déceptions. Persistant à espérer, je suis persuadé qu’une solution sera trouvée. Elle ne sera pas parfaite, mais elle peut être juste ; et s’il est juste, elle permettra un futur de paix.

Mon espoir pour la paix n’est pas amorphe. Il a une forme. Ce n’est pas la forme d’une solution politique particulière, bien qu’il y ait quelques solutions politiques que je pense être plus justes que d’autres.
Mon espoir n’a pas l’apparence d’un peuple particulier, bien que j’ai inlassablement parlé pour qu’une attention internationale soit accordée à la misère des Palestiniens, et j’ai vertement condamné les injustices de certaines politiques israéliennes responsables de cette misère. Aussi je suis souvent accusé de prendre le parti des Palestiniens face aux juifs israéliens, de soutenir naïvement [les Palestiniens] et de démoniser injustement [les Israéliens].

Néanmoins, j’insiste sur le fait que l’espoir dans lequel je persiste n’est pas réductible à la politique ou n’est pas identifié avec un peuple. Il a une forme plus générale. J’aime à l’appeler le « rêve de Dieu. »
Dieu a un rêve pour tous ses enfants. C’est qu’un jour tous les peuples jouissent fondamentalement de la sécurité et vivent exempt de crainte. C’est qu’un jour tous les peuples aient une terre hospitalière sur laquelle établir un état. Plus que toute autre chose, le rêve de Dieu est qu’un jour tous les peuples disposent d’une dignité également accordée parce que ce sont des êtres humains. Dans le beau rêve de Dieu, aucune autre raison n’est exigée.

Le rêve de Dieu débute quand nous commençons à nous connaître différemment, comme porteurs d’une humanité commune, pas comme statistiques à évaluer, de problèmes à résoudre, d’ennemis à vaincre ou d’animaux à mettre en cage. Le rêve de Dieu commence lorsqu’un adversaire contemple l’autre dans les yeux et s’y voit lui-même reflété.

Tout devient possible possibles quand les coeurs bloqués sur un mépris mutuel commencent à saisir une vérité qui les transforment ; à savoir que cette personne que je crains et que je dédaigne n’est pas un étranger, quelque chose de moins qu’un humain. Cette personne est à l ?infini semblable à moi, éprouve du plaisir et souffre, aime et craint, s’interroge, s’inquiète et espère. Comme moi-même, cette personne désire ardemment le bien-être dans un monde en paix.

Le rêve de Dieu commence par cette reconnaissance mutuelle - nous ne sommes pas étrangers, nous sommes parents. Elle amène à la défaite de l’oppression commise au nom de la sécurité et de la violence infligée au nom de la libération. Les rêves de Dieu défont le cynisme et le désespoir qui ont par le passé ouvert le chemin pour que la haine fasse sa route corrosive parmi nous et pour que la violence vorace saisisse tout ce qui se présente.

Le rêve de Dieu se met à fleurir quand quiconque qui prétend être complètement innocent abandonne cette illusion, quand quiconque qui place un blâme absolu sur les autres renonce à ce mensonge, et enfin lorsque des histoires différentes deviennent l’histoire d’une aspiration humaine partagée. Le rêve de Dieu se termine par la guérison et la réconciliation. Son fruit le plus doux est que l’humanité s’épanouisse dans un univers moral.

En attendant, entre la racine de la solidarité humaine et le fruit de l’intégrité humaine, il y a le dur travail de dire la vérité.

Par mon expérience en Afrique du Sud je sais que dire la vérité est dur. Cela a des conséquences graves sur la vie et la réputation de chacun. La foi est mise à l’épreuve, comme la capacité à aimer, et l’espoir est repoussé à ses limites. Parfois, la difficulté de ce travail peut vous faire vous demander si les gens n’ont pas raison à votre sujet, à savoir que vous êtes un imbécile.

Personne ne prend ce travail pour une partie de plaisir. Ce n’est pas un choix. On s’y sent noyé. Ce n’est pas un travail pour un moment mais plutôt pour une vie - et pour plus qu’une vie. C’est un projet plus long que n’importe quelle vie. Cette longueur de vue est une source d’encouragement et de persévérance. Savoir que le travail nous a précédés et continuera après nous est la source d’une joie profonde qu’aucune circonstance ne peut altérer.

Rien, cependant, ne diminue la crainte et le tremblement qui accompagnent le discours de la vérité face au pouvoir. Une conscience aiguë de sa faillibilité est un compagnon constant dans cette tâche, mais parce que rien n’est plus important dans la situation actuelle que de parler avec toute la sincérité possible il ne peut y avoir aucune limite imposée au témoignage de ce que chacun a vu et entendu.

Qu’est-ce que je vois et entends en terre sainte ? Certains ne peuvent pas se déplacer librement d’un endroit à l’autre. Un mur les sépare de leurs familles et de leurs sources de revenus. Ils ne peuvent pas aller dans leurs jardins ou suivre leurs leçons à l’école. Ils sont arbitrairement humiliés aux checkpoints et sans justification cernés par un toile de règlements bureaucratiques. Je m’afflige pour les dommages imposés quotidiennement aux âmes et aux corps de ce peuple. Je dois dire la vérité : cela me rappelle le joug de l’oppression qui était par le passé notre fardeau en Afrique du Sud.

Je vois et entends que d’antiques oliviers sont déracinés. Des troupeaux sont coupées de leurs pâturages et de leurs bergers. Des maisons sont rasées au bulldozer alors que de nouvelles maisons sont illégalement construites pour d’autres sur la terre d’autres. Je m’afflige pour la terre qui souffre une telle violence, la perte de sa beauté, la perte de sa quiétude, le dépouillement de ses fruits. Je dois dire la vérité : cela me rappelle les jours amers de déracinement et de dépouillement dans mon propre pays.

Je vois et entends que des jeunes croient héroïque et pieux de tuer d’autres en se tuant. Ils attachent des bombes à leurs torses pour être libres. Ils ne savent pas que la libération gagnée par la brutalité finira par échouer. Je m’afflige de la perte de leurs vies et des vies qu’ils prennent, de a perte de la sécurité personnelle et commune qu’ils causent, et de l’envie de vengeance qui succède à leurs crimes, repoussant toutes raison et contrainte. Je dois dire la vérité : cela me rappelle la colère explosive qui avait aussi enflammé l’Afrique du Sud.

Certains sont exaspérés par les comparaisons entre le conflit israélo-palestinien et ce qui s’est produit en Afrique du Sud. Il y a des différences entre les deux situations, mais une comparaison n’a pas besoin d’être exacte sur chaque point pour éclairer ce qui perdure. D’ailleurs, pour ceux d’entre nous qui ont vécu les horreurs de la déshumanisation de l’ère de la ségrégation, la comparaison semble non seulement justifiée mais également nécessaire. Elle est nécessaire si nous devons persévérer dans notre espoir que les choses peuvent changer.

En effet, en raison de ce que j’ai vécu en Afrique du Sud, j’abrite un vaste et irrationnel espoir pour Israël et les Territoires Palestiniens. Les Africains du sud n’avaient après tout, eu aucune raison de supposer que le mauvais système et les cycles de la violence qui détruisaient l’âme de notre nation puissent jamais changer. Il n’y avait rien de spécial ou de différent au sujet des Africains du sud pour mériter ce pour quoi nous avons prié, travaillé et souffert tellement longtemps.

La plupart des Africains du sud n’ont pas cru qu’ils vivraient en voyant leur libération. Ils n’ont pas cru que les enfants de leurs enfants la verraient. Ils n’ont pas cru qu’un tel jour puisse même exister, excepté en imagination. Mais nous l’avons vue. Nous vivons maintenant ce jour que nous avons si ardemment désiré.

Ce n’est pas un jour sans nuages. L’arc divin qui se plie vers une société véritablement juste et unie ne s’est pas encore détendu entièrement à travers le ciel de mon pays comme un arc-en-ciel de paix. Tout n’est pas terminé, toutes les promesses ne sont pas réalisées, tout n’est pas parfait - mais tout est nouveau. Un fait nouveau, comme un rêve de Dieu, est survenu pour remplacer l’ancienne histoire de la haine et de l’oppression.

Je l’ai vu et l’ai entendu, et pour cette vérité aussi, je suis obligé de témoigner - si elle peut naître en Afrique du Sud, elle peut naître entre les Israéliens et les Palestiniens. Il n’y a pas beaucoup de raison d’être optimiste, mais il y a tout lieu d’espérer.

* Desmond Tutu est ancien archevêque du Cap, Président de la Commission sud-africaine Vérité et Réconciliation, et lauréat du prix Nobel de la paix. Site internet : http://www.tutu.org

Du même auteur :

- Apartheid en Terre Sainte

26 octobre 2007 - The Boston Glob - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.boston.com/news/globe/ed...
Traduction : Claude Zurbach


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