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Le verrouillage mental du Proche-Orient

samedi 15 septembre 2007 - 07h:30

James Brooks - Counterpunch

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Peu de gens auraient autrefois pu imaginer que les démocraties chrétiennes de l’Occident apporteraient leur soutien à un mur de béton...

L’occupation intérieure.

Comment les termes du débat politique et économique aux Etats-Unis ont-ils été coupés des normes élémentaires de la preuve et du bon sens ?

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Checkpoint de Kalandia, près de Ramallah. Des Palestiniens tentent de passer pour aller prier à la mosquée Al Aqsa dans Al Qods (Jérusalem) - Photo : AP/Nasser Ishtayeh

Pourquoi le mot « hypocrisie » semble-t-il inadéquat pour décrire la logique tordue comme un bretzel des néo-conservateurs ? Pourquoi le peuple des Etats-Unis demeure-t-il inerte pendant qu’au sommet, la folie réclame de l’autorité qu’elle fasse une hémorragie de son exécution de l’Irak en une guerre nucléaire contre l’Iran ?

John McMurtry est un professeur de philosophie honoré qui a poursuivi des interrogations comme celles-là jusqu’aux fondements idéologiques de l’empire mondial US-centré (1). Son analyse offre des idées qui peuvent nous aider à identifier et penser notre chemin pour sortir de ce « verrouillage mental » aujourd’hui omniprésent. L’approche de McMurtry se révèle également utile pour mettre en lumière des contradictions idéologiques centrales dans ce régime israélien de nettoyage ethnique soutenu par les Etats-Unis, qui n’a cessé, au cours des 60 dernières années, de chasser par la force les Palestiniens de leurs terres.

McMurtry relate la montée d’une « attitude fanatique » en Occident, à la suite de la disparition de l’Union Soviétique, quand « une curieuse inversion idéologique s’est produite ». Le ?déterminisme économique’ marxiste, « abhorré par la théorie libérale », fut promptement remplacé par une version propre à l’Occident du déterminisme économique imposé. La « globalisation inévitable » fut élaborée comme le produit de forces inexplicables et imparables lâchées par une véritable loi de la nature, la suprême « loi du marché » bénéfique pour tous.

McMurtry démontre la destruction de la valeur et du sens inhérente à l’adoption de ce dogme absolutiste qui prétend englober toute activité humaine et qui, inversement, juge déplacée toute autre explication ou préoccupation. Il suit à la trace également le recours qui est fait à cette irrationalité pour justifier une prédation économique et militaire brutale sous la double supercherie du « marché libre » et de la « démocratie ». Cette absurdité est mise à nu est révélée par McMurtry lorsqu’il observe qu’elle vante sa théorie du marché « sans alternative » et ses brutales politiques commerciales impériales comme étant la liberté économique absolue.

Après avoir noté les modalités selon lesquelles des inversions de sens similaires ont été employées dans des idéologies totalitaires, il conclut que l’inversion est un des processus fondamentaux impliqués dans le développement de l’« attitude fanatique » d’aujourd’hui :

« Tout au long de la réélaboration du monde par les apparatchiks de la globalisation, on a vu à l’ ?uvre un principe de transformation des représentations au-delà des circonstances et des crises : inverser les valeurs sociales et les faits généraux en leur contraire de telle manière qu’il ne reste plus le moindre appui pour l’intelligibilité et la résistance. »

Les observateurs d’Israël et de son influence à l’intérieur des Etats-Unis voient une longue marche vers une convergence idéologique entre les deux nations, en particulier dans les domaines de la politique étrangère, de la guerre, de l’économie et de la propagande. Un des fondements de cette affinité grandissante à avoir été peu notés, est le besoin et l’envie communs et croissants de justifier des actes injustifiables et d’éclipser les vérités compromettantes.

Il n’est dès lors pas surprenant qu’Israël soit submergé par le même processus intellectuel d’inversion que McMurtry trouve si omniprésent aux Etats-Unis. On pourrait en effet soutenir que beaucoup des contradictions idéologiques d’Israël sont au moins aussi anciennes que l’Etat. En recourant au mode d’expression de Mc Murtry et en prenant beaucoup de liberté avec sa méthode, voici quelques unes des plus évidentes inversions de sens et inversions de valeurs sous-jacentes aux proclamations et aux pratiques du gouvernement israélien. Les lecteurs américains pourront relever les analogies manifestes :

— Le « droit de se défendre » d’Israël suppose la « rigoureuse nécessité » de son occupation militaire et civile de la terre palestinienne qui est un acte de guerre illégal : autodéfense = agression.

— La sécurité d’Israël dépend de la continuelle provocation à l’égard de forces qui, une fois provoquées, menaceront la sécurité d’Israël : sécurité = promotion de l’insécurité.

— La liberté des Israéliens dépend de l’emprisonnement d’un autre peuple (2) : liberté = déni de liberté.

— La démocratie israélienne dépend de l’exclusion raciste de ses citoyens autochtones et de l’octroi de pouvoir aux plus intolérants de ses citoyens privilégiés (3-5) : démocratie = apartheid.

— Israël est un « bastion de liberté religieuse » dans lequel la loi civile est fondée sur une version « orthodoxe » d’une seule religion (6) : liberté religieuse = exclusivisme religieux.

— La prospérité continue d’Israël requiert une « libéralisation du marché » qui accroît dramatiquement la pauvreté et consolide la richesse au sommet. (7, 8) : prospérité = pauvreté.

— L’engagement d’Israël à l’égard de l’autorité de la loi et d’une politique économique saine (ce qui devrait lui valoir d’obtenir un siège à l’OCDE l’an prochain) se reflète dans sa chute continue au niveau des index internationaux de la corruption, dans une interminable série de scandales politiques graves et une criminalité organisée florissante (9-11) : légalité = non respect de la loi.

— La paix pour Israël exige de ses partenaires de négociation qu’ils acceptent des conditions qui ne répondent pas aux critères de paix minimum pour leur propre peuple. Que ces conditions soient ou non rencontrées, la formule est : paix = guerre continuelle.

— Les perspectives de paix sont mises en valeur lorsque les partenaires de négociation collaborent au bannissement, à l’emprisonnement et à l’isolement des électeurs qui s’opposent aux conditions d’Israël. Pareilles actions sont également le signe de « l’engagement à la démocratie » des partenaires de négociation. (12-14) : faire la paix = démocratie = oligarchie inconstitutionnelle, châtiment collectif, et contestation civile = illégitimité et échec probable de tout accord obtenu entre Israël et ses partenaires = guerre continuelle, (avec saisie de terres).

L’acceptation par le public de ces inversions crée ce que McMurtry appelle une « occupation de la conscience » qui rend très difficile pour le citoyen ainsi « occupé » de comprendre la situation fâcheuse où il est, et moins encore celle d’un autre.

Cependant, de même que la nourriture de l’un est poison pour un autre, les contorsions idéologiques qui brouillent les idées du public et le dépossèdent de son pouvoir, confortent simultanément le puissant à l’aide d’un discours machinal d’auto-justification. Alors qu’on ne peut nier le cynisme des dirigeants actuels, l’« attitude fanatique » doit être un narcotique irrésistiblement attirant pour ceux qui sont poussés à acquérir le pouvoir de donner les ordres de larguer les bombes.

Une des idées implicites sous-tendant cette attitude d’esprit est que le cynisme est la réalité ; les fins justifient toujours les moyens si les moyens peuvent être largement tenus cachés aux yeux du public et si les fins sont formulées comme étant irréfutablement indispensables : liberté, démocratie, « croissance », pouvoir de la Loi, etc. Le côté négatif de l’équation est toujours « plus que » contrebalancé par son pendant positif.

Les puissants sont consacrés agents du « meilleur espoir » du monde. Pour faire avancer les intérêts du monde (et les leurs propres), ils devraient faire tout ce que « le marché supportera ». Ce n’est pas seulement ce que les puissants veulent que nous croyions. Au moins jusqu’à un certain point, c’est aussi ce que la plupart d’entre eux a besoin de croire, pour faire ce qu’ils font.

McMurtry soutient que l’« attitude fanatique » est « fermée » et « autoréférentielle ». Du sein de l’illusion, il serait logique de conclure qu’accroître le côté négatif de l’équation peut en augmenter le positif. Dénier davantage de liberté à d’autres équivaut à plus de liberté pour nous et (par une pensée d’après-coup) tous les autres « bons » dans le monde.

Nous entendons dire que « mieux on sera préparé à recourir à la force militaire, meilleure sera la protection de notre démocratie et de nos libertés chez nous », et c’est à peine si nous relevons la chose. Mais si cette attitude d’esprit est refermée sur sa circularité, elle s’écartera de plus en plus de la réalité. Et, étant autoréférentielle, chroniquement ambitieuse et exceptionnellement puissante, elle ne peut que chercher à se surpasser. Si pareille attitude d’esprit persiste à suivre sa logique inversée, elle peut rapidement se lancer dans une escalade avec elle-même, aboutissant à des résultats désastreux.

Et l’étape suivante ? Plutôt que de simplement « protéger » nos libertés en créant, torturant et massacrant des « terroristes » en Irak, pourquoi ne pas être « proactifs » et éradiquer une « source malfaisante de terrorisme » qui menace les libertés de tout un chacun ? Bombarder Téhéran - une « menace existentielle » supposée pour un Israël doté du nucléaire - ne produirait-il pas davantage de liberté et de prospérité pour tous ?

Les idéologies créent un espace mental faisant autorité et à l’intérieur duquel l’impensable peut devenir possible. Peu de gens auraient autrefois pu imaginer que les démocraties chrétiennes de l’Occident apporteraient leur soutien à un mur de béton coupant la petite ville de Bethléem en deux ou que les Etats-Unis paieraient pour des décennies de nettoyage ethnique sanglant en Terre Sainte. L’idéologie d’Israël (forgée jusqu’à un certain point pour séduire les puissances occidentales) a fourni le cadre justificatif qui l’a rendue possible.

Aux Etats-Unis, nous sommes confrontés à une menace pesant sur notre santé mentale nationale et qui est comparable au danger, physique celui-là, enduré par le peuple palestinien encagé et appauvri - la destruction de ce qui nous reste. Notre ennemi commun est une idéologie irrationnelle qui inverse les valeurs fondamentales et légitime des crimes contre l’humanité. Pour nous, la lutte pour triompher de cette menace commence dans les esprits.


James Brooks est le webmaster de Vermonters for a Just Peace in Palestine/Israel. Il peut être contacté à l’adresse : jamiedb@wildblue.net.

Notes :

1. John McMurtry, Value Wars : The Global Market Versus the Life Economy (London and Sterling Va. : Pluto Press, 2002), 277 pages.
2. Prison within a Prison, Gideon Levy, MIFTAH, 8/27/2007
3. GDP per capita of Arab Israelis third of that of Jews, YNetNews, 1/18/2007
4. IRIN reports on the devastation caused to Bedouins by the Israeli forces in the Negev, Ma’an News Agency, 6/27/2007
5. Mr. Lieberman Comes to Washington, Will Youmans, CounterPunch, 12/8/2006
6. Only Orthodox conversions accepted in Israel, YNetNews, 5/23/2007
7. NII report : 100,000 newly poor, half of them children, Ha’aretz, 9/1/2006
8. Netanyahu : Cut taxes for rich to help poor, Dalia Tal, Globes Online, 6/26/2007
9. A supreme effort is required, Ze’ev Segal, Ha’aretz, 5/27/2007
10. Poll : 85% of public believe the leadership is corrupt, Ha’aretz, 1/11/2007
11.Dichter : Police trying to block mafia’s bottle recycling takeover, Ha’aretz, 1/9/2007
12. Hamas members arrested by the Palestinian Authority, Ma’an News Agency, 8/22/2007
13. U.S.-Backed Campaign Against Hamas Expands to Charities, Adam Entous, MIFTAH, 8/22/2007
14. Abbas urges Socialist leaders to help isolate Hamas, Aude Marcovitch, Middle East Online, 6/29/2007

James Brooks - Counterpunch, le 7 septembre 2007
Traduit de l’anglais par Michel Ghys


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