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Bonjour de Rafah

lundi 9 juillet 2007 - 08h:09

Yasmin Moor - The Electronic Intifada

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Ici, à Gaza, tous nous écoutons la radio, toutes les heures, attentifs aux nouvelles (notre seul moyen de savoir ce qui se passe à l’extérieur) et attendant de savoir ce qu’Abu Mazen (Mahmoud Abbas), Israël et les USA sont en train de nous préparer, et où notre destin nous conduira.

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Des Palestiniens viennent remplir des bouteilles et d’autres récipients aux fontaines publiques dans le sud de la bande de Gaza, le 2 juillet 2007 (Hatem Omar/MaanImages).

28 juin 2007

C’est devenu plus qu’une prison pour les gens de Gaza. Nous ressemblons trop à des animaux dans un zoo, dans des cages avec juste assez de nourriture pour deux semaines afin de rester en vie, mais sans être ni bien ni libres, attendant que quelqu’un décide ce qu’on va faire de nous. Au moins, dans un zoo, si un animal tombe malade, il est enlevé du zoo et dirigé vers un hôpital vétérinaire. Ici, dans Gaza, Dieu vous interdit de tomber malade ou d’être blessé - les hôpitaux sont pleins et on ne se rend pas facilement en Egypte ou en Cisjordanie pour une assistance médicale. Nous sommes donc à la merci de ce petit groupe qui garde les portes du zoo, Mr Abbas, Israël et le Quartet.

Permettez-moi quelques lignes à propos de la frontière, juste pour vous donner une idée.

C’est l’une des formes les plus déshumanisantes et démoralisantes de l’injustice que les Palestiniens doivent subir. Il y a deux portes entre l’Egypte et Gaza, l’une est du côté égyptien et l’autre du côté gazan. Les gens font la queue pour rentrer à Gaza, certains arrivent à la porte avant l’aube, comme cela ils sont en tête de file. Alors, ils attendent à partir de 3h ou 4h du matin jusqu’à ce que les officiels de l’Union européenne décident d’arriver. S’ils viennent, c’est vers 9h, 9h 15, si jamais ils viennent. Quelquefois, ils ne viennent pas du tout.

La porte s’ouvre toutes les 2 ou 3 heures et celui qui peut courir va pouvoir rentrer, celui qui ne peut pas va devoir attendre. Certains sautent par-dessus la porte dans une tentative désespérée pour rentrer, mais les Egyptiens les rattrapent et les renvoient en bout de file d’attente. Les personnes âgées et celles qui sont accompagnées d’enfants attendent, puisqu’elles ne peuvent pas courir. Certaines attendent pendant des jours.

L’image qui m’a le plus frappée est cette ouverture de la porte où les gens se sont battus pour pouvoir rentrer, et je ne pouvais rien faire mais je nous sentais comme des animaux se précipitant vers leur liberté. Aucun moment n’a été plus déprimant. Une fois la porte passée, nous traversons le côté égyptien de la frontière puis, nous retrouvons le même processus avec les Palestiniens. Mais cette fois, les Egyptiens (nous expédiant sur Gaza) nous entassent comme des sardines dans des cars dont les fenêtres ne s’ouvrent pas alors qu’il fait 100% F (37% C environ - ndt) et ces cars doivent attendre que les Egyptiens ouvrent la seconde porte pour passer du côté palestinien de la frontière. Ils mettent dans les cars autant de personnes qu’ils peuvent car la frontière peut se refermer à tout moment. Des gens s’accrochaient aux fenêtres de notre car, à l’extérieur, et d’autres étaient sur le toit. Je suis restée dans le car pendant deux heures. Avant même qu’il n’ait démarré, mon chemisier était trempé de sueur.

Il y a en ce moment 5 000 personnes à attendre pour rentrer à Gaza, à la porte du côté égyptien de la frontière. Elles sont dans un no man’s land. Elles ne peuvent pas aller au-delà de la frontière, plus loin vers l’Egypte. Ce sont des Palestiniens qui n’ont pas de domicile en Egypte et certains n’ont pas d’argent pour aller à cet hôtel construit à la frontière, à Arrej. Et ils ne peuvent davantage rentrer à Gaza. Alors, ils restent là en plein soleil, tout le jour, à attendre. Et chaque jour, des gens meurent alors qu’ils attendaient, de chaleur, d’épuisement ou de désespoir face à leur sort.

Je pense que beaucoup d’entre nous avaient quelque espoir à la veille du sommet de Sharm al-Sheikh de lundi dernier - nous pensions qu’Abbas nous représenterait, nous les gens de Gaza. Nous y avons cru et nous ne pensions pas qu’il nous abandonnerait et nous couperait du reste de la Palestine, nous laisserait vivre sans notre liberté. Nous pensions aussi qu’il négocierait au moins les fermetures de frontière, ou le déblocage de 40 millions de dollars sur l’aide de l’Union européenne attendue et déjà prête (86% des Gazans vivent maintenant sous le seuil de pauvreté, en mars ils étaient 80%). Mais à notre grande déception, Abbas n’a pas abordé les sanctions économiques sur Gaza, ni l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, il ne nous a pas représentés non plus, ni les besoins qui sont les nôtres. Haniyeh, qui représente Gaza et ses besoins était « prêt à engager immédiatement le dialogue », il n’a pas reçu de réponse positive. Pour nous punir encore plus, Israël a lâché les revenus fiscaux qu’il retenait depuis 18 mois mais pour le gouvernement d’Abu Mazen, Gaza ne recevra rien. En attendant, Israël tire ses missiles sur Khan Younis et Sufa, et tue 13 Palestiniens et en blesse 40.

Le sommet a été présenté comme voulant soutenir Abbas et isoler le Hamas, et c’est exactement ce qui s’est passé. Mais ce que le monde n’arrive pas à réaliser, c’est que ce n’est pas le Hamas qui se retrouve isolé, ce sont 1,4 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui, comme les autres hommes, femmes et enfants du reste du monde, veulent vivre libres et qui, comme chacun dans le monde, portent des espoirs et des rêves pour eux et les leurs. Je vais terminer avec ceci :

Une femme dont le fils de 12 ans a été tué hier à Khan Younis (il n’était pas un militant du Hamas) était interrogée à la radio et l’animateur lui a demandé ce qui était arrivé. Elle a répondu ceci :

« Où êtes-vous Abu Mazen ? Venez voir mon fils, il est mort, où êtes-vous ? Où êtes-vous, vous nous avez oubliés ? Et vous laissez Israël nous massacrer ? Venez Abu Mazen, venez repousser les chars et arrêter les missiles. Venez, mais nous nous ne bougerons pas, nous restons encore et nous ne bougerons pas, et nous ne quitterons pas nos maisons comme Israël l’a programmé. Nous restons encore, et que Dieu soit loué, Dieu soit loué, nous restons toujours. »

Et nous attendons de savoir ce qui est décidé pour nous.


Yassmin Moor est Palestinienne et Américaine, elle écrit depuis Rafah dans la Bande de Gaza. Elle travaille actuellement à la réalisation d’un projet de jardinerie avec une organisation dont elle est co-fondatrice, Save Gaza. Yassmin peut être jointe à l’adresse : yasminemoor A T gmail D O T com.

Gaza, Palestine occupée, The Electronic Intifada - 4 juillet 2007 - traduction : JPP

A propos de Rafah :
- Cauchemar au poste frontière de Rafah
- Échoués face à la frontière à Rafah


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