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Palestine et Irak : laboratoires pour une « démocratie » nouvelle

jeudi 18 mai 2006 - 06h:11

Nahla Chahal

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L’imagination n’étant pas ce qui fait défaut aux Européens, une de leurs dernières trouvailles a été d’envisager la création d’un fonds spécial attaché à la Présidence palestinienne qui servirait au dépôt et au débit de liquidités.

A cet égard, la divergence entre les Etats-Unis et l’Europe est significative. Les premiers souhaitent la poursuite de l’injection de fonds aux Palestiniens à travers les « instances de la société civile », la seconde est plutôt encline à passer par des institutions étatiques. Une divergence qui relèverait du « culturel », la partie américaine, fidèle à son attachement supposé à la philosophie libérale, souhaiterait réduire au maximum l’intervention de l’Etat dans la vie publique ! En fait, les pires ennemis de cette philosophie sont ceux-là même qui la prêchent, nul n’ayant plus tendance à exercer son contrôle sur le moindre détail de n’importe quel domaine, à l’intérieur ou à l’extérieur de son propre territoire, que l’administration états-unienne.

L’attitude des Etats-Unis n’est-elle pas plutôt due à la détestation qu’ils nourrissent à l’endroit du Fatah, qui n’est pas moindre que celle qu’ils réservent au Hamas. La part prise par les administrations américaines successives a été décisive dans la mise en doute systématique des intentions du Fatah et de Yasser Arafat, alors à sa tête. Elles ont été de véritables complices des israéliens dans l’entreprise de propagation de théories telles que celle des « occasions manquées » et celle de « l’inexistence d’un interlocuteur palestinien valable pour le processus de paix ». Entreprise qui a largement déterminé la situation politique palestinienne actuelle.

Rappelons que ces accusations ont été formulées pour la première fois par le président Bill Clinton lors des négociations de Camp David II. Par la suite, elles ont été systématiquement reprises par les gouvernements israéliens pour préparer l’accession d’Ariel Sharon au pouvoir, la réoccupation de la Cisjordanie et la mise en place des conditions politiques et territoriales de l’enterrement des accords d’Oslo et d’une solution définitive unilatérale, c’est-à-dire une solution arbitraire et conforme aux seuls buts et intérêts israéliens.

C’est bien cette période qui prodigue ses fruits aujourd’hui et que l’élection d’Ehud Olmert et du parti Kadima doit pérenniser tout en en faisant porter la responsabilité aux ... Palestiniens : N’ont-ils pas opté pour le plus mauvais choix ? N’ont-ils pas élu Hamas ?

Si l’on répond à tout cela que nulle alternative n’a été concédée aux Palestiniens, que le vote pour le Hamas était leur dernière tentative de résister à l’effondrement total, un cri de colère à la face d’un monde qui n’a eu de cesse de les abandonner et de se liguer contre leurs aspirations et leurs revendications nationales, que c’est un ultime effort pour endiguer la désintégration interne représentée par le règne du chaos sécuritaire et de la corruption... Il sera rétorqué que les Palestiniens devraient être réalistes ! Ce terme signifie depuis quelques temps l’acceptation de la réalité telle qu’elle se présente, de façon statique, dont l’objet est la perpétuation du pouvoir de la puissance dominante, sans aucun droit de demander des comptes ou d’agir afin d’y changer quoi que ce soit -ni a fortiori de s’y opposer.

L’attitude européenne actuelle à l’égard de la situation palestinienne ne présente pas moins de menaces que ce qui a été perpétré le long des années passées et continue à l’être par l’administration états-unienne. La tendance à instaurer des rapports avec la présidence palestinienne, distincts de ceux entretenus avec le gouvernement, est une ingérence inacceptable dans les affaires internes palestiniennes et un mépris -qui risque de sérieusement les décrédibiliser- des principes démocratiques.
Au-delà, cette tendance risque de favoriser et de renforcer la scission définitive au sein du pouvoir palestinien, sinon de la causer. Une véritable logique réaliste commanderait d’intégrer le Hamas -et les mouvements similaires- dans la sphère opérationnelle et responsable de l’action politique palestinienne qu’il est urgent de définir et de construire. Cela d’autant que le Hamas ne fait pas partie de ces phénomènes politiques contingents et éphémères dont il est malaisé de connaître les motivations et de prévoir les réactions ; avec lesquels il est hautement hasardeux d’entretenir une quelconque relation.

Cette tendance à entretenir la scission mène à une impasse dont les conséquences prévisibles sont toutes néfastes autant que stériles. L’une d’elles, qui se murmure jusque parmi certaines forces palestiniennes, projette de faire en sorte que la victoire électorale du Hamas soit rapidement mise entre parenthèses, réduite à une incidence et effacée comme si elle ne fût jamais avenue. Elle pousserait les Palestiniens à faire un choix contraint entre renoncer au Hamas ou crever de faim et d’isolement et se retrouver en butte aux accusations d’être organiquement et constitutivement portés au terrorisme... Cela ne pourra en réalité que renforcer les orientations les plus extrêmes et les plus enclines au choix de la rupture vaine et nihiliste, en Palestine et plus généralement dans l’ensemble des mondes arabe et islamique.

Encourager ou même tolérer cette pratique ne compromettrait pas seulement la maturation politique du Hamas et des mouvements semblables, mais interdirait également la possibilité que soient réunies les bases d’une convergence nationale - indubitablement compliquée - entre forces aux orientations différentes qui pourraient apprendre à travailler ensemble en reconnaissant leurs limites, en acceptant l’altérité.

Favoriser cette issue à la situation actuelle compromettrait aussi le mûrissement de la crise au sein du Fatah et des forces de la gauche palestinienne. Tous ont besoin d’un questionnement global de leurs stratégies et de leurs éthiques politiques. Ce questionnement est aujourd’hui une nécessité vitale, toute velléité de passer outre en choisissant de se plier aux injonctions de l’ordre international ne peut mener à rien moins qu’à une catastrophe aux multiples facettes : Accepter de la sorte le chantage fait aux Palestiniens signifierait la détérioration des conditions de leur vie quotidienne, toucherait à la notion même de Démocratie et à sa validité comme procédure politique fiable (du moins telle que appréhendée par la conscience collective que forge le vécu commun). Le chantage accepté altérerait la confiance dans la capacité d’initiative -entendu comme faculté d’innover mais aussi comme expérimentation, tâtonnement et parfois méprise, lorsqu’il est question de surmonter des difficultés, autrement dit toujours.

Malgré les différences -considérables- qui distinguent la situation palestinienne telle que décrite de la situation irakienne, nous y voyons pourtant un trait commun. Il s’agit du degré de désinvolture et d’arrogance avec lequel il est porté atteinte à l’intégrité de chacune de ces deux réalités nationales dés l’instant que du sein de l’une ou de l’autre naît une évolution n’allant pas dans le sens des desiderata des puissances dominantes. Les Etats-Unis ont fondé leur occupation de l’Irak sur leur prétention à lancer une initiative politique exemplaire et sans précédent, non seulement en Irak mais dans l’ensemble du "Grand Moyen Orient" qu’ils appellent de leurs v ?ux. Le plan politique ainsi instauré par les américains s’est graduellement développé jusqu’à aboutir récemment à l’adoption d’une Constitution permanente et à la tenue d’élections définitives. Mais il a suffi que les résultats de ces élections ne soient pas conformes à leurs attentes pour qu’il soit envisagé d’en suspendre les effets et de reprendre l’essai à son début. Sinon, et pour faire l’économie d’une remake du processus électoral, l’administration américaine exige de corriger les résultats !

Le pire est sans doute le fait que le putsch auto-infligé à cette démocratie de facture américaine procède plus d’une sorte d’entêtement que d’enjeux effectifs. Les divergences qui opposent monsieur Al-Jaafari, candidat au poste de chef du gouvernement, au Président de la République monsieur Talibani sont certes importantes, le statut de la ville de Kirkouk en est un exemple. Mais cette question, précisément, est loin de pouvoir être tranchée dans un avenir proche, de même que la question de l’Etat fédéral. Ce qui aujourd’hui est en jeu est de déterminer qui, en Irak, a la haute main sur l’évolution des chose. Le limogeage de M. Al-Jaafari et l’annulation de sa désignation deviennent de ce fait un but en soi mettant les points sur les i quand à qui décide en dernière instance en Irak.

Ainsi, les Etats-Unis montrent qu’ils peuvent à tout moment reprendre d’une main ce qu’ils ont donné de l’autre. Or, une telle politique ne peut perdurer qu’en approfondissant en Irak la division, la désintégration et le conflit civil.

Drôle de démocratie que celle-là ! Non seulement putschiste et autoritaire mais aussi sanguinaire !

9 avril 2006 - Al Hayat


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