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Baiser de Judas pour le Fatah ?

samedi 30 juin 2007 - 21h:26

Saleh Al-Naami - Al Ahram Weekly

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Puisque les gouvernements israélien et américain embrassent Abou Mazen, le peuple palestinien soutiendra immanquablement le Hamas.

Muhannad, huit ans, était de toute évidence tendu ; il donnait l’impression d’être assis sur des charbons ardents.
Son père jetait des baguettes de bois dans le feu qui avait été allumé sous un pot posé sur le poêle. L’enfant était content d’attendre car son père avait finalement accepté de faire cuire des épis de maïs ramassés dans un champ voisin après avoir récupéré assez de petit bois pour les faire cuire.

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Réunion du gouvernement pro-Fatah mis en place par des mesures d’urgence - Photo : Reuters/Ammar Awad

Le père, Abdul-Rahman bin Awdeh, 44 ans, marchand de bétail, vit dans la région de Birket Al-Wiz à l’ouest du camp de réfugiés d’Al-Maghazi dans le centre de la Bande de Gaza. Il est obligé de rationner sa maigre quantité de gaz et de ne l’utiliser qu’une fois par jour pour préparer le repas de sa famille de onze personnes.

Tout comme la grande majorité de la population de la Bande de Gaza, Abdul-Rahman craint qu’Israël ne mette à exécution ses menaces d’interrompre la fourniture de gaz et de carburant à Gaza après la prise de contrôle de la Bande par le Hamas. Il n’utilise donc le gaz que pour ses besoins les plus essentiels et pressants. Beaucoup de familles palestiniennes, à la campagne, dans les camps de réfugiés ou même dans les grandes villes, sont revenues au petit bois pour la cuisine, non seulement parce qu’elles craignent l’arrêt de la fourniture de gaz, mais aussi parce bon nombre d’entre elles n’ont pas l’argent nécessaire pour en acheter.

C’est la conséquence de la détérioration persistante de la situation économique qui s’est encore aggravée depuis que le Hamas a pris le contrôle de la Bande de Gaza et que les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis des mois.

Nidal Abu Sameha, 26 ans, est chauffeur de taxi et transporte des voyageurs entre la ville de Gaza et le centre de la Bande. Il ne cache pas son exaspération, car à part moi, il n’a pas trouvé de clients entre Deil Al-Balah, dans le centre de la Bande de Gaza, et Gaza même, alors que son itinéraire passe près des camps de réfugiés d’Al-Bureij et d’Al-Nuseirat.

Tout en passant la main dans ses cheveux longs et épais ébouriffés par le vent, il dit : « cette profession est devenue impossible. A cause de la situation économique et du non paiement des salaires des fonctionnaires, les gens ne partent plus de chez eux et à notre tour, nous ne trouvons pas de clients. La situation est désastreuse ! »

La dégradation de la situation économique dans la Bande de Gaza est illustrée par le faible pouvoir d’achat de sa population. Ibrahim Al-Ashi, 52 ans, et Jamal Abid, 49 ans, ont des magasins voisins au marché Al-Zawiya, le plus grand de la ville de Gaza. Ils passent une bonne partie du temps à discuter des scénarios possibles pour la Bande de Gaza après la prise de contrôle par le Hamas et leurs discussions ne sont interrompues que par un rare client ou par l’appel à la prière venant de la mosquée proche. Par le passé, entre le lever et le coucher du soleil, il était difficile de bouger dans ce marché tant la foule des acheteurs était dense.

La détérioration de l’économie s’est aussi répercutée sur les services de santé de Gaza. Jamal Qandil, secrétaire du groupe médical Al-Salah Al-Tibbi à Al-Maghazi, qui regroupe un certain nombre de cliniques spécialisées, confirme que le nombre de patients est en baisse.

Il relève que les difficultés économiques ont limité le nombre d’interventions de chirurgie plastique ou la pose d’appareils d’orthodontie dans les cliniques dentaires du groupe vu la cherté de telles interventions.

En outre, même les riches de Gaza ont été touchés par le siège continu imposé et durci par Israël. Mohamed Enshas, 43 ans, qui vit à Al-Rimal Al-Janubi, quartier des familles riches de la ville, a été déçu de ne trouver que de la pastèque ou du melon samedi dernier quand il est allé au magasin de fruits de Amu Emad dans l’après-midi.
Il n’y avait rien d’autre depuis la veille car après la fermeture du passage commercial de Karni par Israël, plus aucun fruit n’était entré à Gaza.

Il n’y a pas que les pressions économiques auxquelles les Palestiniens de la Bande de Gaza doivent faire face. Récemment, Israël a à nouveau envahi le nord et l’est de la Bande. Il a aussi recommencé à assassiner des militants des mouvements de résistance palestiniens.

Ahmed Al-Masri, 59 ans, a pris une décision désastreuse. Après trente ans dans le Golfe arabe, il est retourné à Gaza pour finir ses jours avec sa femme. Comme il voulait la paix et un niveau de vie convenable, il a acheté une parcelle de cinq dunams à la campagne, à la frontière orientale du village d’Al-Qarara dans le centre de la Bande. Il a construit une belle villa dans un paysage magnifique.

Pourtant, en dépit de la belle vue, Al-Masri a été surpris par le manque de calme. L’armée d’occupation a récemment envahi la région à plusieurs reprises. Al-Masri n’a pas perdu tout espoir et n’accorde pas d’attention à ces invasions pendant qu’il bavarde avec ses invités dans le jardin. Sur le mur du séjour, il y a la photo du premier ministre du gouvernement de facto, Ismail Hanyieh, coiffé de son keffieh rouge.

Les Palestiniens de la Bande de Gaza sont finalement les victimes de la lutte de pouvoir entre le gouvernement d’urgence dont le Président palestinien Mahmoud Abbas a ordonné la formation - et qui est dirigé par Salam Fayyad - d’une part, et le gouvernement en exercice de Haniyeh, d’autre part.

Ce que cette guerre a peut-être de plus choquant pour les Palestiniens est la décision du gouvernement d’urgence de ne pas reconnaître les passeports délivrés dans la Bande de Gaza, qu’ils soient délivrés pour la première fois ou renouvelés.

Mohamed Al-Naimi, 24 ans, étudiant à l’Université islamique, qui vit avec sa famille en Arabie saoudite, est très préoccupé, non seulement parce que le poste frontière de Rafah est fermé, mais parce que même s’il rouvre il ne pourra pas sortir. Son passeport a expiré et il ne peut pas en obtenir un nouveau. Ce qui complique la situation est qu’il doit rentrer en Arabie saoudite avant un mois afin de renouveler son permis de séjour saoudien.

Depuis que le Hamas a pris le contrôle de la Bande de Gaza, les medias israéliens se sont employés à prouver que tout le monde - depuis Abou Mazen jusqu’au gouvernement américain et Israël - a décidé de saborder le Hamas et de rendre le contrôle à Abou Mazen. Selon le plan mentionné dans les journaux israéliens, Israël et le gouvernement d’urgence dirigé par Fayyad cherchent à créer deux environnements économiques et sécuritaires différents dans la bande de Gaza et la Rive occidentale.

Israël débloquera le produit des taxes palestiniennes et les transférera à Abou Mazen qui en disposera pour accroître le « confort » des Palestiniens sur la Rive occidentale uniquement. Entre-temps, on maintiendra la pression économique dans la Bande de Gaza pour convaincre la population palestinienne de se mobiliser contre la direction du Hamas. Il s’agit d’obliger celle-ci à accepter les conditions d’Abou Mazen préalables à tout dialogue : le Hamas présente des excuses pour avoir pris le contrôle des institutions de l’Autorité palestinienne et les rend à l’AP.

Le Ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement d’urgence, Ashraf Al-Agrami, confirme à Al-Ahram Weekly qu’un tel plan existe. Et le Général Ephraim Sneh, ministre israélien adjoint à la défense, qui est considéré comme l’intermédiaire entre le gouvernement israélien et le cabinet d’Abou Mazen, a confirmé en hébreu à la radio israélienne dimanche dernier qu’il y a en fait un accord américano-israélien avec Abou Mazen pour créer les circonstances propres à pousser la population de Gaza à se mobiliser contre le Hamas. La population palestinienne, dont une bonne partie dépend des médias israéliens pour son information, a tendance à croire la version israélienne.

Les Palestiniens passent beaucoup de temps à débattre et à commenter ce que disent les médias et ceux qui sont proches d’Abou Mazen ne semblent pas capables de les en empêcher. Qui écoute les programmes d’opinion publique sur les radios palestiniennes locales sait qu’un important pourcentage du public palestinien en est venu à considérer Abou Mazen comme coresponsable du siège. Au sujet de l’appel lancé par Abou Mazen aux Palestiniens pour qu’ils le soutiennent lui et son gouvernement, un auditeur a dit : "Abou Mazen veut que nous le soutenions et il collabore au siège qui nous est imposé. Il ressemble à celui qui a tué ses parents et demande l’indulgence du tribunal parce qu’il est orphelin ! »

Des élites intellectuelles et militaires israéliennes soulignent que les pressions économiques et militaires visant à soumettre les Palestiniens de la Bande de Gaza courent inévitablement à l’échec. Selon Shlomo Gazit, ancien chef du renseignement militaire israélien, l’expérience a montré que « plus on accroîtra la pression sur le peuple palestinien pour qu’il se désengage du Hamas, plus on obtiendra un résultat totalement inverse et le soutien au Hamas ne fera qu’augmenter dans la population palestinienne ».

Dans un article publié le 25 juin dans le journal Maarif, Gazit tourne en dérision le pari placé sur Abou Mazen et le Fatah ; il dit : « l’histoire a tourné le dos à Abou Mazen et au mouvement Fatah qui ne méritent plus un investissement israélien ». Il a recommandé que son gouvernement tente un dialogue avec le Hamas qui, dit-il, a le soutien de la majorité des Palestiniens. D’après le correspondant dans la Bande de Gaza pour le Canal 10 de la télévision israélienne, Shlomo Ilder, puisque les gouvernements israélien et américain embrassent Abou Mazen, le peuple palestinien soutiendra immanquablement le Hamas.

Ilder, auteur du livre Gaza is Like Death, ajoute que selon la majorité des Palestiniens , les récents événements relèvent d’un plan israélo-américain, exécuté en coordination avec Mohamed Dahlan, pour renverser le gouvernement Hamas qui a remporté une majorité écrasante lors des élections législatives.

Danny Rubinstein, qui commente les affaires palestiniennes pour Haaretz, lance une mise en garde, à savoir que les pressions économiques et sécuritaires sur les Palestiniens aboutiront à « des cauchemars plus terrifiants » que ne peuvent se l’imaginer le gouvernement israélien et l’Occident. Il affirme que « si nous arrivons à déraciner le Hamas, nous y gagnerons certainement Al-Qaeda ».

29 juin 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/851...
Traduction de l’anglais : amg


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