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Faire rêver de Nahr al-Bared

mercredi 8 août 2007 - 11h:00

Dr Marcy Newman - Electronic Lebanon

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« Comment faire pour que les médias parlent quotidiennement de notre situation au point que les gens, la nuit, en arrivent à rêver de nous, les gens de Nahr al-Bared ? ».

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Le camp de réfugiés de Nahr al-Bared, déjà très éprouvé, dans le nord du Liban est toujours soumis aux destructions des combats entre l’armée libanaise et le Fatah al-Islam 16 juillet 2007 (Paul)

Beyrouth, Liban, le 4 août 2007

La semaine dernière, un groupe de militants internationaux, de personnes du camp de réfugiés de Shatila et d’autres du comité des personnes déplacées de Nahr al-Bared ont tenu une réunion pour rechercher la façon de briser le silence des médias sur le siège du camp de réfugiés de Nahr al-Bared. L’une des personnes présentes à la réunion a demandé : « Comment faire pour que les médias parlent quotidiennement de notre situation au point que les gens, la nuit, en arrivent à rêver de nous, les gens de Nahr al-Bared ? ».

Comment faire pour amener les gens à mettre la situation des déplacés de Nahr al-Bared en tête de leurs préoccupations ? Comment faire pour que les médias fassent savoir que, selon la société du Croissant Rouge palestinien et Save the Children - Suède, il reste encore 15 mineurs entre 13 et 18 ans, 10 personnes entre 18 et 35 ans, un homme de 67 ans et 21 femmes du Fatah al-Islam avec leur 45 enfants, enfermés à l’intérieur de Nahr al-Bared ?

Il y a deux jours, un jeune de 17 ans et un autre de 19 ont été tués par l’armée. Ceux qui sont là ont choisi de rester à l’intérieur du camp quand le Comité international de la Croix-Rouge (ICRC) a tenté de négocier leur évacuation la semaine dernière. Mais alors que l’armée autorisait l’ICRC à retrouver ces personnes dans le camp, aucune aide - ni alimentaire ni médicale - n’a pu être emmenée dans le camp. Pour l’armée, il semble qu’autoriser une aide au camp signifie nécessairement qu’elle ira au Fatah al-Islam.

Mais il y a des êtres humains à l’intérieur, des enfants, certains n’ayant pas plus d’un mois. Ces enfants subissent les bombardements intenses de l’armée, à tout instant. Mais avec ce « vous êtes avec nous ou contre nous », l’univers ne peut même pas fournir des couches-culottes pour les petits.

Comme je déjeunais chez un ami la semaine dernière, dans le camp de réfugiés de Baddawi, à 10 km à peu près du camp de réfugiés de Nahr al-Bared, j’étais frappée par l’intensité du bombardement sur la route. Toutes les minutes, je sentais les vibrations et entendais les bombes - même plusieurs par minute.

Voyant ces milliers de Palestiniens de Nahr al-Bared déplacés à Baddawi, je n’arrêtais pas de penser que toutes ces familles qui avaient fui ces bombardements de l’armée devaient revivre l’horreur de leur fuite, à chaque bombe, chaque jour. Chaque minute. Comment faire pour que le Libanais ordinaire, ou tout citoyen ordinaire plus généralement, comprenne, ressente, agisse pour que cesse ce siège ? Comment rendre la situation assez complexe pour que l’aide aux familles à l’intérieur de Nahr al-Bared ne soit pas automatiquement considérée comme un soutien au Fatah al-Islam ?

Une des raisons qui font que les médias se sont ?endormis au volant’, c’est que les journalistes qui veulent écrire sur Nahr al-Bared sont contrôlés par l’armée. Même si les soldats peuvent ne pas tirer sur les journalistes comme ils l’ont fait pendant la première semaine du conflit, ils continuent de les garder à distance. Les journalistes se tiennent à l’extérieur du camp et à la merci de l’armée pour toute information sur le conflit. Peu d’entre eux défient l’armée, et peu sortent indemnes de procès engagés par l’armée à propos d’articles sur la situation qui la présentent d’une manière que l’armée ne pardonne pas. Bienvenue à l’incorporation du journalisme au Liban !

Conformément à la méthode US pour la couverture médiatique de l’Iraq, les journalistes doivent rapporter le point de vue de l’armée libanaise s’ils espèrent couvrir la situation. Cette forme de censure ne prend aucunement en compte les coûts humains de cette guerre, les gens emprisonnés à l’intérieur ou les gens déplacés.

Les coûts humains de cette guerre sont multiples. Une fois encore, on a rendu les Palestiniens invisibles, inexistants. C’est un petit scandale de voir les réactions à propos des déplacements des Palestiniens, comparées à celles sur les déplacements pendant l’agression israélienne contre l’Iran l’été dernier.

Les gens de Nahr al-Bared sont confrontés à une crise humanitaire et politique, conséquence de cette situation. Le rythme du travail humanitaire s’est ralenti, les ONG étant en train de programmer leur prochaine étape : reconstruire Nahr al-Bared. Mais même là, on ne voit pas les gens de Nahr al-Bared. Toutes les organisations - de l’UNWRA à l’OLP - gardent les civils à distance alors qu’elles envisagent de revenir et de reconstruire Nahr al-Bared.

Personne de Nahr al-Bared ne peut s’asseoir à la table et discuter des projets du camp, comment ils aimeraient que soit leur camp une fois reconstruit, ou comment et quand ils aimeraient retourner dans leur camp. Nahr al-Bared n’est pas seulement un camp de réfugiés ; c’est une communauté, un quartier. Les gens de ce camp ont connu trop de déplacements, depuis la dépossession catastrophique de la Palestine historique en 1948, la nakba, jusqu’à la destruction du camp de réfugiés de Tel al-Za’atar en 1976 par la milice phalangiste, et l’anéantissement en cours de Nahr al-Bared.

Les Palestiniens du Liban connaissent trop bien les promesses faites et non tenues du passé, alors est-il surprenant qu’ils restent sceptiques devant les promesses de reconstruire le camp alors qu’ils sont écartés de toute discussion à ce sujet ?

Les Palestiniens désirent, exigent, et méritent, le respect de leur droit au retour à Nahr al-Bared, et en Palestine. Les Palestiniens de Nahr al-Bared ont vu les personnes déplacée du Sud Liban revenir dans leurs villages détruits l’été dernier malgré les bombes à sous munitions non explosées. Même si le Sud Liban n’est pas un espace clos comme les camps de réfugiés, les Palestiniens ont tout autant le droit de contrôler leur propre agence en ce qui concerne le retour dans leurs maisons, à leur discrétion.

Les traumatismes accumulés - expulsés de leurs maisons encore une fois, agressés par des militaires encore une fois, revivant des bombardements quotidiens, considérés comme inexistants par les organismes d’aide qui prétendant les aider ou par les médias qui refusent de raconter leur vie - ces traumatismes doivent être soignés dès que possible. Les médias et les organisations doivent faire leur travail et mettre en évidence les coûts humains de cette guerre et ceux qui les vivent, en relatant tout ce qui concerne leurs déplacements, leurs emprisonnements et les besoins actuels et à venir de leur camp.

C’est seulement en plaçant ces sujets d’inquiétude au premier plan de la situation de Nahr al-Bared que nous pourrons être sûrs que les gens vont effectivement, pendant leur sommeil, rêver des gens de Nahr al-Bared.

Le Dr Marcy Newman est professeur associé au Centre d’études et de recherches américaines de l’université américaine de Beyrouth et membre de Initiative for Middle East Policy Dialogue. Elle est aussi coordinatrice pour la Campagne d’aide à Nahr el-Bared.

Pour plus d’informations, la contacter à l’adresse : marcynewman@gmail.com

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The Electronic Intifada - Live from Lebanon - traduction : JPP


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