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En Irak, les soldats de Sa Majesté désarmés par la défaite politique

vendredi 31 août 2007 - 07h:05

Pierre Chambonnet - Le Temps

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DEBACLE. A quoi servent les forces britanniques en Mésopotamie ? Comme l’opinion publique au Royaume-Uni, les militaires s’interrogent. Même l’allié américain se montre critique.

Les bérets ont été remplacés par des casques lourds. Depuis longtemps. Dans le sud irakien, les soldats de Sa Majesté font aujourd’hui profil bas. Cantonnés au palais du gouverneur de Bassorah et à proximité de l’aéroport de la ville, les militaires britanniques ne sont plus dans l’enfer irakien que l’ombre d’eux-mêmes. Célébrée à grand renfort d’images choc, la softly-softly approach britannique (une conception de la guerre aux antipodes du marteau-pilon américain, et qui permettait aux soldats de patrouiller en béret) s’est envolée. Elle a laissé la place au repli et à l’inquiétude.

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Soldats britanniques à Bassorah - Photo : GETTY/AFP

Les forces britanniques en Mésopotamie (46 000 soldats au moment de l’invasion, 5 500 aujourd’hui) vivent terrées et peinent à assurer leur propre sécurité. Pour Moqtada al-Sadr, le chef religieux chiite à la tête de l’Armée du Mehdi, l’armée britannique a été défaite : « Les Britanniques ont renoncé et ils savent qu’ils vont bientôt quitter l’Irak, a-t-il déclaré à The Independent. Ils se retirent à cause de la résistance à laquelle ils sont confrontés. » Rien de surprenant, de la part du plus fervent supporter du départ des troupes étrangères d’Irak. Plus étonnant en revanche, dans la bouche du chef du bureau de commandement de l’armée irakienne à Bassorah, le général Ali Ibrahim : « Nous souhaitons que les Britanniques s’en aillent, pour que la situation s’améliore. »

A quoi servent les forces britanniques en Irak ? Officiellement, les troupes ont une mission recentrée sur trois objectifs : la surveillance de la frontière Iran-Irak, la sécurité des routes d’approvisionnement entre le golfe Persique et Bagdad via Bassorah, et l’entraînement des troupes de la 10e division irakienne.

Sur place, groupes mafieux et milices chiites se disputent le contrôle de la région. Au début de l’été, l’International Crisis Group notait dans un rapport incendiaire : « Bassorah est l’exemple à ne pas suivre. » « La ville est contrôlée par des milices qui semblent plus puissantes et plus autonomes que jamais. »

Nombre d’officiers pensent pourtant avoir terminé leur mission. Ils estiment qu’il est grand temps de plier bagage, les objectifs atteints grâce au transfert du pouvoir aux Irakiens dans deux des quatre provinces occupées par l’armée britannique. Le petit contingent déployé dans le palais de Bassorah doit d’ailleurs partir dans les semaines à venir. Et Londres prévoit de faire rentrer d’ici à la fin de l’année 500 militaires. Un retrait total des troupes - que le premier ministre Gordon Brown se refuse encore à rappeler - pourrait intervenir début 2008.

Depuis le début de l’année, 41 soldats sont morts, contre 29 pour toute l’année 2006. Au total, 168 militaires ont laissé leur vie en Irak. Comment s’explique un tel bilan pour l’une des meilleures armées du monde dont l’efficacité a été largement prouvée, des Malouines à la Sierra Leone, en passant par l’Irlande du Nord ?

« Au moment d’envahir l’Irak, les Anglais, comme les Américains, n’envisageaient pas l’après, explique Yves Boyer, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique à Paris et spécialiste des questions militaires. Les Britanniques sont en Irak pour le maintien de leur relation privilégiée avec les Etats-Unis plus que par conviction. » Une raison pour laquelle ils ont été considérés dès le début comme des junior partners. « Tout ce qui concerne l’Irak est avant tout l’affaire de Washington, poursuit le chercheur. Il faut rappeler que Donald Rumsfeld avait d’ailleurs laissé entendre clairement au début des opérations irakiennes que les Etats-Unis pouvaient se passer de la Grande-Bretagne en Irak. »

L’effectif des forces armées britanniques est aussi en forte baisse, à son plus bas niveau depuis la création de l’armée (100 000 hommes dans l’armée de terre aujourd’hui). « L’Irak est un conflit périphérique. Il est impossible d’y envoyer suffisamment d’hommes pour réussir », note Yves Boyer. Pour le général américain Jack Keane, cité par l’AFP, les Britanniques « n’ont jamais eu suffisamment de troupes pour protéger les gens ». Et l’ancien chef d’état-major adjoint est aussi critique : « Je pense qu’il y a un désengagement par rapport aux problèmes clés à Bassorah. »

« On ne peut pas parler de défaite militaire pour autant, poursuit Yves Boyer. Les Britanniques ne sont pas plus mauvais que d’autres. Mais ils sont dans un contexte politico-social intenable. La défaite est en fait politique, due au manque de vue à long terme face aux défis de l’occupation de l’Irak. »

A l’époque, des généraux américains avaient plaidé pour un déploiement au sol intensif. Les sages de la guerre affirmaient que Bagdad devrait sans doute être prise rue par rue. C’était sans imaginer que, quatre années de guerre plus tard, c’est le pays tout entier qui devrait être tenu de la même manière

Pierre Chambonnet - Le Temps, le 27 août 2007


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