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« La question palestinienne est déterminante »

jeudi 21 juin 2007 - 08h:31

André Azoulay - Al-Ahram Hebdo

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Conseiller du roi Mohamed VI du Maroc, André Azoulay est membre du Groupe de haut niveau des Nations-Unies pour l’alliance de civilisations. Il fait le point sur l’état des relations entre le monde arabo-musulman et l’Occident.

Al-Ahram Hebdo : Dans l’annexe au rapport du Groupe de haut niveau pour l’alliance de civilisations que vous avez présentée avec l’ancien chef de la diplomatie française, Hubert Védrine, vous avez souligné un point important : le fait que le conflit israélo-palestinien est au c ?ur de la notion du choc des civilisations ... Pourquoi ?

André Azoulay : Nous avons essayé en premier de débusquer cette idée fausse qui est celle que nous sommes aujourd’hui dans une époque de choc des civilisations, de choc entre les cultures et que nous sommes dans une logique qui ferait que, parce que nous ne portons pas les mêmes costumes et que nous avons des comportements différents, nous sommes condamnés à la confrontation. Ceci est une aberration, une véritable escroquerie intellectuelle. Mais malheureusement, la théorie du professeur Samuel Huntington est devenue une référence qui s’est introduite par effraction et défaut dans le code des relations internationales.

Or, ce que nous avons voulu faire c’est montrer qu’il s’agit d’une escroquerie, à la fois intellectuelle et idéologique, qui est de vouloir tout expliquer par la religion. Dans ce débat, celle-ci est instrumentalisée et devient l’alibi, le prétexte et la feuille de vigne pour couvrir tous ces dossiers qu’on ne veut pas voir. Et Ceci est vrai des deux côtés, du côté occidental comme du côté du monde arabo-musulman. La religion est devenue donc l’instrument de tous ceux qui refusent d’apporter une vraie analyse et une solution politique. Donc, il a fallu d’abord démonter ce mécanisme et lorsqu’on a fait cela, il est devenu clair que tout était politique et dans cette rationalité de l’analyse, le moment était venu d’appeler un chat, un chat.

- Quels sont les dossiers qui sont à la base des tensions entre les mondes occidental et arabo-musulman ?

- Ces dossiers s’appellent Palestine, Israël, Iraq, Afghanistan et on ne peut plus longtemps gommer cette réalité ni l’occulter. Tout commence là et tout fini là. Si l’on arrive à comprendre cette réalité et à lui apporter les solutions qui s’imposent, alors tout deviendra possible. Et quand on dit tout cela, on note que dans l’ensemble de ces dossiers, il y en a un qui est horizontal, central et déterminant. C’est celui de la Palestine. J’ai même fait le scénario-fiction disant, si demain nous avons la paix en Iraq et tout s’arrange en Afghanistan, si l’on ne s’attaque pas à la question palestinienne, on revient à zéro. C’est dans ce sens que la question palestinienne est centrale et déterminante dans les problèmes que nous sommes en train de confronter. Pour illustrer cette idée, il faut essayer de comprendre pourquoi, par exemple, un Indonésien que je ne vais jamais rencontrer et moi qui suis Marocain, musulman, ou juif comme je le suis, partageons les mêmes opinions et les mêmes positions sur la Palestine. Nous n’allons jamais nous voir ni nous rencontrer, mais sur la Palestine nous avons les mêmes angoisses, frustrations et ambitions. La réalité aujourd’hui est horizontale, verticale, structurelle si l’on veut comprendre ce qui se passe entre l’islam et le reste du monde.

- Le rapport du Groupe de haut niveau des Nations-Unies a fait mention d’une déformation de l’image des Arabes en Occident au cours des soixante dernières années. Comment l’expliquez-vous ?

- Il y a eu une distorsion totale, il y eu une stigmatisation, les clichés sont devenus une théorie et les stéréotypes sont devenus une stratégie. Nous sommes dans une logique qui est profondément régressive. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus archaïques que nous l’étions il y a 70 ou 100 ans. Il y a eu un énorme recul collectif et je pense que le vrai et seul moyen de rebondir et d’en sortir, c’est d’aborder tous ces problèmes qui ont fait le lit des obscurantistes de tous les côtés et donc d’arriver à la solution des problèmes concrets que j’ai mentionnés. Et c’est pour cette raison que j’ai recommandé dans le rapport du Groupe de haut niveau que l’on mette en chantier sous l’égide de l’Onu une commission composée des autorités morales les plus reconnues, pour traiter du dossier Palestine et Israël. L’idée est d’élaborer un « Livre blanc » pour aborder tout ce qui s’est passé depuis soixante ans. A travers celui-ci on pourra donner une chance, d’abord, au peuple palestinien de reconstruire sa dignité et de gagner un peu de confiance en obtenant de la communauté internationale une reconnaissance de sa détresse, que l’on leur dise au moins : Nous savons maintenant le prix que vous avez payé.

- Comment ressentez-vous, en tant que juif marocain, ce problème palestinien ?

- Lorsque j’ai commencé mon combat en tant que juif engagé pour la cause palestinienne, je ne l’ai pas fait parce que j’étais anti-sioniste, ou contre Israël. J’ai fait cela, au contraire, parce que de cette façon j’étais dans la logique la plus profonde de ma religion, le judaïsme. Je ne suis pas juif par le sang que j’ai dans les veines. J’essaye au contraire d’être juif par ce que j’ai dans ma tête. Et moi, la façon dont j’ai appris en tant que juif arabe à devenir adolescent et adulte, c’est d’être dans cette logique qui est celle de reconnaître l’altérité. Celle décrite par Jean Baudrillard lorsqu’il dit mon moi, il est dans l’autre, sinon rien n’existe.

Malheureusement, nous sommes en train de tout perdre et je ne veux pas perdre les valeurs fondamentales de ma religion. Mais pour rester cohérent avec le judaïsme, je dois me battre tous les jours pour que les Palestiniens retrouvent leur souveraineté, leurs droits, leur dignité. Et je ne fais pas cela parce que je suis anti-israélien, je le fais parce que je sais que c’est le meilleur service que l’on puisse rendre aux enfants israéliens de demain. C’est qu’ils aient à leur côté le plus vite possible un Etat palestinien, et où les mots identité et dignité se conjuguent de la même façon qu’en Israël. On doit finir avec ce temps de double standard. Tant que nous restons dans la logique actuelle, rien ne sera possible.

- Est que ce « Livre blanc » représente une opportunité de réécrire l’Histoire du conflit israélo-palestinien au cours des soixante dernières années ?

- Ce ne pas une réécriture de l’Histoire de cette période, car celle-ci n’a jamais été écrite de façon scientifique. En réalité, chacun a dit son Histoire. Alors aujourd’hui, l’exercice est autrement plus ambitieux, autrement plus exigeant, autrement plus rigoureux. Il ne s’agit pas seulement d’un exercice des historiens même s’il sont parfois des experts. Il s’agit d’un travail global à la fois moral et scientifique. Et le plus important, c’est qu’il doit être fait à deux voix : une voix palestinienne incontestable et une israélienne qui bénéficie de la plus grande autorité morale. Et ces gens existent aussi bien du côté des Palestiniens que de celui des Israéliens et ils sont prêts aujourd’hui à faire cet exercice. Celui-ci est juste la première étape, mais si l’on ne fait pas cela, rien n’est possible parce qu’il faut qu’on sorte des soixante années de confusion, de manipulation et aussi de mensonge. Je pense que cela est le minimum que l’on puisse faire pour les Palestiniens, et en même temps cela va contribuer et aider les Israéliens à mieux comprendre. Cela va les aider aussi à vaincre leur peur de faire une lecture objective de l’Histoire.

- Comment faire en sorte que la communication entre les deux mondes occidental et arabo-musulman puisse au moins s’améliorer ?

- Nous avons effectivement fait de nombreuses recommandations dans ce sens dans le rapport du Groupe de haut Niveau. On peut certainement faire un peu plus et un peu mieux dans le domaine de l’éducation, faire un peu plus aussi pour améliorer le travail des médias dans les deux mondes pour atténuer les équivoques continuellement créées par un côté comme par l’autre. Mais tout cela restera malheureusement cosmétique tant que préalablement, on n’aura pas traité l’essentiel qui sont les dossiers politiques.

Propos recueillis par Randa Achmawi - Al Ahram - hebdo - Semaine du 20 au 26 Juin 2007, numéro 667 (Invité)


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