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Exode des Palestiniens : l’autre négationnisme

jeudi 18 mai 2006 - 06h:36

Ahmed Loutfi

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Au 58e anniversaire de la Nakba, la « catastrophe » de 1948 qui a vu leur exode, ils sont toujours victimes d’une politique israélienne de dénégation de leur existence et réduits à la faim par des calculs politiques occidentaux en faveur de l’Etat hébreu.

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Camp de réfugiés Palestiniens - 1948 - montagne Liban

« C’est sous une pluie d’obus tirés par l’artillerie juive (...) que nous nous embarquâmes sur un bateau de fortune, mes parents, mes quatre frères et s ?urs ainsi que plusieurs autres membres de ma famille. (...) Pour moi, qui n’avais pas encore atteint l’âge de quinze ans, l’exode prit des dimensions apocalyptiques. Je fus saisi par le spectacle de ces foules d’hommes, de femmes ployant sous le poids de valises ou de baluchons, se dirigeant péniblement vers les quais de Jaffa dans un sinistre tumulte. Les cris des uns et les lamentations des autres étaient ponctués d’assourdissantes explosions.

Le bateau a à peine levé l’ancre que nous entendîmes le hurlement d’une femme. Elle venait de constater que l’un de ses quatre enfants n’était pas à bord. Elle exigeait que l’on retournât au port afin de le rechercher. Soumis au feu nourri des canons juifs, nous pouvions difficilement faire demi-tour. (...) Elle était tout en pleurs. Nous étions quelques-uns à tenter de la calmer. (...) Ses nerfs craquèrent brusquement : elle enjamba le bastingage et se jeta à la mer ». Un témoignage parmi d’autres, bien nombreux, de l’exode massif des Palestiniens de leur pays en 1948. Celui-ci est d’Abou-Iyad, l’un des premiers compagnons d’Arafat, dont la famille a, le 13 mai 1948, fui par mer Jaffa pour se réfugier à Gaza.

Exode, un terme oublié quand il s’agit des Palestiniens. Et pourtant, on est bien au 58e anniversaire de ce drame et l’on pourrait dire que les jours se suivent et se ressemblent. Les Palestiniens sont soit des réfugiés, soit des enclavés. L’autonomie palestinienne se réduit à Gaza sous le feu continuel des soldats israéliens, et des territoires en Cisjordanie, des camps, des villes et des enclaves éparpillées, avec comme seule issue d’avenir envisageable celle que décidera Israël. Une solution unilatérale dans un seul but : redessiner les frontières de manière à réduire la Palestine à une sorte de réserve ou bantoustan. Et ce avec une participation active des Etats-Unis.

C’est justement la suite de l’effacement programmé de la Palestine juré par les pères fondateurs de l’Etat hébreu. « Entre nous, il doit être clair qu’il n’y a pas de place pour les deux peuples dans ce pays. Il n’existe pas d’autre moyen que de déplacer les Arabes dans les pays voisins, tous les Arabes. Tous doivent prendre la direction de la Syrie et de l’Iraq, et même de la Transjordanie », avait déclaré Y Weitz, responsable du développement des terres au Fonds national juif, 19 décembre 1940.

Rien n’a changé depuis ... Le but se poursuit et de nombreux experts internationaux ne s’aveuglent guère sur les intentions d’Israël en dépit des tentatives d’intimidation menées par Tel-Aviv se servant de son arme préférée : l’accusation d’antisémitisme. Ainsi, comme le démontre Tanya Reinhart dans son nouveau livre L’Héritage de Sharon : détruire la Palestine (suite), les dirigeants israéliens ne s’intéressent qu’à un seul plan : celui qui consiste à « voler les terres palestiniennes les plus fertiles sur 42 % de la Cisjordanie, sous couvert de Mur de séparation, et à préparer le transfert de 400 000 Palestiniens vers quelques enclaves en attendant de les voir partir un jour, totalement désespérés, vers d’autres pays, comme l’Iraq ».

S’il s’agit d’un objectif que se sont fixé les sionistes depuis le lancement de leur projet et qui se fonde sur une dénégation de la présence des Palestiniens et sur l’idée que s’ils existent ils n’ont qu’à aller ailleurs, qu’en est-il du contexte actuel ? Ce peuple palestinien reste-t-il invisible comme l’a feint Theodor Herzl, principal fondateur du sionisme, en lançant le slogan « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » ? Sans doute pas et l’histoire de la résistance palestinienne en dépit de tous ses aléas est là pour en témoigner.

Ignorance ou omission, au moment où il fait une telle énonciation, en 1896, il y avait en Palestine 650 000 Arabes pour 35 000 juifs. C’est-à-dire environ 5 % des habitants de la Palestine. Parallèlement, c’est toute une histoire de rendez-vous politiques manqués pour un règlement, suite au favoritisme américain, à l’impuissance européenne, aux lacunes et incertitudes de la politique arabe et au louvoiement continuel d’Israël, fidèle à son but.

Faire le vide

On ne saurait en fait que relever la ligne suivie, la politique du vide, celle décrite par l’écrivain palestinien Elias Sanbar suite aux massacres de Deir Yassine par l’organisation terroriste israélienne Irgoun : « Le choix laissé aux Palestiniens de partir pour ne pas mourir naît d’une situation où il n’y a aucune issue que la mort ». Or, cette politique du vide ne se concrétise-t-elle pas dans cette volonté de réduire les Palestiniens à la faim ? Les Nations-Unies viennent de lancer des mises en garde selon lesquelles la Palestine est au bord de la crise humanitaire en raison des coupes financières opérées à la suite de l’élection d’un gouvernement du Hamas, en janvier dernier. Les Etats-Unis d’abord, suivis comme d’habitude par l’Union européenne.

Pire encore, la Ligue arabe a fait savoir à l’Autorité palestinienne qu’elle n’était pas en mesure de lui transférer des fonds collectés au profit des Palestiniens. Cela est dû au refus des banques de transférer l’argent en raison des pressions américaines et internationales. Les banques arabes et palestiniennes craignent en effet des sanctions américaines si elles transfèrent des fonds à une Autorité palestinienne dont le gouvernement est dirigé par le Hamas.

C’est dire qu’effectivement ce peuple de Palestine est considéré comme un pion sur un échiquier que déplacent Israël et les Etats-Unis sous les regards passifs d’autres acteurs (Arabes et Union européenne). Pour Helmi Al-Chaarawi, directeur du Centre d’études arabes et africaines du Caire, il s’agit d’exemples des dérives qui marquent la conjoncture internationale et les contradictions politiques de ceux qui s’adonnent au trafic des peuples. Le politologue se demande quel est « l’amour subitement manifesté par l’Otan aux tribus du Darfour alors qu’elle ignore tout un peuple en Palestine ? . Et de se demander aussi : Que font les Arabes, ces pays si riches en pétrole, et les autres si proches de l’Amérique ?

Situation d’autant plus déplorable que dans leurs souci et but d’assurer la sécurité d’Israël, les Etats-Unis peuvent aller jusqu’à frapper l’Iran après avoir occupé l’Iraq », souligne Al-Chaarawi.

Aller jusqu’au bout pour protéger un Etat hébreu qui, lui, ne fait que persévérer dans la dénégation des Palestiniens ? Chaque jour apporte un nouveau témoignage. La Cour suprême d’Israël n’a-t-elle pas entériné une loi visant à empêcher les conjoints palestiniens d’Arabes israéliens de vivre en Israël ? Elle a repoussé un appel de plusieurs Organismes de défense des droits de l’homme contre cette loi adoptée en juillet dernier par le Parlement. Une loi qui le moins que l’on puisse dire est discriminatoire. C’est l’argument de la cour qui est le plus scandaleux à cet égard. Celle-ci a en effet estimé que les Palestiniens étaient des ressortissants d’une entité ennemie constituant une menace potentielle à la sécurité d’Israël. Cet argument sert de prétexte pour limiter la population arabe d’Israël par une loi raciste qui a des conséquences tragiques pour des milliers de familles , a rétorqué l’avocate Orna Cohen qui représente des familles.

Cela dit, c’est l’état de faiblesse extrême des Arabes et les divisions dans les rangs palestiniens qui encouragent Israël à persévérer dans sa politique. Mohamad Sayed Saïd, vice-directeur du Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, relève que c’est depuis 2002 que ces facteurs sont entrés en jeu. Ils ont coïncidé avec la défaite totale et évidente de l’Intifada et la mise en évidence et des contradictions internes au sein du mouvement national palestinien .

De plus, selon le p, le peuple palestinien a été la victime de son commandement. Voire, il affirme que c’est la direction d’Arafat qui a transposé les structures du pouvoir arabe chez les Palestiniens et provoqué cet effondrement. Il s’agit de cette tare des régimes arabes : dictature plus corruption, ce qui est susceptible de détruire le moral de tout mouvement révolutionnaire . Un état de choses qui a lieu à l’heure où la politique israélienne a amorcé un virage puissant vers la droite. Le peuple israélien s’est tenu derrière Sharon et c’est toute une transformation structurelle vers la droite et les partis religieux qui en a résulté.

Dans le face-à-face actuel, c’est une droite israélienne, de plus en plus attachée à son plan visant à parquer les Palestiniens dans des régions qui ne constitueront finalement que des réserves, qui affronte le Hamas. Pour Sayed Saïd, cela ne fera qu’aggraver la crise. Les Palestiniens ne connaissent pas l’art du compromis politique. Ils vont du rejet total de toute négociation à l’acceptation des moindres concessions israéliennes.

Le Hamas se fixe peut-être des objectifs qui, en ce moment, vont au-delà des moyens du peuple palestinien, voire de toute la nation arabe face à un super-ennemi.

Le but israélien reste celui du départ, un négationnisme au vrai sens du terme, celui d’ignorer l’existence de tout un peuple. Mais pour les Palestiniens, il n’est pas question d’accepter ce destin. Le poète palestinien Mahmoud Darwich ne dit-il pas : Et la terre se transmet comme la langue ?.

17 mai 2006 - Al Ahram - Vous pouvez consulter cet article à :
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahra...


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