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Moyen-Orient : Radiographie d’une poudrière

samedi 4 août 2007 - 06h:37

Stéphane Bussard - Le Temps

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Une frappe préventive contre l’Iran fait craindre le pire dans un Moyen-Orient de plus en plus militarisé et sur fond de menace nucléaire.

En visite au Moyen-Orient jusqu’à jeudi, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice est allée expliquer la nouvelle stratégie de la Maison-Blanche dans la région. Elle se résume en un mot : réarmement. Washington entend conclure des contrats d’armement de 63 milliards de dollars : 30 pour Israël, 20 pour l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe et 13 pour l’Egypte. Cible de ce revirement : l’Iran. Motif ? Les Etats-Unis craignent comme la peste que la République islamique n’acquière la bombe atomique. Or, dans une vaste enquête* réalisée auprès de diplomates, de journalistes, de militaires et d’universitaires du Moyen-Orient, deux politologues de Rand Corporation, Dalia Dassa Kaye et Frederic M. Wehrey, montrent que la vraie peur des voisins de l’Iran, ce n’est pas l’usage de la bombe par Téhéran, considéré comme un acteur plus ou moins rationnel, mais les effets collatéraux d’une attaque préventive américaine ou israélienne.

 ? Prolifération nucléaire au Moyen-Orient : un épouvantail

L’acquisition par Téhéran de l’arme atomique pourrait provoquer une course aux armements dans la région, surtout nucléaires. Les petits Etats du Golfe s’en inquiètent. Ils craignent que l’Arabie saoudite ne profite de la situation pour s’imposer comme le gendarme de la région. Mais aussi que Washington soutienne Riyad au détriment des relations bilatérales qu’il entretient avec ces petits Etats. Ceux-ci seraient d’ailleurs plus prompts à se rallier à l’Egypte si celle-ci devait aussi opter pour l’arme nucléaire. Une hypothèse que la rue égyptienne pourrait provoquer : si l’Iran, Israël et l’Arabie saoudite ont l’arme nucléaire, pourquoi pas nous ? Face à un Iran nucléaire, le rôle de l’Arabie saoudite effraie. Car la tendance révisionniste de Riyad en matière de frontières incite certains à prétendre que la vraie bombe, c’est le salafisme saoudien. Et non l’Iran.

 ? Israël : nécessité de renforcer ses capacités de réplique

Pour Israël, la donne n’est pas simple. Le premier ministre, Ehoud Olmert, est d’avis que son pays ne peut pas vivre avec un Iran nucléaire. Une telle hypothèse pourrait pousser l’Etat hébreu à lever l’ambiguïté de son programme nucléaire et à renforcer sa capacité dissuasive. Cela impliquerait une capacité nouvelle de réplique à une attaque nucléaire : des bases de lancement d’ogives nucléaires installées sur des sous-marins, des missiles balistiques et des capacités aériennes renforcées. Certains experts israéliens mentionnés par les politologues de Rand Corporation pensent qu’un équilibre nucléaire entre l’Iran et Israël pourrait avoir des effets bénéfiques : il pourrait provoquer des accords politiques en augmentant la pression sur Israël pour l’inciter à négocier avec la Syrie et le Liban.

Mais Israël peut privilégier la frappe préventive du type de celle qu’il a effectuée en 1981 pour détruire le réacteur irakien d’Osiraq. Les Israéliens planchent depuis des années sur la possibilité technique de détruire d’éventuelles installations nucléaires en Iran. Toutefois, l’Iran n’est pas Osiraq. Des bombardiers israéliens devraient parcourir plus de 1200 kilomètres pour le faire. Cela impliquerait de procéder à un plein de kérosène en vol à l’aller et au retour, avec des risques accrus d’être abattu. De plus, il n’est pas certain qu’Israël arrive à détruire toutes les cibles sensibles. Les sites nucléaires de Natanz et d’Arak n’ont été connus du public que récemment.

 ? La peur de représailles iraniennes

Les Etats du Golfe ne craignent pas tant l’arme nucléaire iranienne que les attaques préventives américaines ou israéliennes. Celles-ci pourraient causer des représailles iraniennes dévastatrices, estiment-ils. Certains responsables d’Oman redoutent que l’Iran utilise sa base de Bandar Abbas pour lancer des missiles contre les puits de pétrole ou les usines de désalinisation. Cité par Dalia Dassa Kaye et Frederic M. Wehrey, un chercheur omani estime qu’une simple attaque iranienne à partir d’un hélicoptère peut « dévaster les infrastructures d’importation de pétrole » d’Oman. La crainte est que l’Iran s’attaque sans nuance aux ports et bases aériennes abritant des troupes américaines. En Arabie saoudite, on tend à privilégier une frappe contre l’Iran. Mais on a aussi peur d’une réplique iranienne, sur La Mecque par exemple.

 ? Les risques de déstabilisation interne

Un Iran nucléaire pourrait avoir d’importantes répercussions à l’intérieur même des Etats voisins sunnites. Il pourrait accentuer les tensions entre la population et les gouvernants, accusés parfois de corruption et d’autoritarisme et d’être à la solde de l’Occident. Une frappe préventive américaine serait de nature à mettre fin à l’accord fragile entre la monarchie saoudienne et la minorité chiite. En Jordanie, on craint qu’elle accentue encore la violence interconfessionnelle en Irak et qu’elle multiplie le nombre de réfugiés fuyant vers Amman. De même qu’on redoute une radicalisation des partis sunnites.

 ? Feu vert pour les alliés de l’Iran

Au Moyen-Orient, si l’arme atomique iranienne fait peur, c’est aussi parce qu’elle pourrait pousser les « alliés » ou pions de l’Iran, comme le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien, à sévir sous le parapluie nucléaire iranien et réduire la marge de man ?uvre d’Israël.

*A nuclear Iran : The reactions of neighbours, in Survival, été 2007.


Du même auteur :

- Liban, la peur de la fracture

Stéphane Bussard - Le Temps, le 3 août 2007


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