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Le Hamas, un défi aux régimes pro-occidentaux arabes

samedi 21 juillet 2007 - 07h:02

Alberto Cruz - Rebelión

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La prise de contrôle de Gaza par le Hamas a fait couler des rivières d’encre et, avec elles, des analyses pour tous les goûts, dépendant du point de vue idéologique de chacun : de ceux qui ont vu le début d’un califat islamique à ceux qui croient, de manière beaucoup plus judicieuse, que le gouvernement de Abbas est le début d’un équivalent du régime de Vichy.

Cependant peu ont mis l’accent sur ce qu’il représente comme défi pour les régimes pro-occidentaux arabes. Comme dans les tremblements de terre, l’épicentre est maintenant à Gaza, mais les répliques ne tarderont pas à se produire dans d’autres parties du monde arabe, en particulier chez les voisin,s l’Égypte et la Jordanie. Il faut ainsi interpréter la décision prise le 8 juillet par la toujours inopérante et inefficace Ligue Arabe d’envoyer à Tel Aviv deux représentants, précisément de ces deux pays qui ont des relations diplomatiques avec Israël, pour qu’il « gèrent le processus de paix » avec les Palestiniens dans le cadre du plan de 2002.

Durant la guerre de l’été dernier au Liban, et à mesure qu’était manifeste l’incapacité de l’armée israélienne de vaincre le Hezbollah devant la résistance des combattants de ce mouvement politico-militaire libanais, la rue arabe fut le scénario de massives manifestations où les islamistes se joignirent sans complexe avec les marxistes et où les affiches de Hassan Nasrallah se mêlaient à celles de Che Guevara. En Égypte les Frères Musulmans ont défilé à l’unisson avec la gauche du mouvement Kefaya (Ça suffit) ; en Jordanie le Front d’Action Islamique marchait au coude à coude avec le Parti Communiste des Travailleurs. Des manifestations similaires ont eu lieu dans tout le monde arabe avec un seul cri : « Pas de paix sans justice ! ». Et avec une seule aspiration : le retrait d’Israël des territoires occupés depuis 1967.

Ce qui a fait long feu : les tentatives des régimes arabes pro-occidentaux de gagner la faveur de leurs peuples à coup de résolutions (comme celle de l’année 2002 qui prévoyait la reconnaissance de l’État d’Israël en échange de son retrait total des territoires occupés) ou leur suggestion d’ une nouvelle conférence internationale similaire à celle qui eut lieu à Madrid en 1991 à la suite de la première guerre contre l’Irak après l’invasion du Koweït et qui, de nouveau, prétendrait résoudre tous les problèmes du Moyen-Orient. Dépassées aussi les timides pressions de ces régimes à l’ONU pour qu’on travaille la question « étant donné le niveau de ressentiment et de rage [de la rue arabe] contre Israël et les USA », avec l’argument que si on n’arrive pas à un accord, « l’alternative est le chaos » (1).

Le chaos auquel se réfèrent les représentants de ces régimes n’est pas le même que celui que prédit Condolezza Rice quand elle parle du « chaos constructeur » de ce Moyen-Orient dont rêvent les impérialistes depuis l’invasion et l’occupation néocoloniale de l’Irak en 2003. C’est plutôt le chaos auquel se référait Mao Tsé-Toung lorsqu’il disait que « plus s’étend le chaos, plus on se rapproche de la solution ». Une solution que les peuples sont en train de prendre dans leurs propres mains. C’est manifeste au Liban et en Palestine, sans aller plus loin. Il en va de même en Irak, avec toutes les nuances qu’on découvre si on examine la situation, qui n’est pas si homogène que l’on veut nous le faire croire.

Dans les Territoires Occupés, l’occupation « nazioïde » d’Israël a convaincu les Palestiniens qu’il n’ y a d’autre option que la résistance étant donné que toutes les concessions qui ont été faites aux Israéliens depuis les accords d’Oslo n’ont servi à rien. Que la mal nommée communauté internationale, c’est-à-dire les USA et ses acolytes européens avec une pathétique ONU et l’inopérante Russie (les membres du Quartet) soumet le peuple palestinien à un siège pour renverser le gouvernement légitime du Hamas qui a été élu démocratiquement, renversant le mythe de la possibilité d’un futur meilleur pour ses habitants acceptant les règles démocratiques, et surtout, mettant à bas toute espérance en un futur État indépendant.

Un État indépendant et non asservi aux exigences des impérialistes. Un État indépendant, et bien entendu viable, parce que dans l’actualité les colonies continuent à croître et les Palestiniens sont toujours plus enfermés dans des réserves du type bantoustans et c’est à peine s’ils peuvent se déplacer (nous ne parlons pas de contrôle) sur 55% du territoire de Cisjordanie. Quelqu’un se souvient-il qu’il y a trois ans que la Cour Internationale de Justice de la Haye, organe judiciaire des Nations Unies, a émis une sentence déclarant illégal le mur israélien sur les terres palestiniennes, enjoignant le gouvernement israélien d’arrêter immédiatement sa construction, exigeant la démolition des parties déjà construites, la restitution des propriétés confisquées aux Palestiniens et une indemnisation appropriée aux victimes ?

Non. Tout le monde a ignoré la sentence. Israël en premier, mais aussi la pathétique UE qui depuis la guerre contre la Yougoslavie en 1999 n’a pas de politique extérieure autonome et ne fait que se soumettre hypocritement aux desseins de l’impérialisme usaméricain. Personne n’a mis de frein au non-respect massif par Israël des résolutions de l’ONU (194, 242, 338...) pendant qu’on exigeait tout des Palestiniens. Personne n’a mis de frein à Israël pour détruire, tuer et assiéger un peuple dans l’offensive développée contre Gaza sous le prétexte de libérer le soldat Shalit. Mais cela était-il l’objectif réel d’Israël ou plutôt le prétexte pour un nouveau châtiment collectif, violant, comme d’habitude, toutes les normes du droit international l’une après l’autre ?

Personne n’a freiné le président palestinien Abbas quand il a donné son accord à la constitution d’un gouvernement d’unité nationale convenu par le Hamas et le Fatah à La Mecque sous le patronage de l’Arabie Saoudite, officiellement un accord mais dans la pratique un coup d’État parrainé par les étrangers (les Saoudiens dans ce cas) qui ont forcé le vainqueur des élections à partager le pouvoir avec le vaincu.

Une seule organisation a mis un frein vite fait bien fait : la Ligue Arabe. Mais pas à Israël : aux Palestiniens, au Hamas ! Le 16 juin dernier, dans une réunion d’urgence de ses ministres des Affaires Étrangères, elle déclare qu’elle ne va pas s’immiscer et qu’elle ne va pas choisir entre les des parties, Hamas ou Fatah. Maintenant elle prend position clairement pour le Fatah. Les régimes réactionnaires arabes ne peuvent accepter que le Hamas triomphe. Le régime de Moubarak considère que la résistance permanente du Hamas à reconnaître l’État d’Israël met en doute sa propre légitimité comme leader du monde arabe et qu’il ne faut pas oublier que le Hamas a des liens étroits avec les Frères Musulmans qui en dépit du fait qu’ils sont illégaux - des dizaines de leurs dirigeants et des centaines de leurs militants sont emprisonnés -, contrôlent quasiment un cinquième du parlement égyptien. L’Égypte ne peut accepter un gouvernement du Hamas à sa frontière, avec l’influence que cela supposerait pour les Frères Musulmans. Cela a été la grande victoire d’Israël.

Nous allons voir dans les prochains jours comment se met sur la table l’option jordanienne sur la Cisjordanie pour donner la stabilité à Abas et ressusciter le vieil accord adopté par le Conseil National Palestinien en 1983 sur une confédération jordano-palestinienne à condition que les membres de cette confédération soient des États indépendants. Sans écarter que la Ligue Arabe propose l’établissement de troupes propres (c’est-à-dire de l’Égypte et de la Jordanie) sous le mandat de l’ONU à Gaza. C’est Abbas qui en a fait la proposition lors de sa réunion avec le président français Nicolas Sarkozy, le 29 juin. Un mouvement qui rappelle beaucoup ce qu’ont fait Karzaï en Afghanistan, Maliki en Irak ou Siniora au Liban.

Le Hamas, bien évidemment, rejette ces options. S’il y a des troupes elle les traitera comme des forces d’occupation. De nouveau ce sont d’autres qui font le sale boulot d’Israël. Comme au Liban. Le Hamas a le grand défi de fournir de la nourriture au million et demi d’habitants de Gaza. Mais les régimes réactionnaires arabes ont à faire face au défi de leurs peuples, qui ne vont pas assister impavides à la dégradation de Gaza et à la famine de ses habitants. Pour le moment, une enquête du Centre d’information Palestinien du 3 juillet dit clairement que s’il y avait des élections dans les Territoires, comme Abbas s’est dit disposé à faire, 51,47% de la population voterait pour Ismaïl Haniyeh, et 38% pour Abbas.

Ce qui se passe à Gaza est directement imputable aux régimes pro-occidentaux arabes, qui ont à leur débit un grand manque de crédibilité au sein de leurs populations et un retentissant échec pour tout accord de paix, comme ce fut le cas du paisible plan de 2002 qu’ils se virent obliger de ressortir après la victoire du Hezbollan dans la guerre de l’été dernier (2).

Et ce qui se passe à Gaza a beaucoup à voir avec la situation dans tout le Moyen-Orient. Précisément au moment où on commémore le premier anniversaire de la dernière guerre d’Israël au Liban, le Conseil de Sécurité de l’ONU va discuter d’un rapport du secrétaire général, Ban Ki-moon, dans lequel sont considérées comme valides les thèses israéliennes sur le transit d’armes de la Syrie au Hezbollah. La perspective de l’envoi d’ « experts internationaux » pour « superviser » la frontière du Liban avec la Syrie est toujours plus proche. La tutelle internationale de type néocolonial sur le Liban aussi. Comme en Afghanistan, en Irak et dans la Palestine d’Abbas.


Notes :

1. Al Arham, « Vision for action », 24-30 août 2006
2. Alberto Cruz, « El grito de la calle arabe : sin justicia no hay paz »,

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Alberto Cruz

Alberto Cruz est ournaliste et docteur en Relations Internationales. Il est actuellement analyste au Centre d’Etudes Politiques pour les Relations Internationales et le Développement (CEPRID). Il collabore à différents médias espagnols et internationaux, comme Rebelión, Pueblos, Aporrea, Globalresearch et Palestine Chronicle.

E-mail : albercruz@eresmas.com


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Alberto Cruz - Rebelión, via Tlaxcala, le 16 juillet 2007


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