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Le vote du Sénat américain sur la division de l’Irak enflamme les Arabes

samedi 6 octobre 2007 - 06h:49

Alain Campiotti - Le Temps

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La proposition des sénateurs n’est pas contraignante, mais elle a entraîné une levée de boucliers.

Balfour, pour les Arabes, est un gros mot. C’est le nom de la déclaration britannique de 1917 qui promettait aux juifs la création d’un foyer national en Palestine : elle portait la signature du secrétaire au Foreign Office, Arthur James Balfour. Joseph Biden, candidat à la présidence des Etats-Unis, vient d’acquérir d’un coup dans la région une réputation presque aussi mauvaise. Le démocrate est le principal avocat d’une résolution, adoptée la semaine passée par le Sénat américain, qui propose la division de l’Irak en trois régions dotées de grands pouvoirs, avec un gouvernement central aux compétences limitées.

La réaction des Arabes n’a pas traîné : ils s’étranglent d’indignation devant ce qu’ils ont immédiatement interprété comme un plan de partition. C’est un « crime », écrit le quotidien Al Hayat. Pire : c’est un « Balfour » irakien.

Le sénateur démocrate n’a pas choisi le meilleur moment pour demander l’onction du Capitole à une idée qu’il défend depuis des mois. Le conflit irakien s’est développé en tensions régionales selon un modèle ancien et redoutable : sunnites contre chiites, Arabes contre Persans - les Iraniens -, avec les Kurdes en embuscade. Relancer un projet fédéral extrême, dans ce contexte, c’est comme lâcher une allumette dans un baril de pétrole. Le monde arabe voit déjà une partie de sa peau partir en lambeaux : le sud de l’Irak sous le contrôle de Téhéran, le nord emporté par les Kurdes ; ne resterait au centre qu’un moignon sunnite, sans or noir, alors que le reste du pays en est imbibé.

Ingérence intolérable

Cette montée de fièvre intervient au moment où la lutte pour le pétrole reprend entre le gouvernement de la région autonome kurde et le pouvoir central. Une série de contrats ont été signés par Erbil, capitale kurde, avec des compagnies étrangères (en particulier Canal Energy, une société à capitaux suisses) pour l’exploitation de puits et la construction de deux raffineries. Or Bagdad conteste à Erbil le droit de négocier ces accords industriels. Dans le même temps, les Kurdes accroissent leur pression sur Kirkouk, grand centre pétrolier qu’ils revendiquent, en mettant en ?uvre un plan de dédommagement en faveur des Arabes qui acceptent de quitter la ville où Saddam Hussein les avait installés.

Hoshiyar Zebari, le ministre irakien des Affaires étrangères, qui est Kurde, a dénoncé la résolution Biden. Mais il ne parle pas au nom de son peuple, qui s’en réjouit et rêve d’indépendance au-delà de l’autonomie. C’est justement le « nouveau Balfour » que redoute le monde arabe, et la condamnation est montée de partout comme une vague, y compris à Bagdad même. Le vote du Sénat américain, même s’il n’est pas contraignant, est rejeté comme une ingérence intolérable dans les affaires intérieures irakiennes, comme une violation supplémentaire du droit international. Comme un conseil inadmissible venant de ceux qui, après avoir détruit l’Irak, imaginent de le dépecer. L’argumentation verse parfois dans l’outrance fantasmagorique : l’Amérique organiserait le morcellement de tout le Proche-Orient pour le plus grand profit d’Israël.

Hypocrisie

Naturellement, l’administration Bush a aussi condamné le vote des sénateurs démocrates, auxquels se sont joints la moitié des républicains. « Une vraie faute », a dit Condoleezza Rice. Une proposition qui n’amènerait aux Irakiens que des souffrances nouvelles, a ajouté l’ambassadeur à Bagdad. Il fallait apaiser les seuls alliés que les Etats-Unis ont dans la région, tous arabes.

Dans les hauts cris qui ont accueilli la résolution Biden, il y a cependant passablement d’hypocrisie. Les chiites irakiens se sont joints au concert de dénonciations. Mais au moment de la rédaction de la nouvelle Constitution du pays, leur plus puissant parti s’était battu avec acharnement pour donner aux provinces la plus large autonomie, avec le projet avoué de créer une région sud aussi peu soumise que possible à Bagdad. C’était leur affaire, bien sûr, et pas celle des élus américains. L’autre hypocrisie est dans les capitales arabes : les régimes autoritaires volent au secours de l’unité irakienne par crainte que soient aussi contestés, chez eux, des arrangements institutionnels, et que s’affirment des désirs d’autodétermination.

Alain Campiotti, Beyrouth

Les « mercenaires » de Blackwater sous le feu des critiques

Face aux élus, le patron a justifié les agissements de ses guerriers

La balle a traversé la tête de Haithem Ahmed. Pas de coup de semonce préalable, pas de tension particulière à Bagdad, mais ce projectile qui a tué instantanément l’Irakien alors qu’il circulait dans une voiture aux côtés de sa mère. Le conducteur mort, le véhicule s’emballe. Et les « mercenaires » de Blackwater aussi : ils arrosent de centaines de balles la place Nisour, noire de monde, où les passants tentent désespérément de se mettre à l’abri. Des grenades sont lancées, et les hélicoptères des gardes privés interviennent rapidement pour achever le travail. Bilan : au moins 17 civils irakiens tués, 24 blessés.

Cet épisode, survenu le 16 septembre, a jeté une lumière crue sur les activités des compagnies privées de sécurité qui agissent en toute impunité dans les rues de Bagdad. Et surtout sur la plus importante d’entre elles, Blackwater, qui dispose d’un peu plus de 1000 hommes en Irak afin d’épauler les militaires américains. Mardi, Erik Prince, son fondateur, âgé de 38 ans, s’est vu forcé d’apparaître longuement en public pour affronter la colère de certains élus. « Tout le monde peut faire des erreurs », a justifié cet ancien membre d’un commando de l’US Navy. « Blackwater semble avoir forgé une culture de « tire d’abord et demande ensuite », lui répondait un représentant démocrate. Le rapport qu’il avait sous les yeux montrait que les quelque 1000 mercenaires de Blackwater ont été mêlés à 195 échanges de coups de feu cette seule année dernière. Dans 85% des cas, ce sont les gardes privés qui ont tiré les premiers.

Totale impunité

Les membres de Blackwater n’en sont pas à leur première « erreur ». Placés au-dessus des lois, ils n’ont toutefois jamais été inquiétés par la justice. Souvent, le Département d’Etat a arrangé ensuite ces bourdes en offrant quelques milliers de dollars aux proches des victimes.

Ce n’est pas seulement cette propension de Blackwater à la gâchette facile qui a alarmé les parlementaires. Payés 1222 dollars la journée (six fois plus qu’un soldat ordinaire), ces « guerriers » ont déjà coûté plus de 1milliard de dollars aux contribuables américains. Le marché de la guerre est juteux. Mais il apparaît d’autant plus trouble qu’Erik Prince, qui a travaillé comme stagiaire à la Maison-Blanche sous George Bush père, est un très gros contributeur financier du Parti républicain, à qui il a déjà versé plus de 225000 dollars. Plus encore : la s ?ur de Prince, ancienne responsable des républicains du Michigan, a « levé » de son côté plus de 100000 dollars pour soutenir le tandem Bush-Cheney lors des élections de 2004.

Devant le Congrès, Erik Prince a nié que ce soient ses « connexions » avec le Parti républicain qui lui aient valu d’obtenir de manière si rapide les contrats pour sa firme en Irak. Il n’a pas convaincu les démocrates : aucun appel d’offres n’a été organisé avant que l’administration Bush désigne Blackwater, une compagnie pourtant pratiquement inconnue avant le déclenchement de la guerre.

Pour la Maison-Blanche qui tente, avec un succès tout relatif, d’insister sur la prise en main de la sécurité à Bagdad par les troupes irakiennes, cette lumière jetée sur les agissements de Blackwater est pour le moins gênante. Le premier ministre, Nouri al-Maliki, avait eu des mots très fermes contre la présence des mercenaires américains après la tuerie. Mais, soumis à une forte pression américaine, il avait renoncé à exiger le départ immédiat de Blackwater. Hier, il revenait pourtant à la charge : « Je crois que le grand nombre d’accusations dirigées contre eux ne rend plus valable leur présence en Irak. »

Luis Lema, New York

Alain Campiotti, Luis Lema - Le Temps, le 4 octobre 2007


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