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Les collines sont (hélas) bien vivantes

mardi 28 août 2007 - 08h:01

Rory McCarthy

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L’avocat palestinien Raja Shehadeh a combattu les colons israéliens devant les tribunaux. Chaussé de ses bottes, il emporte maintenant son combat à la campagne.

Les blocs d’appartements se montent si rapidement dans la périphérie de la ville cisjordanienne de Ramallah que l’endroit semble pousser d’un moment à l’autre devant vos yeux. Cela rend la recherche de l’avocat palestinien Raja Shehadeh encore plus difficile ; recherche pour les points de départ des promenades qu’il avait l’habitude de faire depuis un quart de siècle dans les collines de Ramallah et au-delà.

La vaste chaîne de collines et de vallées étroites coincées entre la ville et les colonies juives florissantes (ici comme dans tout le reste de la Cisjordanie) sont de plus en plus hors limite pour les Palestiniens. C’est ce que Shehadeh appelle « un paysage évanescent ».

Par une récente après-midi, Shehadeh, qui a fondé l’organisation des Droits Humains Al-Haq, se tenait debout sur un promontoire au bord ouest de la ville, une zone qui était dans le passé recouverte d’oliveraies. Petit homme soigné, il porte une chemise à manches courtes et porte aux pieds des chaussures de marche lassées en cuir souple plantées dans la poussière à côté de piles d’ordures et de pneus abandonnés. Il a trouvé plus bas un chemin s’étirant à travers la vallée, chemin qu’il avait maintes fois parcouru dans les années passées. Ce chemin passe par des terrasses et des oliviers à côté d’un abri de pierres circulaires à moitié caché construit il y a bien des années par des bergers, puis continue en traversant une source abondante. Raja compare les plis de la terre à ceux d’une noix gigantesque. Mais aujourd’hui il y a eu des ajouts au paysage : pas seulement des projets de logements mais également une route, entaillant la vallée, une route réservée aux patrouilles militaires puis, plus loin, sur une colline, une colonie juive établie après que Shehadeh ait commencé ses premières promenades. « J’évite de venir ici. C’est trop triste » dit-il.

La famille de Shehadeh vivait dans la ville portuaire de Jaffa jusqu’en 1948 quand, lors de la guerre qui a conduit à la création de l’Etat d’Israël, la famille a fui pour Ramallah tout en s’attendant à pouvoir revenir rapidement. Ils ne sont jamais retournés et ce désir du retour a dominé son enfance. Son père, Aziz Shehadeh, était un avocat notoire qui, après la guerre de 1967, soutenait la solution de deux Etats pour les Israéliens et les Palestiniens. A l’époque, cette position n’était pas populaire parmi les Palestiniens et, en 1985, il a été poignardé à mort par un homme en colère au sujet de l’un de ses dossiers juridiques ; mais l’assaillant n’a jamais été retrouvé. Shehadeh avait essayé de localiser l’assassin et a expliqué comment il avait presque réussi dans ses mémoires : « Strangers in the House ».

Shehadeh a marché dans les pas de son père dans le domaine du droit tout en sachant que ce qu’il voulait vraiment, c’était d’écrire. « Je suppose que j’avais une idée romantique (que j’ai toujours) que l’écriture devait être autour des choses de la vie. Vous vous occupez de choses et d’autres puis vous en faites quelque chose mais vous devez être capable de les toucher, les sentir et en faire l’expérience » dit-il. Il a travaillé en tant qu’avocat des droits humains six jours sur sept, y compris en combattant les revendications des colons sur la terre et en écrivant tôt le matin, la nuit et les samedis. Alors que son travail juridique est principalement en arabe, écrire en anglais, langue de ses études, lui est venu naturellement.

Dans un autre de ses mémoires « When Bulbul Stopped Singing » adapté au théâtre à Edinburgh et aux USA, il a décrit la vie à Ramallah pendant une opération militaire israélienne et s’est plaint que l’histoire palestinienne avait été transformée en un « soap opéra » par des gens de l’extérieur. « Tout le monde pensait qu’ils savaient ce qui était bien pour moi et personne n’a pensé à me le demander » écrivait-il.

Aujourd’hui, Shehadeh, qui tient un journal depuis 40 ans, est devenu un des plus célèbres auteurs de chroniques quotidiennes sur la vie moderne palestinienne. Son dernier livre décrit six promenades à travers la Cisjordanie et établit un tableau de l’expansion des colonies israéliennes, toutes illégales selon la loi internationale. Beaucoup de ces colonies sont construites sur le sommet des collines, s’appropriant les ressources en eau, souvent connectées entre elles par leur propre réseau de routes et surplombant les villages dans les vallées. Il écrit : « Alors que notre monde palestinien rétrécit, celui des Israéliens s’accroît avec encore plus de colonies, détruisant à jamais les Wadi et les falaises, aplanissant les collines et transformant cette terre précieuse que beaucoup de Palestiniens ne connaîtront jamais ».

Il note les restrictions de voyages imposées aux Palestiniens depuis le début des années 90, l’époque où un accord de paix apportait l’espoir pour beaucoup d’un état palestinien. En 1991, il a travaillé en tant qu’expert judiciaire pour les négociateurs palestiniens mais l’accord d’Oslo de 1993 le rend amer, accord qu’il rejette comme n’étant « rien d’autre qu’un document de reddition, une promesse trompeuse pour un meilleur futur ». Depuis ce temps sa frustration et son désillusionnement n’ont fait que s’accroître. « Je continuais à gémir au sujet d’Oslo, Oslo, et cela devenait fatiguant » dit-il. « Alors j’ai décidé de l’oublier, d’exprimer ce que la plupart des gens ne savent pas vraiment, même les gens d’ici, et de m’en sortir émotionnellement » L’écriture plus que tout autre chose, l’a aidé à dépasser la colère qui, dit-il, « brûle dans les c ?urs de la plupart des Palestiniens ».

Shehadeh ne dit pas grand-chose au sujet des groupes armés et des kamikazes. Il note que la violence palestinienne a simplement permis à Israël d’argumenter de façon convaincante que le pays était tout le temps en guerre. Mais ses livres apportent un important contrepoint à la narration dominante du Moyen-Orient qui dépeint une population rebelle palestinienne débordée par des terroristes.

Le plus frappant est sa profonde peur d’être forcé de quitter cette terre. « J’étais obsédé surtout quand je travaillais sur le livre, sentant que tout est perdu, que la terre est perdue. » dit-il. « Je sentais que je devais d’une manière où d’une autre représenter cela et le faire ressortir pour montrer à quel point cette perte est terrible ». Mais il reconnaît aussi une vérité gênante rarement entendue dans les cercles palestiniens : que les colons israéliens sont souvent attachés aussi profondément à la Cisjordanie que les Palestiniens. Dans son livre, il décrit comment lors d’une de ses promenades il a rencontré un colon et, tout étonné de le trouver aussi amoureux de la terre, tandis qu’ils se partageaient de l’eau sur la colline, il l’a confronté à la politique du conflit. Il écrit : « Malgré les mythes qui composent sa vision du monde, comment pourrais-je prétendre que mon amour pour ces collines annule le sien ? Et que signifierait cette reconnaissance pour nos deux futurs et pour le futur de nos pays respectifs ? »

Il critique la direction palestinienne, arguant qu’un accord de paix pour deux Etats est de plus en plus éloigné et qu’un autre cycle de conflit est beaucoup plus probable. « Aucun pays n’abandonnerait la terre sans y être obligé, pourquoi le ferait-il ? Ce n’est pas comme s’il entrevoyait tout à coup la lumière ; c’est donc une recette de plus pour la guerre » dit-il.

Comme dans ses premiers livres, il écrit souvent sur le « sumüd » qui signifie persévérance et constance. C’est en fait sa lutte non violente contre l’occupation, l’idée que le fait de refuser de bouger a un rôle politique. On lui a demandé en début d’année d’écrire un essai pour un groupe des droits humains sur le 40ième anniversaire de la guerre de 1967 et l’occupation israélienne. « J’ai pensé à pleins de choses, puis j’ai réalisé deux constantes. La première : les colonies n’ont jamais arrêté de pousser. La deuxième constante est que nous sommes restés » raconte-t-il. « C’est finalement une lutte pour nous faire quitter notre terre et y demeurer reste la chose la plus importante. En restant, nous réalisons quelque chose et de ce fait, nous dénions à l’autre côté la victoire totale ».

Pique-nique à Wadi Qelt*

Extrait :

Le canyon était profond et étroit ; les murs de bloc de pierre tordus et courbés formant de petits bassins. Nous avons marché le long du chemin étroit jusqu’au moment d’atteindre la partie plus large de la vallée qui est abritée de chaque côté par des très hautes falaises. L’eau, en dessous, était dense, remplie de roseaux et de menthe verte. Nous avons trouvé un coin à côté d’un grand caroubier et avons pique-niqué. L’eau près de nous dégageait de la vapeur.

Tout à coup, nous avons entendu du bruit. En levant la tête, sous la falaise du côté opposé du ruisseau, nous avons aperçu plusieurs colons qui s’approchaient. Ils nous considéraient sans doute comme des intrus, potentiellement dangereux ; mais peut-être, du fait que nous étions assis là, buvant du café et mangeant de la salade, nous n’étions sans doute pas des personnes en mission militaire. Une des filles du groupe s’est approchée de Rema et lui a demandé : « D’où venez-vous ? » La réponse de Rema fut directe et correcte : « D’ici ».

Les femmes colons portaient des jupes longues. Leurs têtes étaient couvertes. Elles ont continué à marcher sur des chemins étroits le long des rochers escarpés en face de nous qui, pendant ce temps-là, restions fermes à côté du caroubier en essayant d’éviter de les regarder. S’en est suivi un partage gêné du pique-nique, chacun se surpassant en essayant de se surveiller mutuellement sans en avoir l’air.

Juste au moment où nous partions, j’ai levé les yeux sur le mur de rocher juste en dessous de l’endroit où nous étions assis et j’ai vu une jeune femme en longue robe orthodoxe, un foulard sur la tête, qui se tenait debout dans une attitude recueillie. Son visage était tourné vers l’ouest ; son expression était pieuse et calme. Elle priait. Bizarrement, voici quelqu’un qui appréciait tellement ma terre que cela l’a inspiré à remercier Dieu dans ses prières. Et pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de soupçonner ses motifs. Quelle était la nature de ses supplications ?

Tiré de « Palestinian Walks » par Raja Shehadeh, publié chez Profile Books. - 25 août 2007 -
Guardian Unlimited

Traduction : Ana Cléja

Raja Shehadeh

TENIR BON - Journal d’un Palestinien en Cisjordanie occupée
 ? Auteur(s) : Raja Shehadeh
 ? Éditeur : Le Seuil
 ? Collection : L’HISTOIRE IMMEDIATE
 ? Présentation : Broché

Un adage clandestin du camp de concentration de Treblinka recommandait aux prisonniers : "Si tu as le choix entre deux solutions, choisis toujours la troisième." Il est des cas où, devant une oppression, la soumission est impensable et la révolte impossible. Comment choisir, alors, une troisième voie ? Comment refuser tout à la fois de se soumettre en silence ou de haïr aveuglément ? Depuis 1967, les Palestiniens de la rive occidentale du Jourdain occupée par Israël doivent affronter quotidiennement ce dilemme. Un mot arabe définit cette "troisième" voie à laquelle les plus lucides d’entre eux s’accrochent : Sãmid. Il évoque tout à la fois la ténacité et le sang-froid, la résistance passive et l’espérance. Tenir bon... Des centaines de milliers de Palestiniens, qu’oublient le plus souvent l’actualité et la grande presse, vivent ainsi, jour après jour, leur sumüd. L’un d’entre eux, avocat à Ramallah, tient ici la chronique de cette obstination muette. Elle s’exprime à travers les faits et gestes de la vie ordinaire ; sans hausser le ton ni céder à de faux lyrismes ; mais sans reculer d’un pouce devant l’occupant. Le texte de Raja Shehadeh est l’un des plus saisissants témoignages qui nous soient parvenus de Cisjordanie occupée, épicentre de l’interminable tragédie israélo-arabe.


Palestine, terre promise : Journal d’un siège (Poche)
de Raja Shehadeh
(Auteur), Karine Laléchère (Traduction)

Description

Présentation de l’éditeur

" Le périmètre de cette maison est tout ce qu’il me reste d’une Palestine que je puisse appeler mienne. " En avril 2002, l’armée israélienne investit la Cisjordanie et s’acharne sur Ramallah. Rajah Shehadeh a tenu son journal durant cette période pour raconter la vie quotidienne en état de siège. Ecrivain et avocat, fondateur d’Al-Haq (organisation non partisane de défense des droits de l’homme), il a rédigé dans une prose pudique et maîtrisée un document profondément émouvant, d’une grande portée politique et plus que jamais d’actualité.

Poche : 181 pages
Editeur : Payot (31 janvier 2007)
Collection : Petite Bibliothèque Payot
Langue : Français
ISBN-10 : 2228901709
ISBN-13 : 978-2228901703

Traduction : Ana Cléja


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