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Les chiites du Liban : Comment ils se perçoivent

jeudi 19 juillet 2007 - 05h:33

Emilie Sueur - Confluences méditerranée

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Historiquement oppressés, marginalisés, cibles de nombreux préjugés, les chiites sont fortement attachés à la résistance, incarnée aujourd’hui par le Hezbollah, en ce qu’elle représente le coeur de leur conscience politique.

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Qu’ran

Pour les présenter, nous avons préféré, à la méthode académique, celle relevant d’entretiens avec des chiites de Beyrouth et du Liban-sud (connu aussi sous le nom de Jabal ?Amil, le Mont Amil), région où ils sont majoritaires. En donnant la parole à ces chiites de background politique et socio-économique différents, nous avons essayé de comprendre comment ils se définissent par rapport à leur propre communauté, par rapport aux autres communautés libanaises, et par rapport à l’Etat.

Depuis le 1er décembre dernier, date à laquelle l’opposition libanaise, menée par le Hezbollah chiite, a lancé un sit-in dans le centre ville de Beyrouth pour faire plier le gouvernement de Fouad Siniora, les chiites sont au cour de la plupart des débats au Liban. Leur revendication est claire : alors qu’ils représentent un tiers de la population libanaise, ils veulent, aujourd’hui, leur part du pouvoir, une place à leur mesure dans l’Etat. Si certains, au Liban, estiment que cette revendication tient du coup de force, pour les chiites, elle relève d’enjeux essentiels qui touchent à la survie même de la communauté au pays du Cèdre. Pour comprendre cet état d’esprit et les enjeux du combat politique actuel des chiites du Liban, il faut revenir sur les paramètres qui définissent leur identité. Historiquement oppressés, marginalisés, cibles de nombreux préjugés, les chiites sont fortement attachés à la résistance, incarnée aujourd’hui par le Hezbollah, en ce qu’elle représente le coeur de leur conscience politique.

Une communauté victime de préjugés

Houweida est une jeune chiite de 30 ans. Elle habite dans un quartier chrétien de Beyrouth, n’est pas voilée, et vit au rythme de la capitale : travail, embouteillages et sorties entre amis. Elle n’a jamais réellement vécu dans le village du sud dont est originaire sa famille et ne le souhaite pas, le style de vie du village ne lui convenant pas. Pourtant, elle se sent parfois ostracisée à Beyrouth. « Ma tante a toujours dit que Beyrouth n’est pas pour nous, les chiites. Et effectivement, je pense que le fait que je sois chiite ne m’a pas aidée quand je cherchais un emploi. D’ailleurs, aujourd’hui, je travaille pour une société syrienne ». Historiquement, Beyrouth était majoritairement chrétienne et sunnite. « Quand les chiites du Liban-sud ont commencé à émigrer vers Beyrouth au début du 20e siècle pour des raisons essentiellement économiques, rien n’était fait pour eux. Il n’y avait, par exemple, quasiment pas de mosquées chiites », souligne Riad el-Assaad, un entrepreneur libanais issu d’une des plus grandes, sinon la plus grande, famille du sud.

Pour Rami Zreik, professeur au sein du département agriculture à l’Université Américaine de Beyrouth, être chiite n’a pas été une entrave à sa carrière professionnelle. Sur le plan personnel, il est toutefois confronté, depuis son enfance, aux préjugés des Beyrouthins à l’encontre de sa communauté. « Lorsque j’étais écolier (dans les années 70), notre professeur, M. Denis, avait décidé de nous impliquer dans la gestion de la classe en nous assignant des tâches. A tour de rôle, nous devions essuyer le tableau noir, lire la liste des présents, remplir les encriers, et vider la corbeille à papiers. Le premier jour, M. Denis a réparti les tâches entre les écoliers. Quand il a fallu trouver quelqu’un pour vider la corbeille, un des écoliers a crié “Pas besoin de chercher un volontaire, monsieur, Zreik le fera, il est chiite” ».

Trente ans plus tard, la situation n’a pas évolué. « Combien de fois m’a-t-on dit, lors de dîners beyrouthins pendant lesquels la conversation virait à l’aigre au sujet des chiites : “Pardon, je ne savais pas que tu étais chiite”. Mais on continuait, en ajoutant : “Tu ne ressembles pas à un chiite”. Parce que je porte un jean et un tee-shirt, je ne ressemble pas à un chiite ? Les chiites sont-ils censés être sales, mal habillés, pas éduqués ? Pour éviter ce genre de désagrément, un ami a trouvé une parade. Dès que j’arrive, il signale toujours à l’assistance, au travers d’une blague généralement, que je suis chiite. Il faut avertir les « bien pensants » que je suis chiite afin qu’ils évitent de faire des remarques désobligeantes, voire racistes. Au Liban, aujourd’hui, je suis témoin de diatribes anti-chiites qui rappelleraient les diatribes antisémites »... « Face à cette situation, soit on accepte d’être l’« oncle Tom », soit on rejette tout cela. Mais, à la longue, être contraint de décliner ce que l’on est pour se protéger et ne pas être insulté, devient intolérable ».

Aujourd’hui, ces préjugés sont renforcés par la crise politique. Certains Libanais tiennent en effet le Hezbollah en partie responsable de la guerre de l’été 2006 avec Israël en raison de l’enlèvement de deux soldats israéliens par le parti de Dieu, le 12 juillet dernier. Cette opération, selon le parti de Dieu, s’inscrit dans le cadre des opérations de résistance face à Israël qui occupe toujours les hameaux de Chebaa et détient des prisonniers libanais. Récemment, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a en outre reconnu avoir donné son feu vert, quatre mois avant la guerre, à un plan d’attaque contre le Liban en cas d’enlèvement de soldats israéliens. Le Hezbollah étant un parti chiite, la faute a été rejetée sur la communauté. Après la guerre, la situation a encore empiré quand le Hezbollah a pris la tête du mouvement d’opposition contre le gouvernement de Fouad Siniora.

Après la démission des ministres chiites, le 11 novembre 2006, le cabinet s’est trouvé composé exclusivement de sunnites, de chrétiens et de druzes. Avec le lancement d’un sit-in dans le centre ville de Beyrouth accompagné de manifestations, le pays s’est retrouvé politiquement paralysé. Des tensions sunnito-chiites ont alors apparu qui ont dégénéré en batailles rangées entraînant la mort de plusieurs personnes. « Mon épouse se rend chaque semaine à Beyrouth pour suivre des cours à l’Université Saint-Joseph », explique Youssef, 41 ans, un physiothérapeute de Nabatyeh, grande ville du Liban-sud. « Avant la crise, elle s’y rendait seule. Aujourd’hui, je l’accompagne car j’ai peur pour elle ». « A Beyrouth, quand on me regarde, je sens qu’on me juge. Je sais que l’on pense que les chiites sont arriérés. Avant, j’aurais aimé vivre à Beyrouth, mais aujourd’hui, non », renchérit Mouna, son épouse, une institutrice âgée de 35 ans. Aujourd’hui, certains accusent en outre les chiites de ne pas être de « vrais Libanais » en raison de la popularité, au sein de la communauté, du Hezbollah, un parti intimement lié à l’Iran. « Une amie m’a dit un jour : “J’aimerais que les chiites commencent à agir en vrais Libanais, afin que nous puissions vivre et construire notre nation” », indique Rami Zreik. « Qui, au Liban, peut se prévaloir du droit d’attribuer un diplôme en patriotisme ? Les sunnites ne sont-ils pas soutenus par le monde arabe en général et l’Arabie Saoudite en particulier. Les chrétiens ne sont-ils pas soutenus la France ? » souligne-t-il.

Méconnaissance de l’histoire des communautés

La méconnaissance de l’histoire des communautés explique en grande partie ces préjugés et accusations. « Ici, l’enseignement de l’histoire du Liban se limite à des généralités et se concentre sur le Mont Liban », souligne Rami Zreik. Le Mont Liban, à majorité chrétienne, est le cour du Liban soutenu par les Français. « L’histoire elle-même des chiites est mal connue, rappelle Riad el-Assaad. Longtemps, notre histoire a été écrite par les autres, et pas forcément par ceux qui appréciaient le plus les chiites ».

A la fin du 18e siècle, sous la terreur orchestrée par Ahmad Bacha al Jazzar, le gouverneur ottoman, les livres des savants chiites furent, en outre, brûlés. Les chiites de Jabal’Amil n’ont véritablement commencé à travailler sur l’histoire de leur communauté qu’à partir du moment où l’idée d’une intégration à une entité plus vaste et probablement multi-communautaire a émergé. Une intégration qui devait toutefois permettre à Jabal’Amil de préserver ses particularismes. Au début du 20e siècle, écrit Sabrina Mervin dans son ouvrage de référence sur le réformisme chiite au Liban-sud1, « les réformistes amilites se mirent à écrire l’histoire de leur région, ou l’histoire du chiisme, ou bien celle du chiisme dans leur région, puisque les deux étaient, pour eux, intimement liée (...). L’accès à la modernité en matière de science historique n’était pas le souci premier des Amilites, avant tout préoccupés, presque dans l’urgence, de poser les jalons de ce qui allait devenir leur mémoire ».

Rattachement à l’Etat libanais

Contrairement aux chrétiens et aux sunnites, les chiites du Liban, jusqu’à l’avènement de la république islamique d’Iran en 1979, n’avaient pas de soutien régional. D’où la nécessité d’être rattaché à un ensemble afin de bénéficier du développement et d’une protection. A partir de la fondation par la France mandataire de l’Etat du Grand Liban, en 1920, la communauté chiite de Jabal’Amil a été traversée par différentes aspirations. Alors que certains estimaient qu’il fallait soutenir le rêve panarabe, d’autres ont rallié les positions françaises pour la création du Grand Liban. Ce sont d’ailleurs les Français qui, pour contrecarrer l’influence des nationalistes arabes sunnites, ont octroyé aux chiites le statut de secte à part entière en 1926. « De 1926 à 1943, les chiites ont observé l’expérience libanaise prendre forme. Puis jusqu’aux années 80, ils ont tenté l’expérience d’un ralliement à l’idée du Liban indépendant », souligne Riad el Assaad. Durant ces années, de nombreux leaders et lettrés chiites, qu’ils soient religieux ou non, ont écrit sur la nature des relations entre les chiites de Jabal’Amil et l’Etat libanais.

Dans les années 40, Mohammed Jawad Mughniyyé, un religieux lettré du sud Liban, déclarait : « Nous ne voulons pas que les députés du sud servent aveuglement une communauté contre une autre... Nous voulons que Jabal’Amil soit une partie intégrante du Liban, avec ses droits et ses devoirs2 » . Moussa Sadr, le fondateur d’Amal, a tenu un discours similaire. « Moussa Sadr a voulu transformer la situation dans laquelle vivaenit les chiites. Alors qu’ils étaient en dehors de l’Etat, Moussa Sadr a voulu que les chiites fassent partie de l’Etat », affirme Talal Atrissi, professeur de sociologie à l’Université libanaise. « Il voulait que l’Etat s’occupe du développement du sud et apporte une protection face aux agressions israéliennes. Il voulait que les chiites soient toujours contestataires, mais à l’intérieur de l’Etat et non plus en dehors ». Dans les années 70, quand Moussa Sadr monte en puissance, les chiites étaient déjà présents au sein de l’Etat. Toutefois, ils n’y agissaient pas encore en tant que communauté, pour la défense des intérêts de la communauté.

Au niveau des individus, des facteurs socio-économiques sont à l’origine de l’intégration au Liban. Au début du 20e siècle, poussé par la répression et une crise économique au sud, les chiites émigrent vers l’Afrique ou Beyrouth. « En 1975, en raison de la crise, plus de 60 % de la population rurale du Liban sud avait migré », selon Salim Nasr, cité par Sabrina Mervin. Dans la capitale, ils sont perçus comme une main d’oeuvre bon marché. Mais ces émigrés internes ont également un désir d’ascension sociale pour leurs enfants. « Toute une génération de chiites de Jabal’Amil a décidé d’envoyer ses enfants étudier. Mes parents sont illettrés. Mais mon père s’est juré que ses douze enfants allaient avoir une éducation supérieure. Et ils l’ont eue », souligne Talal Atrissi.

Avec ce processus d’émigration, d’éducation et d’ascension sociale apparaît une nouvelle classe sociale chiite, plus éduquée et plus riche, qui va remettre en cause le pouvoir des oulémas et des notables du sud, développer de nouvelles aspirations politiques et participer à l’intégration de la communauté à l’Etat libanais. « Mais dans les années 80, vient le temps de la désillusion totale. Les chiites se rendent comptent que l’Etat ne leur a pas fourni le développement qu’ils attendaient et qu’il a été incapable de les protéger contre Israël », souligne Riad el-Assaad. Sur le premier paramètre, des décennies après l’indépendance, le Liban-sud reste sous développé par rapport au centre du Liban. « La région fut laissée aux marges du développement et demeura la plus défavorisée du Liban, avec un taux d’analphabétisme le plus élevé et un manque chronique d’infrastructures », souligne Sabrina Mervin. « Jusqu’en 1961, plus de 200 villages étaient dépourvus d’eau courante, 85 villages étaient privés de routes », ajoute-t-elle, citant Nicolas Jabbour.

Relation à Israël

Sur le second point, le Liban-sud a été le terrain de jeu des Israéliens depuis la création de l’Etat hébreu. Avec en points d’orgue, les invasions de 1978 et de 1982 et la guerre de l’été 2006. Israël est donc un acteur central dans l’histoire de la communauté chiite du Liban-sud. Pour certains, l’Etat hébreu a signifié l’incapacité de se rendre sur les terres des ancêtres. Or, la relation avec le Jabal ?Amil est essentielle dans l’identité des chiites du sud, un point qui a échappé aux Français lors de la création du Grand Liban. Si la puissance mandataire a accordé aux chiites le statut de secte à part entière, comme nous l’avons vu plus haut, il a dissous Jabal’Amil dans le nouveau Liban en le débaptisant pour le renommer « Liban-sud » voire « le Sud ». Ainsi le Mont Liban, la montagne chrétienne, cour du projet français, avalait Jabal’Amil, alors que l’histoire de ces deux régions avait été marquée par de nombreux conflits meurtriers.

La décision française a inspiré au poète Abd el-Husayn Sadiq ces vers : « Tu n’en as laissé ni une chose nommée que l’on peut voir Ni un nom qui remplit les oreilles de joie. Tu as avalé les deux, sans te soucier de commettre un péché Ni regretter ton acte envers Amil. Quel miracle as-tu réalisé où une montagne (Mont Liban) avale une autre montagne ? » Dans les années 80, c’était au tour d’Israël d’« avaler » Jabal’Amil. Aujourd’hui, ce n’est plus un poète qui marque l’importance pour les chiites de leurs racines sudistes, mais un homme comme Machour Nakhlé. Ce chirurgien d’une quarantaine d’années n’a pu retrouver son village natal, Taybé, qu’après la libération du sud en mai 2000. Depuis cette date, il consacre toute son énergie et accessoirement son argent, au développement de son village. « Un rêve », selon ses propres termes, dont il sait qu’il sera difficile à réaliser, mais auquel il croit fermement, et pour lequel il a abandonné, sans regret, le confort d’une vie à Beyrouth.

Pour d’autres, l’occupation israélienne a, à l’inverse, empêché la découverte du Liban. « Depuis que je suis né, j’ai vécu avec les Israéliens, au sud. C’est seulement en 2000, que j’ai pu découvrir Beyrouth, Baalbeck. Et quand j’y pense, mon histoire est radicalement différente de celle d’un Libanais du nord par exemple. Ce pays est tout petit, mais nous avons vécu des choses complètement différentes », explique Ahmad, un libraire d’une quarantaine d’années à Bint Jbeil. « Mon histoire est ici et elle est intimement, liée à celle d’Israël », renchérit Youssef, de Nabatyeh. Une histoire gravée dans le corps. « A douze ans, j’ai été blessé par balle à la jambe par des tirs israéliens. Toutes les familles du sud ont eu au moins un blessé lors des conflits avec Israël »

Emergence d’une conscience politique

C’est en raison de l’incapacité de l’Etat libanais à développer économiquement le Sud et à le protéger, qu’ont émergé les partis politiques communautaires dans les années 80, avec Amal et Hezbollah. Avant eux, du temps de la puissance des notables chiites, ce sont ces derniers qui géraient les « intérêts » de la communauté en fonction généralement de leurs propres intérêts. A partir des années 60, certains chiites ont rallié des partis d’opposition, de gauche ou nationalistes arabes. Deux points, ici, sont à relever. Il est d’abord intéressant de noter que le premier ralliement des chiites à des partis politiques tournait autour de l’idée de la lutte contre l’injustice. Un concept ancré dans l’histoire politique et économique de la région (Les Amilites furent oppressés par les ottomans, par leurs propres leaders, par les autorités du mandat Français...) et dans l’histoire du chiisme de Jabal ?Amil. Abou Darr al Gifari, un compagnon du prophète Mohammed à l’origine de la conversion au chiisme des Amilites, fut notamment présenté par un réformiste amilite, Ahmad Rida, comme un révolutionnaire, un « proto militant socialiste ».

D’autre part, jusqu’aux années 80, les chiites n’avaient pas développé de conscience politique propre. En ralliant des partis gauchistes ou nationalistes arabes, ils ont adopté une conscience politique développée par d’autres, en dehors de la communauté. C’est Amal et Hezbollah qui incarneront une conscience politique proprement chiite. Ces deux partis se sont construits autour du concept de la lutte contre l’injustice et l’oppression, en s’appuyant sur les deux principaux axes de mécontentement des chiites du Liban : le manque de développement, fer de lance de Amal, et la résistance à Israël, avec le Hezbollah. Mouna, l’institutrice de Nabatyeh, résume très bien l’importance pour les chiites, de la défense de la communauté et ses conséquences en terme de rattachement à un parti politique. « Théoriquement, je pourrais sympathiser avec un parti non chiite si ses idées me conviennent. Mais, pratiquement, ce serait très difficile pour moi de rallier un tel parti par rapport au reste de la communauté. Les idées sont importantes, mais je dois rester dans ma communauté pour défendre ses intérêts ».

Aujourd’hui, au sein de la communauté chiite, le Hezbollah bénéficie d’une popularité accrue face à Amal. Alors que ce dernier est resté dans la politique de « la demande » (de services, d’infrastructures de développement pour les régions chiites), le Hezbollah incarne la résistance, et, par la même, est considéré comme la meilleure défense de la communauté. Avec le temps, et sous les coups de boutoir de l’armée israélienne, la résistance est devenue un élément central dans la construction de l’identité chiite au Liban et de sa conscience politique. S’il existe des voix dissidentes au sein de la communauté chiite, elles sont toutefois incapables, aujourd’hui, de s’organiser de manière à proposer une alternative à Amal et Hezbollah en matière de représentation politique solide.

Défendre la résistance, pour défendre la communauté

Cet état d’esprit permet de mieux comprendre la dynamique de la crise actuelle qui sévit au Liban. « Avec la victoire de la guerre de l’été, le Hezbollah a gagné une nouvelle aura, les chiites se sentent plus forts que jamais », souligne Okab Sakr, un analyste politique. « Historiquement, les chiites ont toujours été les faibles au Liban. Ils ont toujours senti que ce pays n’avait pas été fait pour eux. Mon oncle disait : même s’il reste un maronite, qu’il a un oil de verre, une jambe en moins et une main arrachée, le Liban sera toujours pour lui. Aujourd’hui, les chiites sentent qu’ils peuvent changer cela, alors ils veulent assurer leur position. Mais, en même temps, les chiites sentent que du statut de faibles, ils sont passés à celui de cibles », ajoute Okab Sakr. Les résolutions de l’ONU 1559 et 1701 appellent en effet au désarmement du Hezbollah, et donc à la fin de la résistance. Par ailleurs, le Hezbollah est dans la ligne de mire des Etats-Unis et de certains partis libanais, alors qu’à travers la région se multiplient les déclarations alarmistes sur la formation d’un arc chiite.

Dans le contexte actuel, éliminer la résistance revient donc à éliminer la conscience politique des chiites. Et par la même, à les rejeter aux marges de l’Etat. « Aujourd’hui, les chiites pensent qu’on veut les renvoyer à leur statut social bas, à leurs chariots de vendeurs des rues. Et ça, ils ne le veulent pas », souligne Okab Sakr. « La lutte contre l’injustice et la résistance sont les deux éléments principaux de l’identité chiite. Mais attention, il n’y a pas de désir de revanche sur l’Histoire, souligne Riad el-Assaad. Aujourd’hui, le Hezbollah veut cimenter sa position de force en demandant le tiers de blocage au sein du gouvernement et une nouvelle loi électorale. Deux outils qui permettront de garantir la survie de la résistance. Aujourd’hui, oui, les chiites ont peur de retomber. Si Amal et le Hezbollah sont éliminés, les chiites perdent tout ». Youssef, de Nabatyeh, ne dit pas autre chose. « Si le Hezbollah ou Amal disparaissent, nous partirons en Irak ». Alors que son interlocuteur sourit, il ajoute : « Croyez-moi, ce ne sont pas des paroles en l’air ».

Note :

1. Un réformisme chiite. Ulémas et lettrés du Gamal ?Amil (actuel Liban-Sud) de la fin de l’Empire ottoman à l’indépendance du Liban, Sabrina Mervin, Karthala- Cermoc-Ifead, 2000. 2. The Shi’a of Lebanon. Clans, parties and Clerics, Rodger Shanahan, Tauris Academic Studies, 2005.

De la même auteure :

- Misère des réfugiés irakiens à Damas


Confluences Méditerranée, printemps 2007 :

- Israël : une stratégie persévérante de dislocation du monde arabe
- Liban : la Résolution 1701 de l’ONU en sursis
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CONFLUENCES Méditerranée est une revue trimestrielle qui a été créée en 1991 par une équipe d’universitaires, de diplomates et de journalistes passionnés des questions politiques et culturelles concernant les pays du bassin méditerranéen. Elle est éditée à Paris par L’Harmattan et est soutenue par le Centre National du Livre (CNL) et le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD).

Emilie Sueur - Confluences méditerranée, n° 61, printemps 2007


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