16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

L’Irak, future base militaire américaine ?

mardi 5 juin 2007 - 06h:37

Jim Lobe - IPS

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Interrogé par le Congrès US en 2006 sur les raisons pouvant justifier l’intallation de bases militaires US en Irak, le général Abizaid, alors commandant en chef pour la région, répondait qu’elle permettraient l’« acheminement libre des biens et des ressources dont dépend la prospérité de notre nation et celle du monde entier » - entendre : pétrole. Un an aprés, Bush évoque l’exemple de la Corée et suggère que les forces US pourraient rester 50 ans en Irak. Mais qui peut croire qu’un Irak démocratique souscrirait à ce programme de mise sous tutelle étrangère ? Analyse de Jim Lobe.

Alors que le Président George W. Bush semble reprendre à son compte - tardivement - les conclusions de la commission bipartisane sur l’Irak (Iraq Study Group - ISG) recommandant un début de retrait des troupes américaines a partir du début 2008, il a par contre implicitement rejeté l’avis de l’ISG l’invitant à renoncer à établir des bases militaires permanentes en Irak.

JPEG - 36.1 ko
Base de Balad, Irak

La confirmation cette semaine par Tony Snow, son porte-parole, de l’inclinaison de Bush en faveur d’un « modèle coréen » en Irak, ou Washington assurerait « une présence sécuritaire » qui servirait de « force de stabilité (pendant) longtemps » soulève de nouvelles questions sur les objectifs de l’administration en Irak et sur son intention éventuelle d’y installer une présence militaire permanente.

Venant à l’appui de ces spéculations, les remarques faites jeudi, à la fois par le secrétaire de la Défense Robert Gates et le Lt. Gen. Raymond Odierno, commandant des forces U.S en Irak, suggèrent que Washington est en faveur d’une présence militaire prolongée sinon permanente, semblable à celle de la Corée du Sud ou des bases abritent un minimum de 30,000 soldats U.S déployés depuis la guerre de Corée, voila plus de 50 ans.

« Je pense que c’est une excellente idée, » a répondu Odierno, lors d’une vidéo-conférence a partir de Bagdad, aux journalistes qui le questionnaient sur l’analogie avec la Corée du Sud.

« Il ne s’agira que d’aider les forces de sécurité et le gouvernement irakiens à poursuivre leur stabilisation, et à se consolider pour les années à venir, si nous sommes capables de le faire, » a-t-il précisé.

Dans le même temps, Gates déclarait durant une visite à Hawaii que le maintien d’une « certaine présence de forces américaines ...pendant une période prolongée » aiderait à rassurer les alliés U.S dans la région sur le fait que Washington ne les abandonnera pas.

L’analogie avec la Corée a entraîné une certaine consternation parmi les analystes américains pour plusieurs raisons, en particulier parce que lorsque les irakiens ont été sondés quant a la présence de bases militaires permanentes dans leur pays, le réponse - excepté parmi la minorité Kurde - a été négative a une écrasante majorité.

"Il est inutile de modifier notre politique au sujet de notre présence en Irak," a déclaré cette semaine au Los Angeles Times Michael O’Hanlon, un analyste au Brookings Institution qui était favorable aux objectifs de l’administration en Irak.

Mais les experts rejettent également l’idée que la situation en Irak, où les forces des Etats-Unis sont prises au milieu des conflits confessionnels du pays, puisse avoir une relation quelconque avec celle de la Corée du Sud, où un minimum de 30.000 troupes américaines ont été déployés en cordon de dissuasion le long de la zone démilitarisée devant les forces de la Corée du Nord qui leur font face depuis plus de 50 ans.

« (Cette analogie) est soit une simplification grossière, pour tenter de convaincre l’opinion (que l’administration) a un plan à long terme, soit c’est tout simplement ridicule, » déclare le Lt. Gen. à la retraite Donald Kerrick, ancien conseiller de sécurité nationale qui a servi a deux reprises en Corée du Sud.

En recommandant en décembre dernier que Bush renonce explicitement à une présence militaire permanente en Irak, les 10 membres de l’ISG co-présidés par l’ex Secrétaire d’Etat James Baker et l’ancien parlementaire Démocrate Lee Hamilton, avaient argué du fait qu’une telle déclaration rassurerait deux protagonistes clés de la situation en Irak.

« Les Etats-Unis peuvent commencer à créer un climat positif autour de leurs efforts diplomatiques (en faveur de la stabilisation de l’Irak), internationalement et en Irak, par des déclarations publiques du Président Bush démentant que les Etats-Unis cherchent à contrôler le pétrole de l’Irak, ou cherchent a créer des bases militaires permanentes en Irak, » a-t-il indiqué, invitant Bush à nettement « déclarer que les Etats-Unis ne cherchent pas a créer des bases militaires permanentes » en Irak.

Le Congrès a également encouragé implicitement l’administration à s’engager dans cette voie. Lors des deux dernières années, il a promulgué deux lois interdisant au gouvernement toute dépense destinée à l’établissement d’une présence militaire permanente des États-Unis en Irak.

Mais comme le suggèrent ces déclarations récentes, Bush a ignoré ces demandes, et le Pentagone, qui transférait l’année dernière aux irakiens les plus petites bases militaires dans certaines provinces, a construit et conservé le contrôle de quatre « super-bases » réparties à travers le pays et qui peuvent abriter des dizaines de milliers de militaires.

Lors d’un témoignage devant le Congrès au début de l’année 2006, le commandant en chef du Central Command [1] de l’époque, le général John Abizaid, a détaillé les raisons pour lesquelles Washington devrait vouloir conserver au moins un accès permanent à ces bases, bien qu’il ait souligné alors qu’aucune politique sur la présence à long terme en Irak n’avait été établie...

En particulier, il avançait le « besoin d’être capable de décourager les ambitions d’un Iran expansionniste, » assurer l’ « acheminement libre des biens et des ressources dont dépend la prospérité de notre nation et celle du monde entier, » et mener des opérations de contre-terrorisme.

« Il n’existe aucun doute sur le fait qu’une présence dans la région restera nécessaire essentiellement afin d’aider les gens à se prendre en main en cette période qui voit se confronter les extrémistes et les modérés, » affirmait-il, lors d’une déclaration qui avait alors bien peu retenu l’attention.

Bien que l’Irak s’enfonce rapidement dans une guerre civile confessionnelle, que le soutien de l’opinion publique en faveur de la guerre ait fortement décliné comme cela s’est clairement manifesté par le raz de marée Démocrate dans les élections de novembre dernier, et malgré la publication des recommandations de l’ISG, l’administration ne semble pas avoir reconsidéré sa position depuis le témoignage d’Abizaid.

« Bien sûr, nos plans de départ visaient la création de 13 bases militaires permanentes, et l’idée générale était de déployer un grand nombre de troupes sur place pour exercer une hégémonie militaire sur le Moyen-Orient, » a confirmé le Lt. Gen. John Johns lors d’une téléconférence tenue vendredi par la National Security Network (NSN). « Et cette arrière pensée est toujours présente dans la tête du Président Bush et de certains de ses conseillers. »

« Je ne peux pas prendre au sérieux le fait qu’ils puissent comparer la situation Coréenne à celle de l’Irak, » a-t-il noté, ajoutant, « Ce qui me gène le plus est qu’il s’agit d’un prétexte pour maintenir le cap. »

Etant donné le sentiment populaire prévalant en Irak, y maintenir une présence militaire permanente pourrait également compromettre l’objectif déclaré de Washington, qui est d’y promouvoir la démocratie, déclare Charles Smith, un expert du Golfe Persique à l’université de l’Arizona.

« Ce modèle exige l’approbation et la coopération d’un gouvernement irakien, ce qui est fortement douteux. Donc si les États-Unis veulent une approbation officielle, ils devront placer leur propre homme au pouvoir et l’y maintenir par la force, » avertit-il. « Dans ce cas, le modèle auquel il faut se reférer est le Vietnam du sud au début des années 60, et nous tous savons ce qui s’y est passé. »

Il y a tout de même un spécialiste de la Corée pour penser que l’on peut établir en effet un parallèle entre les deux situations, mais seulement en un sens négatif.

« La Corée et l’Irak sont tous deux des exemples où les Américains se sont heurtés à un environnement politique, social et à une civilisation inconnus, ayant pensé qu’ils résoudraient quelques problèmes rapidement, pour finalement constater qu’ils ne peuvent s’en dépêtrer - même en apparence, » juge Bruce Cumings, historien de l’université de Chicago, qui souligne que Washington s’est impliqué militairement pour la première fois en Corée, immédiatement après la défaite du Japon dans la deuxième guerre mondiale, afin d’empêcher que les insurgés menés par Kim Il Sung ne s’emparent du sud.

« Puis, la machine du Pentagone, en perpétuel mouvement, a pris le dessus, et nous voila avec un nouveau réseau de bases militaires qui s’ajoutent aux - en gros - 735 (autres) que nous avons autour du monde, » conclut-il.

Chalmers Johnson, autre éminent spécialiste du Nord-Est asiatique à l’université de Californie à San Diego, décrit cette analogie comme potentiellement « désastreuse. »

« Les Coréens ne nous ont pas demandés de rester chez eux lors des 50 dernières années. C’est devenu un des pays les plus anti-Américains parmi nos alliés, et ce depuis un certain temps maintenant, en grande partie a cause des bases que nous y maintenons, » selon Johnson, qui a édité plusieurs livres sur le déploiement militaire global de Washington, y compris « The Sorrows of Empire ».

Note :

[1] Central Command : Théâtre d’opération européen et moyen oriental

Jim Lobe - IPS (Inter Press Service News Agency), le 1er juin 2007
Introduit par Contre Info et traduit de l’anglais par Karim Loubnani

Du même auteur :
- Elliot Abrams ’déjà vu’, encore une fois
- avec Michael Flint : L’ascension et le déclin des néo-conservateurs (en 3 parties)


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.