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Pourquoi la Birmanie n’est pas l’Irak

mardi 16 octobre 2007 - 06h:42

Ramzy Baroud

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Des moines bouddhistes manifestent dans les rues de Rangoun, en Birmanie, le 24 septembre 2007 - Photo : AFP

L’invasion de l’Irak en 2003 a permis de faire deux importantes constatations. Tout d’abord que les puissances impériales agissent uniquement pour préserver leurs intérêts, et ensuite qu’une intervention humanitaire --- c’est-àd-dire l’impérialisme humanitaire --- est la plupart du temps suivi et encouragé par les médias et les milieux officiels pour masquer les véritables buts tout à fait égoïstes de l’agression.

C’est un fait que beaucoup d’Américains sont toujours persuadés que l’Irak a hébergé Al-Qaeda, qu’elle a développé des armes de destruction massive et a menacé la sécurité des Etats-Unis. Mais qui peut les en blâmer ? Comparons l’implacable campagne de fabrications de toutes pièces et de demi-vérités qui a précédé l’invasion --- grâce à l’administration Bush et à ses alliés présents dans les médias --- aux piètres résultats que cet aventurisme militaire a réellement atteints par rapport aux objectifs mis en avant.

Chaque facette de la machine de propagande américaine allait sans cesse dans le sens de la justification de la guerre ; bien que n’étant pas le premier prétexte, les horreurs de l’Irak de Saddam ont été à plusieurs reprises soulignées. Etaient mises en avant aussi les élites irakiennes exilées « prouvant » que la guerre américaine était en phase avec les appels désespérées des « masses » irakiennes.

Oubliez le nombre de personnes ensuite envoyées à la boucherie en toute impunité. Comparez encore l’attention accordée aux victimes de Saddam à celle donnée aux victimes de la guerre menée par les Etats-Unis (estimées à plus d’un million) et qui n’ont pas été présentées comme victimes mais plutôt comme bénéficiaires reconnaissants.

Quelques mois après le début de l’invasion, un dirigeant néo-conservateur américain me rétorquait dans une entrevue que l’expérience de la démocratie en Irak était si réussie que « des Iraniens m’appellent à mon bureau disant en colère, ?comment se fait-il que vous ayez libéré les Irakiens et que vous ne nous ayez pas encore libérés ?? ».

Aussi pourquoi les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne répondent-ils pas à la situation en Birmanie avec la même détermination que celle montrée pour l’Irak, et maintenant l’Iran ? Pourquoi les médias ne se sont-ils pas précipités pour en faire un casus belli contre le régime brutal du général Than Shwe qui non seulement prive son peuple de toute liberté politique mais aussi des conditions minimales permettant une vie décente ? Pour maintenir leur niveau de vie exhorbant au milieu d’une écrasante pauvreté, les généraux de la junte ont fait exploser les prix de carburant de 500% en août.

Cette décision a poussé les moines birmans — symboles légendaires de paix et de résistance - à manifester en masse, demandant une plus grande compassion à l’égard des pauvres. Les manifestations qui ont débuté dans une ville rurale le 19 août ont débouché sur des rassemblements massifs de centaines de milliers de personnes qui ont duré plusieurs semaines.

Les médias ont établi avec raison des parallèles entre la dernière révolution safran et le soulèvement de 1988 lorsque les étudiants de Rangoon avaient organisé des manifestations dans tout le pays, lesquelles ont été réprimées brutalement par l’armée et avaient fait 3000 morts. Le général Than Shwe a ensuite accédé à la tête de la junte en 1992 et a régné avec une poigne de fer.

Cependant, sa lutte contre la démocratie n’était pas une raison suffisante pour empêcher de grandes multinationales de chercher de juteux contrats dans ce pays riche en gaz. Il a accumulé une fortune et ses subordonnés ont continué à parcourir le globe sans difficultés, alors que les Birmans continuaient de souffrir.

Ceci a par la suite conduit à la dernière révolte qui a été à nouveau écrasée sans l’ombre d’un remords. Cette fois le nombre de morts demeure inconnu ; les évaluations vont de 200 à 2000 tués. Des milliers de personnes ont été également arrêtées et beaucoup de moines ont été très probablement torturés, et leurs monastères ont été investis.

Du point de vue médiatique, aucune révolution ne pourrait être plus sympathique et attrayante.

Mais, naturellement, il faudrait plus que quelques dizaines de milliers de moines conduisant des centaines de milliers des pauvre dans des manifestations de masse pour que l’attention reste fixée longtemps sur la Birmanie.

Les dirigeants occidentaux, anticipant la critique, ont fait le service minimum mais du bout des lèvres. Le premier ministre britannique Gordon Brown a dénoncé l’utilisation de la violence contre des manifestants et a exigé des sanctions européennes. Le Président Bush a déclaré que les Américains « sont solidaires de ces courageuses personnes ».

Israël pour sa part a nié ses liens militaires avec la junte, en dépit des évidences contraires. Israël a justifié sa réticence à vouloir influencer la situation en raison du passé — La Birmanie a été le premier pays du sud-est asiatique à reconnaître Israël. Les nations Unies ont envoyé leur délégué en Birmanie rencontrer le général Than Shwe, et Ibrahim Gambari a dû attendre plusieurs jours avant qu’il lui soit permis d’exprimer les inquiétudes de la communauté internationale. Et c’est tout.

La Birmanie est aussi importante pour la Chine que l’est le Moyen-Orient pour les Etats-Unis. La Chine s’inquiète plus de la stabilité politique de ses voisins que des droits de l’homme et de la démocratie ; les Etats-Unis s’inquiètent qu’une telle situation puisse gêner sa capacité à défendre ses propres intérêts militaires et économiques.

La Chine est la quatrième économie au monde et sera bientôt la troisième. Elle dispose de 1400 milliards de dollars en réserve, la plupart en bons du Trésor américain. Son influence sur le système financier mondial est indéniable, et en aucun cas elle ne permettra aux Etats-Unis de jouer un rôle significatif dans un pays avec qui elle partage une frontière de 2000 kilomètres.

Les Etats-Unis manifestent modérement leur soutien à la démocratie en Birmanie, et leur « appui » au chef de l’opposition Aung San Suu Kyi et à sa ligue nationale pour la démocratie vise à garder un pied en Birmanie dans le cas d’un éventuel rôle dans le futur si les rapports entre l’occident et de la Chine tournent à l’aigre.

L’impérialisme humanitaire a prouvé qu’il pouvait être plus destructif que les injustices qu’il est censé supprimer. Mais ne vous en attendez à rien de tel dans le cas de la Birmanie, parce que l’intervention ne servirait pas les intérêts des parties influentes - ni l’occident, ni la Chine, ni la Russie.

Nous pourrons peut-être assister à quelques réunions polies entre Aung San Suu Kyi et les représentants des généraux, et voir peut-être quelques gestes de bonne volonté venant de ce dernier à la demande de la Chine et de l’occident. Mais ces réunions n’amèneront aucune réforme de fond, ni la démocratie ni les droits de l’homme. Ceux-ci pourront uniquement être gagnés par le peuple de Birmanie, ses moines, ses militants de la société civile et par les gens du peuple.

Si l’Irak a pu être une leçon de valeur, c’est que les Birmans sont bien mieux sans raids aériens et bombardements américains, sans napalm britannique sous couvert d’intervention. Les réformes et la véritable démocratie peuvent seulement être gagnées de l’intérieur, des poings fermés des dépossédés déterminés.

En effet, la Birmanie n’est pas l’Irak, et que Dieu en soit remercié.

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »

Site Internet :
www.ramzybaroud.net

Du même auteur :

- Liban - Syrie : la politique d’assassinats
- Mourir sans avoir été vaincu
- Surmonter le racisme
- Ben Laden, le retour !

Sur le même thème :

- L’aide militaire israélienne au régime Birman

12 octobre 2007 - Al Ahram weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/866...
[Traduction : Claude Zurbach - Info-Palestine.net]


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