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Les poudrières du Moyen-Orient

vendredi 2 novembre 2007 - 06h:49

Henri Guirchoun & René Backmann - Le Nouvel Observateur

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Turquie, Iran, Syrie, Israël, Palestine...

Les crises qui se multiplient de la Méditerranée au golfe Persique portent en germe des risques de conflits dont les retombées pourraient ne pas épargner l’Europe

Bruits de bottes à la frontière turco-irakienne, piétinement des préparatifs de la conférence d’Annapolis sur la question israélo-palestinienne, inquiétudes et interrogations sur la situation intérieure de l’Iran et les projets de Téhéran en matière d’énergie nucléaire, mystères autour d’un raid aérien israélien sur une cible syrienne : des rives de la Méditerranée aux confins instables de l’Afghanistan en passant par le meurtrier chaos irakien, les crises, ouvertes ou rampantes ; se multiplient au Moyen-Orient. Toutes ou presque portent en germe des risques majeurs de conflits dont les retombées ; notamment en matière de terrorisme et d’approvisionnement pétrolier, pourraient ne pas épargner l’Europe. Voici, en cinq questions, le point sur ces poudrières.

Le risque d’une intervention militaire de la Turquie en Irak est-il réel ?

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René Backmann

Plusieurs dizaines de soldats tués, des prisonniers, une série d’attentats à Istanbul et dans des stations balnéaires de l’ouest du pays : la colère de la Turquie, où les manifestations en faveur d’une intervention massive contre les bases du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) se multiplient, n’est pas injustifiée. Jusqu’à présent, en dépit du vote du Parlement favorable à une intervention et du déploiement de 100 000 soldats le long de la frontière avec l’Irak, la Turquie a fait preuve d’une réelle retenue en privilégiant les démarches diplomatiques. Mais une opération militaire sur les monts Qandil, refuge de la guérilla kurde en Irak, demeure probable.

Même si les généraux turcs eux-mêmes savent parfaitement qu’elle ne les débarrassera pas du PKK. Si les dirigeants d’Ankara répètent qu’ils sont « à bout », c’est d’abord pour faire comprendre à leurs voisins irakiens comme à leurs partenaires occidentaux - l’Amérique ; l’Europe ; l’Otan - que la Turquie ne restera pas seule prise au piège et que chacun doit aujourd’hui prendre ses responsabilités. Car, au-delà des attaques du PKK ; c’est la question nationale kurde - de 25 à 30 millions de personnes, pour la plupart réparties dans quatre pays : l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Syrie - qui n’a toujours pas trouvé de solution probante et qui risque cette fois d’amorcer un engrenage fâcheux.

En Turquie d’abord ; où toute intervention aurait des répercussions néfastes sur la vie des 12 millions de Kurdes qui demeurent dans l’attente de droits spécifiques. Une aventure extérieure permettrait aussi à l’armée turque et aux kémalistes de reconquérir le terrain perdu sur le plan politique après les deux victoires électorales consécutives remportées par l’AKP, le parti islamiste modère du Premier ministre ; Tayyip Erdogan. Et un retour en force des militaires ; associé à un gel du débat démocratique ; donnerait de nouveaux arguments aux adversaires de l’entrée de la Turquie en Europe.

En Irak ensuite, où la zone autonome du Kurdistan, protégée depuis 1991 par les Américains ; est aujourd’hui la seule région à peu près paisible d’un pays dévasté par la guerre et le terrorisme. Certes, les autorités kurdes du nord de l’Irak ont toujours veillé à contenir ; parfois par la force ; l’influence des rebelles du PKK. Mais une invasion de leur territoire risquerait de les contraindre à une solidarité naturelle qui verrait les redoutables peshmergas - les combattants kurdes du nord de l’Irak, armés par les Etats-Unis s’affronter aux troupes turques.

Que resterait-il alors de l’Irak ? Le souvenir d’une déroute américaine et un pays démembré, en proie à la guerre civile et aux appétits de ses voisins. Déjà, négligeant les appels de Washington à la prudence, l’Iran, lui aussi en proie à une guérilla kurde, encourage discrètement la Turquie à intervenir. Or un rapprochement stratégique entre Téhéran et Ankara serait moins opportun que jamais.

La mystérieuse attaque par l’aviation israélienne, le 6 septembre, d’une cible en Syrie était-elle destinée à détruire un objectif militaire dangereux ou à lancer un avertissement au principal allié de Damas, Téhéran ?

Après une longue période de mutisme des deux capitales, Damas et Jérusalem ont admis simultanément que la frappe visait un bâtiment militaire désaffecté (selon Damas) et une installation militaire (selon Jérusalem). Selon des fuites en provenance du Département d’Etat et du Pentagone, il s’agirait d’un réacteur nucléaire en construction ; sur le modèle d’une centrale nord-coréenne. Au-delà de la mauvaise humeur diplomatique, la réaction de Damas a été étonnament modérée. En Israël, en revanche, plusieurs responsables politiques et militaires se sont réjouis de ce que cette opération ait contribué à rétablir leur capacité de dissuasion, mise à mal par la guerre du Liban. Précision : le système de défense antiaérien dont dispose la Syrie est de fabrication russe, tout comme celui qui équipe l’armée iranienne...

Comme à la veille de l’invasion de l’Irak en 2003, l’annonce de nouvelles sanctions de Washington contre trois banques iraniennes marque-t-elle un pas de plus vers la guerre ?

Les services de renseignement et les experts ne sont toujours pas parvenus à une évaluation précise du risque nucléaire iranien. Directeur de l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, qui n’est toujours pas convaincu de la volonté des Iraniens de se doter de l’arme nucléaire, estime que, même s’ils le voulaient, ils ne pourraient en disposer avant de trois à huit ans. Invoquant le caractère imprévisible - donc dangereux - du président iranien Mahmoud Ahmadinejad ; Washington affirme que la voie diplomatique doit être privilégiée, tout en répétant que toutes les options sont ouvertes.

L’administration Bush n’ignore pas que la proposition de nouvelles sanctions internationales risquerait de se heurter, aux Nations unies ; à l’opposition de la Russie et de la Chine. En visant les gardiens de la révolution - aujourd’hui financièrement ; et demain peut-être par des frappes ciblées - les Etats-Unis cherchent non seulement à affaiblir le clan des durs ; d’où est issu le président, mais aussi à le faire apparaître aux yeux des Iraniens comme responsable des difficultés économiques créées par les sanctions. Avec en ligne de mire les élections législatives de mars prochain ; d’où les alliés politiques d’Ahmadinejad pourraient sortir très affaiblis, et les modérés, renforcés.

La conférence internationale d’Annapolis, prévue pour la fin novembre, réussira-t-elle à ranimer le processus de paix israélopalestinien ?

« II ne faut attendre aucune percée historique de la conférence d’Annapolis » : c’est le Premier ministre israélien en personne qui a prononcé cette mise en garde lors de sa récente tournée en Europe, au cours de laquelle il a notamment été reçu par Vladimir Poutine et Nicolas Sarkozy. Ehoud Olmert a de bonnes raisons d’inciter ses interlocuteurs - et ses concitoyens - à la prudence : même la présence il y a deux semaines en Israël et dans les territoires palestiniens de la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, n’a pas permis de résoudre le problème qui bloque encore les préparatifs de la conférence, empêchant Washington de lancer des invitations formelles et de fixer une date. Les Palestiniens, qui voudraient faire de cette conférence la première étape concrète d’une négociation débouchant sur la création de leur Etat, veulent inscrire à son ordre du jour les questions centrales que sont celles des frontières, du sort des réfugiés, de l’avenir des colonies, de Jérusalem.

Les Israéliens, eux, estiment que cette conférence ne peut être que le point de départ d’un nouveau processus de négociations et souhaitent donc que la « déclaration conjointe » qui doit ouvrir les travaux soit aussi vague que possible. Les chefs de deux des principaux partis alliés à Ehoud Olmert menacent de quitter la coalition au pouvoir - c’est-à-dire de provoquer la chute du gouvernement - si les points réclamés par les Palestiniens figurent dans la déclaration. En outre, au moment même où ces préparatifs sont en cours ; Israël multiplie les signaux contradictoires : tandis que certains dirigeants se déclarent favorables au transfert de plusieurs localités de Jérusalem-Est au futur Etat palestinien ; le gouvernement israélien confisque des terres à l’est de Jérusalem pour construire les routes qui doivent contourner le mur de séparation... Et le négociateur palestinien Ahmed Qoreï évoque le risque d’une « troisième Intifada » si la conférence échoue...

Le conflit entre le Hamas et le Fatah est-il un obstacle à une éventuelle reprise du processus de paix ?

Indiscutablement. D’abord parce qu’il affaiblit spectaculairement le président palestinien, Mahmoud Abbas, qui est censé représenter l’ensemble des Palestiniens et qui n’exerce en fait une autorité gouvernementale théorique que sur les 2,5 millions d’habitants de la Cisjordanie. Les autres 1,5 million - sont confinés dans la bande de Gaza ; surpeuplée, qui demeure sous le contrôle du « gouvernement » du Hamas, présidé par Ismaïl Haniyeh. Ce problème de représentativité est si réel qu’un ministre israélien, Ami Ayalon, a suggéré la semaine dernière à Ehoud Olmert d’inviter le Hamas à la conférence d’Annapolis.

En outre, on voit mal comment Mahmoud Abbas, qui pourrait jouer son destin politique - et peut-être sa vie - lors de cette conférence, si elle se tient, parviendrait à faire avaliser par son peuple les résultats - quels qu’ils soient, d’une négociation, si le territoire du futur Etat de Palestine demeure divisé entre deux zones géographiques, la Cisjordanie et la bande de Gaza. La seconde, désormais tenue par Israël pour une « entité hostile », étant soumise à un blocus impitoyable. Les tentatives de renouer le dialogue entre Mahmoud Abbas et le gouvernement d’Ismaïl Haniyeh sont, il est vrai, compliquées par l’existence au sein du Hamas d’une branche armée et d’une branche politique, d’une aile intérieure et d’une aile extérieure basée en Syrie. Chacune défendant ses intérêts, et ceux de ses parrains...

Du même auteur :

- René Backmann, auteur d’"Un mur en Palestine" invité à Alger
- Bil’in : "Des décisions difficilement applicables"
- "Les bons signes sont encore à venir"

Henri Guirchoun & René Backmann - Le Nouvel Observateur, n° 2243, semaine du jeudi 1er novembre 2007


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