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Gaza, abandonnée

mardi 28 août 2007 - 07h:57

Juan Goytisolo

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Grâce à la dernière tournée au Moyen-Orient de la secrétaire d’état Condolezza Rice, les bonnes nouvelles s’accumulent : le processus de paix palestino-israélien est à nouveau en première page et une véritable pluie de dollars va tomber sur la région. En toute logique les peuples concernés devraient se frotter les mains. Cependant, à l’exclusion de la classe politique israélienne mimée par Washington comme par les théocraties et les inamovibles dirigeants arabes de la zone, personne ne se réjouit.

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Gaza

Les sommes exorbitantes annoncées — un total de 46 milliards d’euros — ne seront pas utilisées pour soulager l’insupportable misère des victimes des guerres qui épuisent cette région ni pour promouvoir la transparence démocratique : leur objet est l’achat d’armes supplémentaires dans une zone qui en est déjà remplie.

Si la répartition de cette avalanche d’argent à vocation belliciste [22 milliards pour Israël, 14 milliards et 630 millions pour les Saoudiens et les Emirats, 9 milliards 500 millions pour l’Egypte de Mubarak] illustrent avec clarté l’échelle des priorités de la Maison Blanche, les principaux bénéficiaires seront toutes les grandes compagnies américaines spécialisées dans la fabrication de nouveaux modèles d’armes et de systèmes avancés de défense, ces compagnies faisant toutes partie de l’entourage présidentiel.

La présumée sécurité des Etats-Unis dans leur guerre sans limites dans l’espace ni le temps contre le terrorisme jiyadiste sert en vérité d’écran à ce que certains analystes du journal The New York Times appellent « de juteux négoces ». La politique unilatérale de la superpuissance mondiale n’était jamais arrivée à une telle extrémité de folie et d’aplomb. Bien que la la région soit une véritable poudrière et que l’Irak connaisse un irrémédiable désastre, les intérêts des grandes compagnies prévalent sur le droit à la vie, la paix et la dignité de millions de personnes.

Les temps sont révolus où l’on parlait de la recosntruction et de la démocratie en Irak, d’un nouveau Plan Marshall pour le Proche-Orient, d’une solution juste au « problème palestinien » (euphémisme utilisé pour nommer cette question comme si le problème était les Palestiniens soumis à une occupation brutale et illégale et non ceux qui, en marge de la loi internationale bafouent quotidiennement les normes les plus élémentaires du droit avec l’impunité que nous connaissons tous). L’Axe du Mal se trouvant désarticulé après la chute de Saddam Hussein, les nouveaux ennemis montrés du doigt par Bush sont un amalgame qui additionne des choux et des carottes : les insurgés sunnites en Irak, les milices de Moqtada Sadr, le Hezbollah et les cellules mortifères et proliférantes d’Al Qaeda, à quoi s’ajoutent les ayatollahs d’Iran et la dynastie républicaine des Assad. Les réalités du cruel casse-tête libanais et de l’indéfendable oppression des Palestiniens sont évacuées au nom d’une confrontation primaire entre les bons et les mauvais digne d’un jeu vidéo : d’un côté, les israéliens et les arabes « modérés » (combien implacables sont-ils à l’égard de leurs propres populations) ; et de l’autre l’Iran inquiétante d’Ahmadinejah, la Syrie et ses alliés libanais et palestiniens.

Dans le cadre de cette nouvelle vision --- les visions de l’actuel président nord-américains, dignes de celles des petits bergers de Fatima, conduisent généralement directement au désastre --- Mahmoud Abbas a été bombardé associé de confiance après avoir été ignoré pendant deux ans et demi. Bien que selon les paroles de Sharon, Arafat était le Ben Laden d’Israël, et avec une Feuille de Route (feuille morte) tant trahie et pourtant portée aux nues, les choses ont continué comme avant après l’arrivée au pouvoir des successeurs d’Arafat, au moins jusqu’aux élections palestiniennes de janvier 2006. La victoire indiscutable du mouvement Hamas lors de ces élections dans Gaza comme en Cisjordanie a rompu les règles du jeu. La Palestiniens ont « mal » voté et doivent pour cela en supporter les conséquences. Mini-Etat en cours de dissolution, l’Autorité nationale Palestinienne est confrontée aujourd’hui à une perte de légitimité qui met en péril son existence même.

Si la déstructuration de la société civile palestinienne se poursuit, conformément à la politique du pire conduite par les secteurs ultra-religieux et ultra-nationalistes israéliens, certains milieux de Tel Aviv et leurs parrains américains commencèrent à s’alarmer. Sourds aux offres de négociation du nouveau Gouvernement et aux accords de la Mecque entre celui-ci et le Fatah sous l’égide de la monarchie saoudienne, ils choisirent d’armer à travers la frontière égyptienne avec Gaza la garde présidentielle et la tant détestée Sécurité Préventive dirigée par des personnages aussi troubles que Mohammad Dahlan. Malgré cela et après une série de luttes impitoyables entre les deux factions rivales --- des Palestiniens tuant des Palestiniens, spectacle devant lequel l’occupant ne cachait pas sa satisfaction --- ce qui est alors survenu le mois de juin dans la bande de Gaza n’a surpris que ceux qui ne connaissaient pas le désespoir infini qui est celui des habitants de ce territoire. Les dirigeants de l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine] et les responsables du Fatah ont déserté leurs postes et se sont enfuis en Egypte, laissant derrière eux le territoire et son million et demi d’habitants aux mains du Hamas.

Il est vrai que l’on pouvait ingénument espérer qu’à la lumière de ces évènements, les Etats-Unis et le dénommé Quartet en prendraient bonne note et s’abstiendraient de renouveler la même erreur à la fois éthique et stratégique. Le voyage de Condolezza Rice au Proche-Orient aurait pu être le coup de fouet d’un nouveau cours : l’imposition à Israël d’une politique conforme à ses intérêts à long terme et son intégration dans un vaste ensemble régional. Mais tout s’est réduit à la substantielle vente d’armes dont nous avons déjà parlé et à quelques mots creux destinés à la misérable Autorité. Avec une perspicacité et une générosité dignes de son chef, Rice annonça, en même temps que les 46 milliards d’euros destinés à la défense d’Israël et des pétromonarchies arabes de cette zone, « un premier versement de 58,6 millions d’euros pour qu’Abbas réforme les organismes de sécurité » ! En d’autres termes : un appât pour le canari pour qu’il entre sans crainte dans sa cage si peu dorée.

Pour qui connaît de visu l’asphyxie de Gaza, le résultat électoral de janvier 2006 et ce qui est survenu en juin dernier étaient clairement annoncés. La brutalité sans limites du siège israélien et l’humiliation constante à laquelle sont soumis les habitants [de la bande de Gaza] sont aujourd’hui les mêmes qu’il y a vingt ans lorsque nous avons filmé avec une équipe de télévision la première Intifada : un tournage difficile, quasi impossible à cause des constants obstacles dus au commandement militaire et au manque de confiance des gens enfermés dans leurs ghettos (les services de sécurité israéliens s’en prenaient régulièrement à ceux qui profitaient de la présence de médias étrangers pour exposer les abus de la colonisation).

Après la signature des accords d’Oslo, le « Versailles palestinien » selon les termes employés par d’Edward Saïd, l’occupant à évacué 57 % du minuscule territoire de la bande de Gaza (le restant correspondait aux colonies parfois quasi inhabitées qui y étaient implantées), et au milieu d’un océan de cabanes hérissées d’antennes se sont mises à fleurir de luxueuses villas, au luxe d’un goût douteux quasi grotesque appartenant aux « tunisiens », c’est-à-dire aux dirigeants de l’OLP qui avaient accompagné Arafat dans son exil forcé en Afrique du nord. Le malaise, pour ne pas dire l’indignation des Palestiniens était tout à fait palpable et fut le terreau dans lequel a été cultivé l’enracinement progressif du Hamas et de la minorité du Jihad Islamique, enracinement favorisé à l’origine par Israël pour contrarier Arafat. Face au népotisme et à la corruption de l’Autorité Nationale Palestinienne, l’organisation islamique commença à mettre en place ses réseaux associatifs pour l’aide aux plus nécessiteux.

Dans ma série de reportages intitulée « Ni guerre ni paix » (El Païs, du 12 au 17 février 1995), j’intégrai quelques entrevues : une avec un responsable du Hamas, une cible quelques années plus tard des assassinats sélectifs par les missiles israéliens, et d’autres avec des personnes civiles liées à Amnistie Internationale. Les faits qu’ils dénonçaient et l’indifférence de la communauté internationale leur faisaient monter le rouge aux joues. « Regardez les jeunes garçons qui se consument dans les ghettos », me disait le représentant du Croissant Rouge, « ils ont une bombe à la place du c ?ur ». La brève visite ultérieure avec les membres du Parlement International des Ecrivains a confirmé mes désolantes impressions : la désagrégation des structures sociales et politiques de la bande de Gaza étaient dans un état avancé et l’islam pragmatique du Hamas était l’unique force capable de leur donner une certaine homogénéité. La « courageuse » évacuation unilatérale du territoire par Ariel Sharon n’a entraîné aucune amélioration pour ses habitants. Gaza est aujourd’hui un ghetto bloqué par la terre, la mer et les airs, et soumis à des conditions d’existence tout à fait inhumaines pour avoir « mal voté ».

Si nous ne sommes pas surpris par le cynisme de la politique américaine tant disposée à pacter avec les tyrans favorables à ses intérêts et à punir ceux qui démocratiquement élisent des dirigeants qui y sont opposés, la soumission du Quartet, de l’Union Européenne et des états arabes supposés pro-occidentaux à cette même politique nous font ressentir plus que jamais un sentiment de honte. Le million et demi de personnes confinées dans un trou sans espoir d’en sortir ne peuvent que rêver au « martyre » défendu par Al Qaeda. Comme l’écrivait le journaliste israélien Gidéon Lévy, cité par Alain Gresh dans un excellent article publié dans le Monde Diplomatique du mois de juillet dernier, « ces jeunes que nous avons vus cruellement s’entretuer sont les enfants de la première Intifada. La majorité d’entre eux ne sont jamais sortis de Gaza. Ils ont vu durant des années les blessures et les passage à tabac infligés à leurs frères aînés, l’enfermement de leurs parents dans leur propre maison, sans travail ni espérance. Toute leur vie s’est déroulée à l’ombre de la violence israélienne ». C’est la cruelle vérité.

Dommage que les agences de voyage qui font la promotion de croisières luxueuses le long des côtes de la Méditerranée n’intègrent pas dans leur programme une visite guidée dans les zones insalubres et clôturées de la bande de Gaza ! Soyons sûrs que cette escale laisserait « un souvenir ineffaçable » à la clientèle triée sur le volet et tout à fait en accord avec les annonces publicitaires de leurs élégants catalogues.

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Juan Goytisolo

* Juan Goytisolo est écrivain. Auteur d’une quinzaine de romans (tous interdits en Espagne jusqu’à la mort de Franco) et de nombreux essais, il a obtenu, en 1985, le Prix Europalia pour l’ensemble de son ?uvre.
Il vit actuellement au Maroc.


Gaza :

- Entendez-vous les cris de Gaza ?
- Gaza : la souffrance pour tous

El Païs du 19 août 2007
Version originale : Gaza, abandonada
Traduction de l’espagnol : Claude Zurbach


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