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Bush : la descente aux enfers

vendredi 29 juin 2007 - 06h:46

Ph. Boulet-Gercourt - Le Nouvel Observateur

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Fondé sur le simplisme, les mensonges et l’exaltation religieuse, le système politique du président américain est en faillite. Et sa fin de mandat, un désastre.

Un matin, le roi s’est réveillé nu. Impossible de dire quel jour exactement, de mettre le doigt sur un moment précis, un seul événement. Un jour, simplement, tout le monde a compris que la présidence de George Bush avait implosé. Les signes sont partout. C’est ce présentateur du journal du soir sur NBC qui annonce un nouveau sondage donnant 29 % d’opinion favorable à Bush : « L’humeur de cette nation, après tout fondée sur l’optimisme et la promesse d’une vie meilleure, est devenue franchement morose, et même coléreuse sur certains sujets. »

C’est cet article du « Washington Post » qui commence ainsi : « Le président Bush est venu à genoux devant le Sénat , avec une crédibilité tellement diminuée que... » C’est ce congressman démocrate qui traite le président d’ « enfant gâté », tandis qu’un mémo du leader démocrate de la Chambre indique : « Le président reste incroyablement faible et en décalage avec l’opinion publique [...] .

Sa cote de popularité est maintenant comparable à celle de Richard Nixon dans les mois précédant sa démission . » Ou encore cet ancien élu républicain, toujours ami de Dick Cheney, à qui l’on demande en blaguant si Bush devrait être destitué et qui vous répond sans hésiter :« Oui. Si un président a pu subir une procédure d’impeachment pour des relations sexuelles avec une stagiaire, que dire d’un président qui viole délibérément la loi ? » Mickey Edwards - c’est le nom de ce républicain désabusé devenu professeur à Princeton - prépare un livre au titre évocateur : « Comment un grand mouvement politique a abandonné la Constitution et perdu son âme »... « Bush n’est pas un “ lame duck” , c’est un “ dead duck ” [un canard mort et non plus seulement boiteux, comme le sont les présidents en fin de mandat]. Il est entouré de scandales qui explosent en série , comme une véritable nuée de mouches », note James Thurber, spécialiste de la présidence et du Congrès à l’American University.

Le désastre est tellement spectaculaire que les analystes se retrouvent à court de comparaisons. Avec Richard Nixon ? L’effondrement de Bush« n’est pas un grand échec shakespearien » comme le fut celui de « Slick Dick » , écrit l’éditorialiste Frank Rich dans le « New York Times » ; l’actuel président « est trop insignifiant pour qu’on puisse le haïr » comme on détestait Nixon. Avec Lyndon Johnson ?

« Même au pire moment de la guerre du Vietnam, il était très puissant, il avait le Congrès derrière lui, rappelle James Thurber. Cette fois, nous sommes dans une situation de faiblesse unique, avec un président ayant pris la pire décision de politique étrangère de toute l’histoire du pays et une Amérique faite de partis faibles et de lobbys puissants où l’autorité politique centrale a disparu. Dans un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis , c’est dangereux. »

La maison Bush s’était appuyée sur un système politique déliquescent pour exercer son pouvoir, aggravant ses tares par un cynisme sans limites. Maintenant qu’elle s’effondre, les anciens leviers du pouvoir deviennent les symboles de sa décadence : la loyauté aveugle, le mensonge, l’autisme, le simplisme, l’exaltation religieuse...

Les langues se délient, y compris chez les républicains. Elles racontent la promotion des « bushistes loyaux » parmi les procureurs fédéraux au détriment des compétences professionnelles. Elles détaillent les mensonges répétés d’Alberto Gonzales, le ministre de la Justice, qui est allé jusqu’à tenter d’arracher un accord de son prédécesseur sur des écoutes illégales en lui rendant visite à l’hôpital, dans une scène digne du « Parrain ».

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Soldats américains victimes d’une attaque de la résistance irakienne

Elles dénoncent l’incapacité de l’administration à se remettre en question, son imperméabilité à toute autocritique, à l’image de ce proche du président pour qui l’impuissance à arrêter Ben Laden « n’est pas un échec , mais un succès qui n’est pas encore arrivé ». « Ils n’avaient aucun doute, se souvient Price Floyd, qui a travaillé avec Karen Hughes, bras droit de Bush chargée d’améliorer l’image du pays à l’étranger. Je leur disais que les Etats-Unis n’avaient pas seulement un problème de message, qu’il fallait aussi changer le contenu de la politique. On me répondait : Shut up ! [la ferme !]. » « 

L’incuriosité de Bush et son apparente imperméabilité au doute, écrit Al Gore dans un livre au canon sur “ l’Assaut contre la raison ” ( 1 ), sont quelquefois interprétées par les gens qui le voient et l’entendent à la télévision comme le signe de la force de ses convictions, [et] la simplicité de ses propos est souvent perçue comme la preuve qu’il est allé au coeur d’un problème complexe , alors que c’est exactement le contraire qui est vrai. »

Mais son analyse est déjà datée : maintenant que la peur du 11-Septembre s’estompe, les Américains rejettent les pseudo-vérités bien emballées venues de la Maison-Blanche. Sur l’Irak, ils n’écoutent même plus Bush quand il leur promet de « vaincre le terrorisme » avec des troupes plus nombreuses : près de 6 Américains sur 10 ne croient pas que ces troupes amélioreront la situation sur le terrain. Même la religiosité de l’administration est devenue un handicap. Quand Al Gore dénonce le fait qu’ « avec la droite radicale nous avons une faction politique déguisée en secte religieuse et [ que ] le président des Etats-Unis est à la tête de cette faction »,

il est en phase avec un pays lassé du holdup des culs-bénits sur la politique américaine. N’en déplaise au pape, le candidat favori des républicains pour 2008, Rudy Giuliani, est un catholique trois fois divorcé, partisan du droit à l’avortement. Et il suffit de jeter un coup d’oeil aux titres en librairies pour constater l’overdose : « Dieu n’est pas grand. Comment la religion empoisonne tout », « l’Illusion Dieu », « Dieu en procès », « Dieu : l’hypothèse faillie »... L’échec de ce président est tellement profond, massif et dévastateur pour le pays que la question de l’impeachment ne peut être écartée.

Politiquement, elle ne tient pas la route : Bush est trop près de la fin de son mandat, et chaque jour qu’il passe à la Maison-Blanche est un cadeau pour les prétendants démocrates à l’élection de 2008. Mais il y a plus que cela. « La force émotive qui était derrière le soutien de l’Amérique à la guerre en Irak, le noyau dur d’un patriotisme amer en colère sont encore trop brûlants [...]. C’est le mythe national. C’est John Wayne.

Destituer George Bush nous forcerait à affronter directement notre penchant national pour l’autosatisfaction violente - à l’identifier , la comprendre et la rejeter. Et nous n’y sommes pas prêts », note Gary Kamiya sur salon. com. Comme beaucoup d’autres pourtant, il n’exclut pas « un événement soudain, théâtral », par exemple un scandale trop énorme pour être ignoré, qui pourrait déclencher une procédure de destitution. Après tout, 39 % des Américains sont favorables à l’impeachment de Bush, selon un sondage récent. Le sentiment qui domine est cependant celui d’un mariage raté que l’on supporte, sachant que la fin approche rapidement.

« Une bonne majorité des Américains voudraient simplement que sa présidence soit finie, analyse Frank Rich. Les électeurs sont impatients que M. Bush quitte Washington pour que quelqu’un , n’importe qui, puisse tourner la page et réparer les dégâts . » C’est donc seulement après Bush que l’on pourra vraiment évaluer l’étendue du désastre. On mesure déjà le coût humain, géopolitique et financier de l’aventure irakienne ; mais il est trop tôt pour savoir si l’implosion de Bush changera la politique américaine pour le meilleur ou pour le pire. Certaines évolutions sont probables.

« J’espère que le Congrès à l’avenir questionnera sérieusement toute tentative de déclencher une guerre, qu’il exigera des preuves bien plus sérieuses », affirme Mickey Edwards. Mais d’autres changements sont plus incertains. Que restera-t-il d’un régime qui s’est présidentialisé en piétinant les autres branches du gouvernement ? D’un Congrès qui a joué les paillassons ?
D’une justice qui a cautionné la torture, l’illégalité et l’arbitraire ? D’un débat politique où la réflexion critique a laissé le champ libre aux spots télé de trente secondes, à l’habillage marketing aussi habile que mensonger ? Cela fait longtemps que les intellectuels de ce pays se demandent si « la démocratie américaine fonctionne toujours », pour reprendre le titre du livre d’Alan Wolfe, l’un des penseurs les plus brillants du moment (2).

Al Gore, dans son pamphlet, est le premier à reconnaître que les quatre heures et demie que l’Américain moyen passe chaque jour devant sa télévision ont plus profondément changé la politique américaine que Bush. Le débat dépasse donc la seule personne du Texan. Mais sa présidence a tellement polarisé et caricaturé le « marché des idées » ( pour reprendre le mot d’Al Gore ) que l’après-Bush s’annonce comme une énigme fascinante.

Alan Wolfe espère voir les Américains « revenir à leur centrisme idéologique traditionnel et chercher des leaders capables de les rassembler plutôt que de les déchirer ». Le contraire n’est cependant pas exclu. Malgré son échec ultime, Bush a montré qu’il était possible, dans une démocratie saisie par la peur, d’ignorer la loi, de mater le Congrès, de saper la justice et de manipuler l’opinion. Le Docteur Folamour de la politique américaine va bientôt quitter la scène, mais il laissera derrière lui ses éprouvettes. Elles sont bourrées de nitroglycérine.


Notes :

( 1 ) « The Assault on Reason », par Al Gore, Penguin Press, 2007.
( 2 ) « Does American Democracy Still Work ? », par Alan Wolfe, Yale University Press, 2006.

Philippe Boulet-Gercourt, correspondant aux Etats-Unis - Le Nouvel Observateur, n°2225, semaine du 28 juin 2007


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