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Festival de Casa - Rap Palestinien

mardi 7 août 2007 - 07h:48

Cerise Maréchaud

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Mots pour maux, le rap de DAM, né dans une ville-ghetto à un jet de pierre de Jérusalem, incarne la nouvelle poésie de la résistance palestinienne.

Au pied du mur

Aujourd’hui encore, ils ne savent pas qui l’a fait. Mais peu importe. “C’est la meilleure chose qui nous soit arrivée”, lance Tamer Nafar, sans rancune pour l’inconnu qui, il y a une dizaine d’années, dérobait son PC et diffusait sur le Web la poignée de chansons enfouies dans le disque dur. Les premières de DAM, sobre acronyme pour “Da Arabian MC’s”, actuelle autorité palestinienne du rap, que Tamer venait alors de fonder avec son frère Souhell et Mahmoud Jreri.

Il ne pouvait en être autrement. En effet, depuis leur enfance, les trois ont foulé la même poussière. Celle de Lid, vieille ville plantée à vingt kilomètres de Jérusalem. Avec DAM, ils veulent raconter ce qu’ils voient par la fenêtre : la réalité d’un ghetto écartelé, dernier bastion arraché par Tsahal à la Cisjordanie en 1948, où cohabitent douloureusement juifs et arabes. Comme pour le million trois cent mille Palestiniens restés dans l’Etat juif, bouts de familles dispersés entre Gaza et Ramallah, Jénine et la Jordanie, l’expression “arabes israéliens” est pour DAM une coquille vide qui les enferme. “Cela nous sépare de nos proches”, explique Mahmoud.

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De g. à d. Mahmoud Jreri,
Tamer et Suhell Nafar.
(Steve Sabella)

Un poste de police dans l’école

“Blanc, gris, noir”. À Lid même, les quartiers portent des noms de couleurs séparant “les juifs européens des Falachas d’Ethiopie, les arabes des juifs du Maghreb, du Yémen ou d’Irak”, explique Mahmoud. Dans leur quartier “noir”, entre les ruines des maisons détruites, un poste de police a remplacé la bibliothèque de l’école. “Nous sommes les blacks du Moyen-Orient”, poursuit Tamer, barbe très fine dessinant sa mâchoire serrée. S’identifiant à la “political school” du rap américain de 2Pac et Public Enemy, il décide, il y a dix ans, de se lancer, en anglais, et vend sa voiture achetée avec de maigres économies pour bidouiller un premier album solo. Intitulé Stop selling drugs (1998), le CD accueille Suhell en featuring sur deux morceaux. C’est finalement Mahmoud, bluffé par cette courageuse prise de parole surgie du parpaing de Lid, qui aborde les deux frères pour fonder le trio.

Mots pour maux, DAM lance ses rimes colériques contre les clichés plaqués sur le Moyen-Orient, la “dictature déguisée de la politique sioniste”, la misère sociale qui l’entoure. Leitmotiv : briser le silence, dans la foulée de leurs prédécesseurs algérois MBS, avec qui DAM co-signera le titre “Boomerang”. Morceau après morceau, l’ordinateur, avant de se volatiliser, s’alourdit de cette “révolution de salon”. Premiers concerts confidentiels : l’anniversaire de Souhell, celui de Tamer... puis une première scène digne de ce nom à Nazareth. “Il y avait deux mille personnes qui chantaient en choeur nos chansons”, se rappellent-t-ils encore.

Entre-temps, la playlist dérobée s’était répandue comme une traînée de poudre sur le Web : un million de téléchargements du titre “Min Irhabi” sur arabrap.net, “trois ans avant la sortie de l’album !”, précise Mahmoud. Le texte, où le groupe tutoie un sioniste imaginaire pour montrer que le terroriste n’est pas toujours celui qu’on croit, devient slogans de manifs et sujets d’études dans des universités étrangères, fascinées par les héritiers urbains de Mahmoud Darwish et Tawfiq Ziad.

Tandis que le magazine français Rolling Stone distribue gratuitement leur album, qu’ils figurent sur une compil’ aux côtés de Manu Chao, Zebda et Noir Désir, qu’ils posent pour le photographe David Alan Harvey (Magnum et National Geographic) dans une série sur les rappeurs dans le monde, le moindre petit concert à Gaza leur reste inaccessible, passeport israélien de DAM oblige. “Ramallah, c’est interdit aussi, mais on arrive à y aller par des petites routes de campagne”, raconte Tamer. À défaut de passer les checkpoints, le groupe passe à la radio et joue au Swedish Palestinian Center, au théâtre Al Qasaba, dans quelques clubs et même près du Mur, “la scène parfaite” selon Tamer.

Intifada des platines

Sorti en 2006 et distribué par le label britannique indépendant Red Circle, leur premier album international, Ihda, sonne comme une promesse. Un “must hear”, dixit le réalisateur palestinien Hany Abu Assad, le réalisateur de Paradise Now, qui avait déjà choisi DAM pour illustrer la BO de son Ford Transit (2002). Beats urbains et flow saccadé, assouplis de mélopées orientales, Gamal Abdul Nasser samplé dans l’intro, Ihda parle de mur et de racisme, d’impasse politique et d’amours contrariées, de droits des femmes - “Al Hurriye Un’ta” avec la rappeuse Safa Hathoot du groupe Arapeyat - et de génération sacrifiée. En contre-pied du Mur des Pink Floyd(The Wall), les enfants qui chantent en ch ?ur le refrain de “Nghayer Bukra” réclament de l’éducation pour “changer demain”. Dans “Inkilab” résonne aussi l’écho des Songs of Freedom de Bob Marley. “Il sont porteurs d’un douloureux réalisme, certes, mais DAM c’est aussi cette pure vibe festive et cet egotrip propre au hip hop”, salue Nikkfurie de La Caution, coupable d’un hypnotique featuring sur Ihda (“Mes Endroits”).

Entre radicalisme excédé et pacifisme constructif, DAM séduit un peu partout en Europe, voire aux Etats-Unis... mais moins en Israël, bien qu’ils chantent aussi en hébreu. “En arabe, on prêche des convaincus, reconnaît Tamer, nous voulons aussi nous adresser à l’ennemi”. Les médias israéliens suivent moins qu’au début. “Nos textes ont gagné en profondeur et en maturité, ça intéresse moins”, remarque Mahmoud. Ironie de leur identité malmenée, DAM est “interdit en Arabie Saoudite et au Koweït”. Pour autant, le trio refuse toute récupération politique, préférant se fier à sa propre sensibilité : “On n’est ni pour ni contre le Hamas, mais le peuple l’a choisi, il faut respecter ça”, tranche Mahmoud, soulignant que “dans un ghetto, on finit toujours par s’entretuer...”.

Mais tout juif n’est pas sioniste, insiste DAM. “On sait bien qu’en Israël, il y a des gens de droite, du centre et de gauche. Actuellement, ce sont les premiers qui sont au pouvoir”, clarifient ceux qui apportent souvent leur contribution à des regards constructifs sur le conflit. Le trio a ainsi fait une apparition dans Local Angels (2002), documentaire du réalisateur et militant progressiste Udi Aloni, comme dans son film Le Pardon (2006), sélectionné au Festival de Berlin. Aux platines et au son, dans l’album comme sur scène, DAM s’en remet à Ori Shochat, producteur, MC et DJ réputé être le meilleur d’Israël.

Une preuve que co-existence sous le parapluie du hip hop est possible, malgré l’amer souvenir du documentaire Channels of rage, primé au festival de Jérusalem. De 2000 à 2003, sa réalisatrice Anat Halachmi a suivi Tamer et Kobi Shimoni, alias Subliminal, leader du hip hop israélien et sioniste convaincu. À mesure que pourrissent leurs relations, malgré les scènes partagées sous la bannière du hip hop, c’est tout l’impossible dialogue entre les deux peuples qui ressurgit. Pour tout commentaire, Tamer serre la mâchoire. Et dresse son mur... de silence.


Documentaire. Résistance alternative

Artiste multimédia et réalisatrice américano-palestinienne installée à New-York, Jackie Salloum aime démonter les clichés médiatiques, comme dans Planet of Arabs, présenté au Festival de Sundance en 2005. Sling Shot Hip Hop, actuellement en postproduction, va à la rencontre des rappeurs palestiniens encouragés par l’avant-gardisme de DAM : P.R à Gaza, Arapeyat et ZilZal à Akka, We7 à Nazareth, Rami à Jénine, R.U à Ramallah... Tour à tour, la caméra accompagne la tension émue d’un premier concert, capture le contrôle d’identité d’un rappeur dans les rues de Tel Aviv “parce qu’il parle arabe”, suit le trio de Da Arabian MC’s au pied du Mur, le long d’un chemin aride dans le camp de réfugiés de Aïda. “Il y avait des oliviers partout, ils ont tout détruit”, s’insurge Suhell Nafar, tandis que Mahmoud Jreri prophétise : “Tout mur dans le monde est tombé, celui-là aussi, un jour”. Si Jackie Salloum explore le rôle que revêt le hip hop dans la vie sociale, politique et personnelle des jeunes groupes palestiniens, Tamer nuance : “On n’a pas de pays, comment peut-on parler de mouvement ?”.

5 août 2007- TelQuel Online


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