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Le grand bond en avant de Mahmoud Ahmadinejad

vendredi 28 septembre 2007 - 16h:25

Luis Lema - Le Temps

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Le grand bond en avant de Mahmoud Ahmadinejad, qui a gagné sans être entendu.

A l’Assemblée générale de l’ONU ou à l’Université de Columbia, le président iranien n’a pas été entendu par les Américains. Mais en réalité, c’était au monde arabe qu’il s’adressait.

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Mahmoud Ahmadinejad à l’université de Columbia

« Regardez sa mâchoire. C’est le même rictus qu’un chien qui s’apprêterait à mordre. » En guise d’analyste politique, la chaîne de télévision CNN avait fait venir sur le plateau un spécialiste du comportement animal. On n’écoutait pas Mahmoud Ahmadinejad, on le regardait. Comme on regarderait un chien agressif à l’heure de décider s’il faut ou non l’euthanasier.

La visite du président iranien à New York a rendu hystériques les Etats-Unis. « Le Mal a atterri », titraient des journaux sur de pleines pages, en envoyant l’Iranien « en enfer », voire en appelant à son élimination pure et simple. Sur Fox News, la rivale conservatrice de CNN, le présentateur prenait un air candide pour interroger John Bolton, l’ancien ambassadeur américain à l’ONU : « Vous savez, beaucoup de gens disent, « oh, il a l’air d’un guignol ». Il dit des choses loufoques, alors qu’en réalité il est vraiment dangereux. Pensez-vous qu’il soit fou ? »

Bolton, a son tour, composait un air sérieux pour appeler à la rescousse Hannah Arendt et son concept de « banalité du Mal » établi pour expliquer le comportement des Allemands sous l’ère nazie. « Il a une logique différente de la nôtre. Mais le fait d’apparaître à la télévision le fait sembler moins dangereux (qu’il est en réalité). »

Pour John Bolton, pour le présentateur de Fox News et pour une grande partie des Américains, l’affaire est donc entendue : « Ahmadinejad a gagné. » En multipliant les interviews dans la presse américaine, en faisant une lecture à la Columbia University suivie dans le monde entier, le président iranien a réussi à « banaliser le Mal ». « Pour la première fois, cela a placé la question de savoir s’il fallait rayer Israël de la carte dans le cadre d’un débat académique », s’insurgeait un responsable d’une organisation juive. Puis : « A mon sens, le mauvais génie est sorti de sa bouteille. »

Pour avoir envahi l’esprit des Américains, Ahmadinejad n’a pourtant pratiquement pas été entendu. Dans son allocution de « bienvenue », le président de l’Université de Columbia, Lee Bollinger, qualifiait l’Iranien de « dictateur insignifiant et cruel ». Et, lui posant une série de questions rhétoriques sur la position de Téhéran à l’égard d’Israël ou de l’Holocauste, il concluait lui-même, sous les applaudissements des étudiants et professeurs présents : « Franchement, je doute que vous ayez le courage intellectuel de répondre à ces questions. » Avant de commencer, le débat était clos.

Pourquoi, dès lors, avoir invité cet hôte insignifiant ? Après tout, l’universitaire avait raison. Au sein même du pouvoir iranien, le statut du président est bien moins central que ne le laissait paraître l’attention mondiale qu’a suscitée le moindre de ses faits et gestes. Rôle essentiel de l’ayatollah Ali Khamenei, mais aussi du parlement ou du Conseil national de sécurité... Très loin d’être monolithique, le pouvoir iranien est réparti dans un jeu complexe dont Ahmadinejad représente la frange dure et populiste.

A ce titre, ses réponses, pourtant, méritaient qu’on s’y arrête. Rayer Israël de la carte ? La disparition de l’Etat juif est sans doute son objectif ultime, mais Ahmadinejad l’a répété à de nombreuses reprises : il s’agirait de faire voter les « Palestiniens » (« les Palestiniens juifs, les Palestiniens musulmans et les Palestiniens chrétiens »...) « pour décider eux-mêmes de leur avenir par le biais d’un référendum libre », expliquait-il à Columbia. Cette « solution », bien sûr, n’en est pas une pour les Israéliens. Mais on est cependant loin de l’holocauste nucléaire que dépeignaient les manifestants anti-iraniens dans les rues de New York.

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Le président iranien au siège des Nations Unies

De même, le président iranien jugeait-il « clos » le débat politique entourant le dossier du nucléaire iranien. Une entourloupe supplémentaire visant à gagner du temps ? Peut-être. Mais aussi, sans doute, la reconnaissance que les sanctions prises contre l’Iran commencent à porter leurs fruits. Au moment où Ahmadinejad faisait cette déclaration à la tribune des Nations unies, les membres de la délégation américaine avaient pourtant quitté la salle. Le débat est clos.

Il n’est pas question de minimiser le risque que ferait peser sur la région un Iran nucléaire, comme il n’est pas question d’oublier les chapitres accablants que consacrent les organisations de défense des droits de l’homme à ce pays qui maltraite les libertés fondamentales. Mais les Américains ont raison : en le diabolisant à outrance, et en refusant de l’entendre tandis que l’écoutait le monde arabe auquel il s’adressait en réalité, ils ont fait gagner Ahmadinejad.


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Par le même auteur :

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Luis Lema, Correspondant à New York - Le Temps, le 28 septembre 2007


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