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Liban : Quel compromis pour quelle paix ?

lundi 11 juin 2007 - 08h:07

Marie Nassif-Debs

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Au-delà du « tribunal à caractère international »

Le 10 juin, l’accord signé entre l’ONU et le gouvernement de Fouad Sanioura sur la formation du tribunal à caractère international entrera en vigueur afin de statuer sur les crimes commis, depuis le 14 février 2005, contre des personnalités politiques et médiatiques qui avaient un rôle important dans la vie publique du Liban. Et, en premier lieu, l’ex Président du conseil Rafic Hariri dont l’assassinat fut à la base de la création de ce tribunal.

En créant ce tribunal, le Conseil de sécurité de l’ONU a fait appel, dans sa résolution 1757, au « strict respect de la souveraineté, de la sécurité territoriale, de l’unité et de l’indépendance politique du Liban ». Cependant, ce même Conseil a dépassé tout de suite ses prérogatives en violant la Constitution libanaise, puisqu’il a ajouté, à la fin du paragraphe mentionné, « sous la seule et unique autorité du gouvernement », tout en sachant que le pouvoir exécutif libanais réside, depuis la signature de l’accord de Taëf, dans le Conseil des ministres, réuni sous l’autorité du Président de la République, et non dans le seul gouvernement.

Cependant, et sans trop insister sur les discussions que soulève, depuis quelques mois, la légalité du gouvernement présidé par Fouad Sanioura, ni sur celles concernant la légalité du Président de la République bien avant cette date, ni, enfin, sur les réserves émises, au Conseil de sécurité par certaines grandes puissances et certains représentants de groupements régionaux ou autres, il nous est nécessaire de nous arrêter sur certaines tendances politiques très claires contenues dans la résolution 1757, parce qu’elles auront, sans aucun doute, des répercussions qui camoufleront des parts de la « vérité » recherchée par les Libanais sur les assassinats politiques... Sans oublier qu’elles mettent le Liban sous une nouvelle tutelle, même si cette tutelle relève, cette fois, des Nations Unies.

Donc, le retour à la résolution internationale réside dans son contenu, mais aussi dans le groupe de facteurs qui ont accompagné sa naissance et qui se sont envenimés à la suite de sa parution et qui ne se résument pas seulement dans la situation explosive vécue, à nouveau, par le Liban mais aussi dans l’escalade politique et les transformations qui caractérisent certains programmes politiques, dont, en premier lieu, la feuille de route des « Forces du 14 mars »[2], parue le soir du jeudi 31 mai, c’est-à-dire quelques heures seulement après la parution de la résolution 1757.

I. La résolution sur la création du tribunal à caractère international

La résolution 1757 a constitué une violation flagrante de la souveraineté libanaise sur deux points essentiels :

Le premier réside dans le recours du Conseil de sécurité à un précédent dangereux, non encore utilisé dans toute l’histoire de la constitution de tribunaux internationaux. Ce précédent est : l’imposition d’une convention à un Etat souverain, parce que le gouvernement de cet Etat souverain n’a pas réussi à assurer l’unanimité nationale autour de lui... Et, un tel précédent va aboutir, non seulement au Liban, mais aussi là où les Etats-Unis le jugeront nécessaire, à une intervention directe dans les affaires intérieures et les désaccords existant dans des pays membres de l’ONU, ajoutant ainsi un nouveau danger à celui que constitue déjà le droit de veto sur le devenir des petits peuples.

Quant au second point, il réside dans la mise de cette convention sous le chapitre sept de la Constitution des Nations Unies. Ce qui veut dire que l’Etat libanais est « obligé » d’exécuter le contenu d’une convention dans laquelle certains grands juristes internationaux ont trouvé des failles qui la mettait en contradiction avec le concept de la souveraineté libanaise et, surtout, avec le contenu du code pénal en vigueur au Liban... Surtout que le chapitre 7 prévoit des « sanctions » dont nous avons vu les résultats tant dans l’ex Yougoslavie qu’en Irak, tous deux investis par les hordes internationales commandées par les Etats-Unis...

Le premier responsable d’une telle situation est, sans doute aucun, le gouvernement présidé par Fouad Sanioura, ou ce qui en reste. Ce gouvernement a hâté le vote de la résolution sans étudier les amendements nécessaires à la sauvegarde de la souveraineté libanaise et des intérêts du Liban, dans le seul but d’avoir, rapidement, un atout infaillible dans le combat qui l’oppose, depuis six mois, aux « forces du 8 mars »[3]. De même, l’opposition a émis une position très ambiguë sur le contenu de la résolution, à tel point qu’elle a paru vouloir empêcher la création du tribunal suivant un agenda et des intérêts régionaux, syriens ou autres, et non pour des raisons intérieures visant à améliorer les statuts de ce tribunal...

Et ces deux positions ont abouti à donner à l’administration de Georges Bush une victoire gratuite, à un moment où elle pataugeait dans la boue de ses guerres contre l’Afghanistan et l’Irak...

II. Le communiqué des « Forces du 14 mars », ou l’appel à quitter le conflit arabo-israélien

Une responsabilité complémentaire, donc, entre les deux parties confessionnelles : le gouvernement et l’opposition traditionnelle. Et non seulement à propos de la résolution 1757. Puisque, quelques heures plus tard, les pourparlers entre les deux ont repris grâce à une médiation tripartite (la France, l’Arabie Saoudite et l’Iran) selon un projet contenant la formation possible d’un gouvernement dit « d’unité nationale » sur la base d’une nouvelle répartition du gâteau confessionnel présentée par le communiqué, déjà mentionné, des « forces du 14 mars ».

Que dit ce communiqué ?

Après un préambule saluant la résistance du gouvernement de Fouad Sanioura face à l’opposition, le communiqué parle de l’accord de l’année 1943 qu’il caractérise de « compromis historique ayant pu dépasser le grave conflit existant à ce moment-là ». Ce qui veut dire que l’appel de la majorité actuelle vise à liquider l’Accord de Taëf et la nouvelle Constitution qui lui fit suite, et ce afin de mettre au point une nouvelle répartition du pouvoir, basée sur l’accord « historique » de 1943, dont le contenu fut, comme nous venons de le dire, à la base des guerres civiles.

Pourquoi cette brusque volte-face ?

Parce que la revendication visant la mise au point des réformes politiques essentielles contenues dans l’Accord de Taëf devient de plus en plus pressante, surtout parmi les jeunes et surtout en vue de supprimer le confessionnalisme au Parlement, mais aussi dans l’administration publique, et de créer le « Comité national pour la suppression du confessionnalisme au Liban ». D’ailleurs, la majorité ne cache pas son jeu sur ce plan, puisqu’elle parle dans son communiqué de la nécessité de satisfaire toutes les demandes « confessionnelles », et non seulement celles des représentants des trois confessions les plus grandes, à savoir : les maronites, les sunnites et les chiites...

En plus de ce retour à 1943, le communiqué met l’accent sur la nécessité de « changer l’époque qui a commencé à la fin des années Soixante, quand la lutte armée[4]fut introduite au Liban », à la suite du pouvoir exercé, alors, par l’OLP sur certaines régions du Sud et sur les camps des réfugiés palestiniens.

La mention de cette époque a un seul et unique but : quitter le conflit arabo-islamique. Ce but fut, d’ailleurs, traduit par les forces signataires du communiqué à travers les trois points suivants :

1. Obliger la résistance nationale libanaise (le Hezbollah, essentiellement) à se défaire de ses armes, selon la clause contenue dans l’Accord de Taëf et concernant « les armes des milices » (ce qui relègue la Résistance au rôle d’une milice et crée une certaine égalité entre elle et les forces qui avaient sévi durant la dernière guerre civile sur tout le territoire libanais).

2. Demander à l’ONU (qui ne nous ont, d’ailleurs, pas attendus) de négocier, au nom du Liban, avec Israël et la Syrie afin de tracer les frontières libanaises.

3. Retourner à l’armistice mis au point, à la suite du partage de la Palestine, entre le Liban et Israël ; ce qui limitera, au strict minimum, la présence de l’armée libanaise sur les frontières Sud du pays et permettra, à nouveau, à l’armée israélienne de reprendre ses « promenades » dans nos terres quand elle veut et comme elle veut... D’ailleurs, les « forces du 14 mars » ne cachent pas leur intention de normaliser au plus tôt les relations du Liban avec Israël, puisqu’elles parlent de leur adhésion inconditionnelle au contenu de « l’accord de Riad » paru à la suite du dernier Sommet arabe dans cette ville.

Ainsi, apparaît clairement l’objectif de la majorité. Ce qu’elle veut, au-delà du tribunal à caractère international, ce n’est ni le principe de justice ni l’arrêt des crimes politiques... Ce qu’elle veut, c’est, plutôt, la mainmise complète sur les pouvoirs, dont, en particulier, la présidence de la République « qui doit être occupée par un indépendantiste » ; et, alors seulement, la discussion pour former un gouvernement d’unité nationale pourra avoir lieu !

Qui est cet indépendantiste ? Est-ce Samir Geagea, par exemple, ou bien Nassib Lahoud ou, encore, Johnny Abdo ?

En attendant de connaître la réponse à cette question et, aussi, à l’initiative tripartite, les chefs de la majorité et de l’opposition se jettent la pierre quant à la responsabilité des uns et des autres dans l’introduction des conflits internationaux et régionaux au Liban qui est soumis, aujourd’hui, à une nouvelle arme, celle du terrorisme, parvenue dans notre vie quotidienne à travers des organisations nombreuses semblables au « Fath al Islam » et dans lesquelles se recoupent les services de renseignements de tous bords qui dépensent des fortunes pour entretenir ces organisations et leur permettre de man ?uvrer en toute impunité.


Marie NASSIF-DEBS est une des dirigeantes du Parti communiste libanais


Notes :

[1] Ce compromis, basé sur des directives conçues par la France « mandataire », comportait la division du pouvoir à égalité entre les Chrétiens et les Musulmans, avec des prérogatives très étendues pour le président de la République (chrétien maronite). De même, et dans la Constitution, l’article 6 bis prévoyait la parité entre chrétiens et musulmans dans l’administration publique. Ce compromis fut à la base des deux guerres civiles, en 1957 et 1975-1990.

[2] Ces forces, représentées par Saad Hariri, Walid Joumblat, Samir Geagea et d’autres « loyalistes ».

[3] Ces forces, qui constituent ce qu’on appelle l’opposition traditionnelle, sont formées par le Hezbollah, Nabih Berri et Michel Aoun...

[4] Entendre « contre Israël »

Marie Nassif-Debs - Article paru en arabe dans le bimensuel « An-Nidaa »
Source pour la traduction française : Alternatives International

De Marie Nassif-Debs :
- L’ingérence « internationale » et ses répercussions au Liban
- Liban : l’impasse


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