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Déconstruire l’option jordanienne

jeudi 16 août 2007 - 06h:53

Osamah Khalil - The Electronic Intifada

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Comme si cela restait encore à prouver, la réapparition de l’idée d’une confédération avec la Jordanie montre à quel point l’appel de la doctrine Bush à « la démocratisation du Moyen-Orient » est vraiment superficiel et vain.

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Badges à l’effigie du roi Abdullah de Jordanie à vendre au milieu de drapeaux jordaniens, palestiniens et autres, dans une boutique d’Amman, Jordanie - juillet 2007
(Matthew Cassel)

Le mois dernier, le journal israélien Haaretz signalait que les USA et Israël pensaient reprendre l’option jordanienne. Malgré les vifs démentis d’Amman, l’article a provoqué une vague de spéculations et d’inquiétudes chez les Palestiniens. Beaucoup craignent que si elle est mise en application, cette option va marquer la fin des espoirs pour un Etat palestinien indépendant. Ressusciter l’option jordanienne, dans laquelle la Cisjordanie et probablement Gaza seraient rattachées en une confédération politique et économique à la Jordanie, ne fait pas que démontrer la pauvreté des idées de Washington et d’Israël, mais aussi leur désespoir. Peut-être ces alliés croient-ils qu’en prenant les Palestiniens entre le « marteau » du mur d’apartheid d’Israël et l’« enclume » de la si vantée Légion arabe de Jordanie et du redouté service de renseignements de Mikhabarat, ils vont étouffer le nationalisme palestinien. Cependant, eux et tous les dirigeants arabes qui s’entendraient sur une telle politique feraient une erreur malheureuse. S’il faut en croire l’histoire, le régime hachémite a plus à craindre d’une telle confédération que les Palestiniens.

Proposée à l’origine comme une réponse au déclenchement de la Grande Révolte arabe contre le mandat britannique en 1936, l’idée d’une confédération avec la Jordanie a été systématiquement utilisée par les puissances mondiales et régionales comme moyen pour sévir contre l’activité politique palestinienne et récompenser les clients fidèles. Le plan de partition de Peel (*) proposait la création d’un petit Etat juif dans le nord de la Palestine et d’un Etat arabe rattaché à la Transjordanie sous l’autorité d’Abdullah Ier, roi de Jordanie, lequel jusqu’à sa mort restera l’instrument docile des Britanniques. Ce plan a été rejeté avec énergie par la direction arabe palestinienne qui protestait contre la partition de la Palestine, l’autorité d’Abdullah et le transfert de population envisagé d’environ 225 000 Palestiniens hors du territoire récupéré pour l’Etat juif.

Une décennie plus tard, le plan de partition des Nations unies pour la Palestine semblait abandonner certaines des dispositions initiales. Cependant, la Grande-Bretagne s’est secrètement coordonnée avec la Transjordanie pour saisir des territoires désignés par les Nations unies pour être l’Etat arabe. Cette entente était garantie par un accord tacite entre le roi Abdullah et la direction sioniste de Palestine comme détaillé dans Collusion Across the Jordan d’Avi Shlaim. Connue sous le nom de Plan pour une plus grande Transjordanie, cette politique préconise l’annexion de la Palestine centrale (la Cisjordanie actuelle) par la Transjordanie. Craignant qu’un Etat palestinien ne soit dirigé par Hajj Amin Husseini et ne devienne une source de nationalisme et d’irrédentisme radicaux conduisant à un conflit continuel dans la région, les alliés anglo-américains ont cru que le Plan pour une plus grande Transjordanie offrirait la meilleure chance de parvenir à une paix et à la stabilité.

Dans la période qui a suivi la Nakba, avec une société palestinienne anéantie et plus de la moitié de la population réfugiée - dont plus de 300 000 rien qu’en Cisjordanie et en Jordanie -, Abdullah a obtenu l’acceptation de son autorité dans une parodie de conférence conduite par ses alliés du Parti de la défense nationale palestinienne. Les deux territoires ont été officiellement renommés Royaume hachémite de Jordanie en 1950, et ont reçu, par Londres, une reconnaissance de droit et, par Washington, une approbation privée. Un an plus tard, Abdullah était assassiné par un Palestinien à la mosquée de Jérusalem devant son petit-fils, le défunt roi Hussein.

En moins de dix ans, le mouvement national palestinien réapparaît, inspiré par la révolution algérienne et plus largement par la tendance d’un nationalisme arabe tel qu’adopté par le Président égyptien, Gamal Abdel Nasser. Après la guerre de juin 1967 et alors que les régimes arabes dans tout le spectre politique sont discrédités aux yeux de leur opinion, que la Cisjordanie, Gaza, la péninsule du Sinaï et le plateau du Golan sont occupés par Israël, c’est la résistance palestinienne qui représente le symbole des espoirs et des aspirations arabes dans toute la région. Bien que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ait été reconnue par la Ligue arabe et les Nations unies comme l’« unique représentant légitime du peuple palestinien » en 1974, la possibilité d’une confédération avec la Jordanie a été entretenue par les dirigeants américains, israéliens et jordaniens, afin d’annihiler les exigences palestiniennes pour l’autodétermination. Le déclanchement de la première Intifada et la déclaration qui en découle du roi Hussein renonçant à revendiquer la Cisjordanie ont semblé mettre fin à la possibilité de l’option jordanienne. Du moins, il le semblait.

Comme si cela restait encore à prouver, la réapparition de l’idée d’une confédération avec la Jordanie montre à quel point l’appel de la doctrine Bush à « la démocratisation du Moyen-Orient » est vraiment superficiel et vain. Sa vision d’un « nouveau Moyen-Orient » est un désastre, Washington a une fois encore préféré la « stabilité », plutôt qu’un gouvernement représentatif, en soutenant les régimes arabes conservateurs avec une aide militaire et financière accrue. Le roi Abdullah II et d’autres peuvent croire qu’en renforçant les relations de la Jordanie avec Washington - et leur dépendance - ils vont assurer la sécurité de leur régime, mais ils oublient comme par hasard que le soutien américain n’a aucune garantie de succès. Il suffit de regarder la tentative avortée d’Ahmad Chalabi pour devenir le Président d’un « Iraq libre » avec l’aide de Washington, ou, à ce propos, comment se portent les gouvernements iraquiens désignés et élus depuis le début de l’occupation américaine. L’histoire n’est pas clémente non plus pour les familles qui ont choisi la corruption, l’opulence et la servilité plutôt que les besoins de leurs populations : les Diem, les Pahlavi, et les Somoza.

En effet, ces destinées devraient être bien connues des Hachémites qui doivent garder en mémoire comment la monarchie imposée par les Britanniques à leurs cousins d’Iraq s’est terminée en 1958. Cependant, les Hachémites ne sont pas juste une clique d’élite, ils représentent un régime minoritaire qui s’écarte de plus en plus de la population à l’intérieur des frontières. Plus de 50% des 6 millions de personnes de Jordanie sont des Palestiniens, la plupart sont des réfugiés des guerres de 1948 et 1967. La Jordanie a été aussi contrainte de faire face à un afflux récent de réfugiés d’environ 750 000 Iraquiens. De plus, le régime a besoin de l’aide étrangère des Etats-Unis et des subventions des Etats pétroliers arabes pour rester solvable. Incorporer la Palestine dans un tel scénario, avec les braises toujours ardentes de la seconde Intifada, un Hamas enhardi et l’Irak qui se désagrège, ne parviendra pas à estomper les aspirations nationales palestiniennes, mais les stimulera.

La façon dont l’Amérique s’en remet de plus en plus aux régimes arabes conservateurs est illustrée par sa relation avec l’appareil militaire et le service de renseignements jordaniens. Comme Joseph Massad le décrit dans Colonial Effects, la Légion arabe a servi d’ossature à l’identité nationale jordanienne. Elle a été aussi l’instrument direct de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis pour réprimer les mouvements qu’ils considéraient comme « radicaux » au Moyen-Orient, notamment la Grande révolte arabe (1936-1939) et l’OLP (septembre 1970). Plus récemment, la Légion arabe et Mukhbarat se sont avérés sûrs pour Washington - si ce n’est nécessairement experts -, en tant que services externalisés. Dans la « guerre contre le terrorisme », la Jordanie est devenue l’un des sites où les suspects de terrorisme et « les détenus de haute valeur » font l’objet à des « interprétations incroyables », doux euphémisme pour les interrogatoires et les tortures par le Mukhabarat, ainsi les Américains ne se salissent pas les mains. Tandis qu’en Irak, le magazine The New Yorker signalait récemment que les employés et les traducteurs iraquiens dans la « Zone verte », considérés maintenant comme une menace potentielle à la sécurité, ont été remplacés par des Jordaniens. De plus, durant ces dernières années, la Jordanie a participé à l’entraînement de la milice de Mohammad Dahlan à Gaza et d’éléments de l’armée libanaise. A voir la façon médiocre dont les deux se sont comportés dernièrement, la prouesse de la formation jordanienne est loin d’être établie. Bien que l’armée libanaise, tout comme la Légion arabe, ait déjà montré ses dispositions particulières pour les bombardements aveugles sur des secteurs densément peuplés de civils, elle démontre une nouvelle fois que les armées des Etats arabes sont destinées principalement à la liquididation de la population interne et aux défilés militaires.

Le roi Abdullah Ier était connu avec mépris comme « le Petit Roi de Bevin » en raison de sa très petite stature et de son obséquiosité à l’égard du secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Ernest Bevin. Contrairement à son grand-père, Abdullah II ne se contente pas de lier sa fortune à un seul particulier ou à une administration. Il est plutôt décidé, comme son père, à être le Petit Roi de l’Amérique, et dans le processus, à se rendre indispensable, avec la Jordanie, pour les projets de Washington au Moyen-Orient. Peut-être, comme ses prédécesseurs, le roi Abdullah II croit-il qu’en absorbant la Palestine, non seulement il rendra la Jordanie plus viable économiquement, mais encore il se fera mieux voir des décideurs politiques américains et israéliens. Cependant, dans une région de plus en plus instable, on ne peut savoir combien de temps Amman pourra soutenir la politique désastreuse des USA et continuer à maîtriser sa propre population. Ce qui est évident pourtant pour le régime hachémite, c’est qu’en essayant une nouvelle fois d’engloutir la Palestine, il le fait à ses risques et périls.

*) - voir l’article, en deuxième partie : "Sionisme : transfert et apartheid", du Dr Mahmoud Muharib, de décembre 2005.


Osamah Khalil, palestinien-américain, est doctorant en histoire pour les Etats-Unis et le Moyen-Orient à l’université de Californie, à Berkeley. Il se concentre sur la politique étrangère US au Moyen-Orient. On peut le contacter à l’adresse : okhalil@berkeley.edu


Du même auteur :

- "La révolution commence maintenant", 15 juillet 2007 - The Electronic Intifada


13 août 2007 - The Electronic Intifada - Traduction : JPP


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