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Oublier le Moyen-Orient

mercredi 13 juin 2007 - 07h:25

Al Hayat & Le Courrier international

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Une idée fait son chemin parmi les néoconservateurs américains : abandonner la région à son sort, car elle ne représente pas une menace à l’échelle planétaire.

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Edward Luttwak

L’intellectuel et historien américain Edward Luttwak est un proche des néoconservateurs, même s’il ne fait pas partie du noyau dur du mouvement. Ses prospectives sont quelquefois surprenantes. Dans un article paru récemment, intitulé “The Middle of Nowhere” (Le milieu de nulle part) par allusion au Middle East (Moyen-Orient), Luttwak appelle à oublier le Moyen-Orient parce que, selon lui, les “sociétés sous-développées doivent être laissées à elles-mêmes”.

Pour lui, l’appel à l’ingérence internationale pour trouver une solution au conflit arabo-israélien n’est pas le bon choix. Quel danger, se demande l’historien, pourraient courir le monde occidental et la sécurité internationale si ce conflit se poursuivait alors qu’il n’a provoqué depuis son déclenchement, en 1921, que 100 000 victimes, soit autant que le conflit au Darfour en une seule saison ? Du point de vue stratégique, ce conflit est sans incidence sur d’autres, comme ceux qui ensanglantent l’Algérie et l’Irak, ou ceux qui opposent musulmans et hindous au Cachemire, ou musulmans et Russes en Tchétchénie.

Quant à la fameuse “arme” que représenterait le pétrole, la seule fois où elle a servi remonte à 1973. Depuis des décennies, on a cessé d’associer pétrole et politique, tant la stratégie de l’embargo s’est révélée catastrophique pour l’économie des pays producteurs. Les guerres du Golfe, ainsi que les deux Intifada palestiniennes, n’ont eu aucun impact négatif sur l’Occident. Le Moyen-Orient assure actuellement moins de 30 % de la production énergétique mondiale au lieu d’environ 40 % en 1974-1975. En 2005, seulement 17 % des importations américaines de pétrole provenaient du Golfe, contre 28 % en 1975, et ce pourcentage est appelé à diminuer de trois quarts d’ici à 2025.

La puissance accumulée gêne plus qu’elle n’inquiète

Vient ensuite le “syndrome Mussolini”, l’illusion entretenue par l’Italie, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, d’être à la tête d’une impressionnante armée, laquelle a surpris par sa médiocrité une fois la guerre déclarée. Ce syndrome a été activé une première fois avec le président égyptien Nasser, dont on avait surestimé l’armée avant qu’elle ne s’effondre lamentablement en 1967. Le même scénario s’est reproduit, de façon plus dramatique encore, avec Saddam Hussein. Ceux qui le remettent actuellement en ?uvre en Iran perdent de vue le fait que les sociétés sous-développées peuvent mener des insurrections remarquables, mais sont incapables de produire des forces militaires modernes.

La plupart des navires de guerre de l’Iran datent de plus de trente ans, et ses avions - majoritairement des F4, des Mirage ou des F5, ainsi que des F14 - n’ont plus volé depuis des années faute de pièces de rechange. Par ailleurs, qualifier d’“élite” la garde révolutionnaire iranienne n’est pas sans rappeler les appellations élogieuses dont on gratifiait la garde républicaine irakienne. Téhéran n’a mené qu’une seule guerre contre l’Irak, et l’a en définitive perdue. Quant à la prétendue défaite qu’il aurait infligée à Israël via le Hezbollah, le fait que le tiers des miliciens de ce parti aient péri durant les combats ainsi que le silence total observé par l’Iran au sujet de ce conflit discréditent totalement cette affirmation.

Pour ce qui est du terrorisme, Luttwak estime que l’Iran ne doit pas inquiéter les Etats-Unis : les opérations terroristes dans lesquelles il était directement impliqué se sont limitées à celle de Khobar, en Arabie Saoudite [2004], aux deux attentats de Buenos Aires [1992 et 1994], ainsi qu’à quelques attentats en Europe... Une menace somme toute dérisoire, au vu de celles que l’Union soviétique et avant elle le nazisme faisaient planer sur l’Occident. L’auteur va plus loin en estimant que même un arsenal nucléaire iranien développé ne saurait, en dépit de la panique qu’il provoquerait, affecter qualitativement l’équilibre international. L’idée que la société iranienne soutient à l’unanimité son programme nucléaire relève de la pure spéculation. Il suffit de voir que l’ethnie perse ne représente que 51 % de la population, le reste étant composé d’Azéris, de Kurdes et d’Arabes dont la majorité contestent le régime actuel.

La puissance dont dispose cette région gêne plus qu’elle n’inquiète. L’usage de la force avec elle n’est pas de mise. Pour moult raisons culturelles, religieuses et historiques, ses populations ne se soumettront pas en cas de défaite. Pour des raisons similaires, une politique de modération avec les Arabes n’est pas garante de leur ralliement aux Etats-Unis. Et Luttwak de conclure qu’il faut laisser cette région tranquille, le temps qu’elle fasse la paix avec elle-même et qu’elle cesse d’être prisonnière de son passé...


Note de la rédaction :

Alain Gresh, dans la section Une défaite israélienne à Sdérot (11 juin 2007) de son blog Nouvelles d’Orient fait remarquer :

J’avais signalé dans un précédent envoi, « Le Moyen-Orient au milieu de nulle part », l’article d’Edward Luttwak paru dans Prospect de mai 2007. Dans la livraison de juin, Charles Glass, auteur de plusieurs livres sur le Proche-Orient, lui répond : « What Luttwak didn’t say » (Ce que Luttwak n’a pas dit).

« La critique sarcastique et méprisante de Luttwak pour une région dans laquelle les Américains ont fait preuve d’un intérêt impérial exagéré s’accompagne de l’observation juste selon laquelle le Moyen-Orient n’est pas suffisamment important pour que l’on se batte pour lui. Mais Luttwak ne poursuit pas cet argument jusqu’à sa conclusion évidente : si le Moyen-Orient n’est pas si important, les Etats-Unis devraient arrêter de vendre des armes et de fournir des aides militaires à la région. Cela signifie se retirer de l’Irak, fermer les bases au Koweït, à Qatar et à Bahreïn ; arrêter les livraisons à la monarchie réactionnaire d’Arabie saoudite ; couper l’aide à Israël. »

« Pourquoi les contribuables américains devraient-ils payer au total 5,5 milliards de dollars chaque année à Israël pour qu’il puisse dominer une région dont la valeur stratégique diminue ? Si les Etats-Unis ne fournissent pas à Israël des bombes à fragmentation, Israël ne pourra en lancer des millions sur tout le Sud-Liban. Et pourquoi envoyer des armes à l’Arabie saoudite, un pays qui n’a jamais été en guerre ? (...) Les Etats-Unis arment Israël, l’Egypte, la Jordanie, le Koweït, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unies, Oman et la fraction du Fatah au sein de l’Autorité palestinienne. Dans l’intérêt de qui ? Le Etats-Unis devraient présenter une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour imposer un embargo sur les ventes d’armes à tous les Etats de la région. (...) Cela rendrait la région - et nous aussi - plus sûrs (safe). »

Al Hayat, via Le Courrier international, Hebdo n°865 - le 31 mai 2007


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