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« Le Hamas était le dos au mur »

mardi 26 juin 2007 - 08h:58

Mohssen Massarrat - Freitag

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« Je dirais au gouvernement isralien : Finissez-en une bonne fois pour toutes avec la politique du « diviser pour régner » ! Mettez-y un terme parce que cette politique est le plus sûr moyen de créer en Palestine une situation à l’irakienne et donc d’amener une détérioration dramatique de la sécurité des citoyens israéliens. »

Le politologue Mohssen Massarrat décrit les causes qui ont conduit le Hamas à passer à l’action et analyse les options des acteurs de cette confrontation.

Entretien avec Mohssen Massarrat, Freitag, 22 juin 2007

FREITAG : Le Hamas cherche-t-il à établir un califat à Bagdad ?

MOHSSEN MASSARRAT : À en croire le Premier ministre Ehud Olmert, oui. Olmert prétend que la Bande de Gaza représente une menace pour toute la région. Interprété par les médias allemands cela donne : Le Hamas veut établir une théocratie à Gaza et par ce moyen déstabiliser l’Égypte ainsi que d’autres États arabes. Mais le refus du Premier ministre issu du Hamas, Haniyeh, d’accepter la dissolution du gouvernement d’union nationale par Mahmoud Abbas et son attachement inconditionnel à l’unité entre Gaza et la Cisjordanie contredisent ces affirmations. Elles ne sont vraisemblablement destinées qu’à démoniser le Hamas, à étrangler complètement la Bande de Gaza, voire à préparer l’opinion à une attaque militaire israélienne contre les infrastructures du Hamas - puis à la légitimer.

Mais n’assistons-nous pas à une avancée, dans le monde arabe, de forces animées de motivations strictement religieuses ? Un processus que l’Arabie saoudite et l’Iran devraient accueillir favorablement ?

Riyad n’accueillerait pas favorablement une telle évolution. L’Iran, lui, si. Les hommes au pouvoir en Iran sont sûrement satisfaits de voir un Islam radical gagner du terrain. Ceux de Riyad risqueraient, eux, d’en devenir un jour les victimes.

Dans quelle mesure ?

Parce que la radicalisation du monde islamique a gagné aussi l’Arabie saoudite. Et parce qu’en Arabie saoudite aussi les gens prennent de plus en plus conscience que le Fatah est quasiment devenu un collaborateur de l’Occident.

Pourquoi est-ce maintenant que le Hamas a forcé la décision à Gaza ?

Si les informations qui ont filtré à ce jour sont exactes, la CIA et le Mossad ont fourni un important armement moderne à Mohamed Dahlan, l’un des chefs politiques du Fatah, et aux forces de sécurité du Fatah. En outre, des forces du Fatah ont été, dit-on, entraînées au Caire en vue d’un affrontement violent avec le Hamas. S’il en est ainsi, il est clair que le Hamas ne pouvait plus continuer à attendre sans ne rien faire. Il a donc agi rapidement et prévenu le complot ourdi par la CIA et Dahlan. En termes exacts, le Hamas a ainsi évité une guerre civile à Gaza.

En Cisjordanie aussi ?

Là le danger est toujours présent, d’autant plus qu’il faut malheureusement admettre que les USA et Israël pourraient encourager le Président Abbas à user de violence contre le Hamas en Cisjordanie, pour détourner les yeux du public de l’échec subi à Gaza. La pression à laquelle était soumis Abbas se lisait sur son visage lorsqu’il a annoncé la dissolution du gouvernement d’union. Cependant on peut - et on doit - éviter une guerre civile en Cisjordanie. Il faudrait pour cela une troupe arabe de maintien de la paix, qui empêcherait l’escalade de la violence et permettrait la tenue de nouvelles élections.

Mais jamais Israël ne tolérera que la Ligue arabe effectue une mission de maintien de la paix à ses frontières.

On pourrait recruter à parts égales pour cette intervention des troupes arabes et européennes, ce qui serait acceptable pour les Israéliens et les Palestiniens. En Cisjordanie justement ce serait utile pour permettre la tenue de nouvelles élections qui légitimeraient un nouveau gouvernement palestinien.

Au vu de la situation, l’accord entre le Hamas et le Fatah obtenu en février dernier à la Mecque par l’entremise du roi d’Arabie saoudite n’était-il pas d’emblée une escroquerie ne visant qu’à retirer au Hamas les fruits de sa victoire électorale de janvier 2006 ?

Je ne crois pas. Le roi Abdallah a vraiment essayé de réconcilier le Fatah et le Hamas, afin de contrer l’influence iranienne dans la région. Tout à fait comme Bush et Rice, il souhaitait l’établissement d’un front sunnite - la majorité des Palestiniens est sunnite- contre un supposé danger chiite. Mais les intérêts des USA - dresser dans l’espace arabe les chiites contre les sunnites- entraient en conflit avec ceux d’Israël- diviser les Palestiniens. Apparemment ce sont les Israéliens qui l’ont emporté. Olmert avait déjà obtenu un rejet occidental du compromis conclu à la Mecque et la poursuite du blocus du gouvernement d’union, toujours non reconnu, ce qui a attisé encore les divisions interpalestiniennes.

Quel prix le Hamas aura-t-il à payer ? Un isolement encore plus fort de la Bande de Gaza ?

Je ne crois pas que le Hamas poursuive une stratégie offensive et qu’il ait préparé cette action de longue main. Je pense plutôt qu’il était dos au mur et a dû réagir à un complot fomenté par l’autre côté ....

... un complot du Fatah ?

Mais aussi du Mossad et de la CIA, si les informations sont exactes. Mais je pense que contrairement à toutes les prévisions le Hamas va encore élargir sa base en Cisjordanie, parce que cette organisation, aux yeux des Palestiniens et surtout de ceux d’entre eux qui n’ont plus rien à perdre, apparaît comme la seule force politique qui représente de manière authentique leur résistance à l’occupation.

Si vous étiez conseiller auprès du gouvernement israélien, que conseilleriez-vous au vu de la situation actuelle ?

Excellente question. Je lui dirais : Finissez-en une bonne fois pour toutes avec la politique du « diviser pour régner » ! Mettez-y un terme parce que cette politique est le plus sûr moyen de créer en Palestine une situation à l’irakienne et donc d’amener une détérioration dramatique de la sécurité des citoyens israéliens. Je lui dirais franchement : Votre politique n’est pas seulement profondément antidémocratique et amorale- elle constitue purement et simplement un crime contre l’humanité, y compris envers votre propre population.

Et que conseilleriez-vous au Hamas ?

De ne réitérer en aucun cas l’erreur d’Arafat et du Hamas en succombant à la tentation de se prendre pour le seul représentant politique de leur peuple. Je dirais à la direction du Hamas : accordez aux multiples intérêts et sensibilités des Palestiniens le respect qui leur est dû. C’est à ce prix seulement que vous leur donnerez cette force que les Israéliens et les Américains craignent comme le feu. Eu égard à l’impasse que constitue la solution militaire, je conseillerais également au Hamas de choisir la voie de la désobéissance civile.

Que signifie l’évolution actuelle pour la diplomatie moyenne-orientale de Rice, et aussi du « Quartette » ?

Il semble que Bush et Rice y perdent leur latin. Ils ne savent imaginer que des actions subversives, parce qu’ils n’ont de toute évidence toujours pas compris qu’ils n’arriveront à rien en détruisant tout, en incitant à la collaboration et en instaurant des gouvernements fantoches. À l’inverse il est de plus en plus net pour les Palestiniens et un nombre sans cesse croissant de musulmans que la démocratie est un moyen tout à fait approprié pour retrouver leur propre dignité et mettre fin à l’occupation, à l’interventionnisme et à l’arbitraire de l’Occident.

C’est une ironie de l’Histoire, que ce soient justement les représentants d’États démocratiques qui, en prenant le parti de marionnettes corrompues, sont en train de détruire à tout va le désir de démocratie de ces gens. Il y a longtemps que la partialité du « Quartette » a fait de celui-ci un cadavre vivant - et c’est très bien ainsi.


Mohssen Massarrat est professeur de sciences politiques à l’Université d’Osnabrück. Membre actif du mouvement pacifiste, il a été l’un des fondateurs de la Coalition pour la vie et la paix. Massarrat a écrit de nombreux ouvrages sur les relations économiques internationales, le Moyen-Orient ainsi que sur la recherche sur la paix et le conflit dont L’Ordre américain, Hégémonie et guerres du pétrole, ainsi que Capitalisme -Puissance inégale-Développement durable : Perspectives de transformations révolutionnaires.

24 juin 2007 - Publication originale Freitag, traduit de l’allemand par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice - publié sur Contre Info


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