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Forte hausse du nombre de tués parmi les agents privés en Irak

jeudi 31 mai 2007 - 19h:18

J.M. Broder et J. Risen - The New York Times

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Washington, 18 mai. Le nombre d’agents contractuels tués en Irak a atteint des niveaux record cette année, pouvant faire de 2007 l’année la plus sanglante pour les civils qui travaillent en partenariat avec les militaires américains dans les zones de guerre, selon de nouveaux chiffres fournis par le gouvernement américain.

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Camion détruit suite à une attaque de mortier - Photo : www.albasrah.net

Au moins 146 contractants ont été tués en Irak durant les trois premiers mois de l’année, le nombre de loin le plus élevé pour n’importe quel trimestre depuis que la guerre a débuté en mars 2003, selon le Département du Travail qui traite les réclamations suite aux blessures ou décès des contractuels travaillant pour le gouvernement des Etats-Unis en Irak.

Cela fait grimper le nombre de contractants tués en Irak à au moins 917, en plus de 12 000 blessés dans les combats ou blessés sur leur lieu de travail, selon des chiffres du gouvernement et les résultats de dizaines d’entrevues.
Ces nombres, qui n’ont pas été précédemment divulgués, révèlent à quel point les contractants - Américains, Irakiens et salariés de plus de trente autres pays - représentent une large partie des pertes humaines cachées de la guerre, et sont confrontés aujourd’hui à des risques accrus par leur intervention à côté des soldats et des marines américains tandis que se met en place le plan du président Bush pour augmenter le nombre de troupes dans Bagdad.

Alors que les troupes patrouillent de façon plus agressive dans et autour de la capitale, les soldats et les contractants qui les assistent, souvent à de petits avant-postes, sont exposés à un plus grand péril. Le nombre de décès parmi ces employés au début de cette année s’est le plus rapproché du nombre de décès de militaires américains pendant la même période - 244 - que pendant n’importe quel autre trimestre depuis que la guerre a commencé, selon les évaluations officielles.

« Les insurgés s’attaquent à des cibles plus faciles, et les employés sont des cibles plus faciles que les militaires, » a déclaré Lawrence J. Korb, un ancien secrétaire adjoint du Département de la Défense pour la main d’oeuvre sous l’administration Reagan. « Les États-Unis sont plus agressifs là-bas, et ces décès de contractants sont directement liés. »

Les chauffeurs de camions et les traducteurs représentent une part significative des décès, mais la récente augmentation du nombre de morts inclut des personnes faisant partie de ce qui s’apparente à une armée privée.
Parmi eux se trouvent quatre gardes de sécurité américains morts dans un accident d’hélicoptère en janvier, 28 ouvriers turcs de la construction, dont l’avion s’est écrasé au nord de Bagdad le même mois, un homme du Massachusetts qui a sauté pendant qu’il désamorçait des munitions pour le compte d’une compagnie américaine en mars et une femme de Géorgie tuée dans une attaque de missiles en mars alors qu’elle officiait comme coordonnatrice pour KBR, la compagnie contractante.

Donald E. Tolfree Jr, un camionneur du Michigan, a été tué dans la cabine de son véhicule alors qu’il s’en retournait au camp Anaconda au nord de Bagdad, début février. Sa fille, Kristen Martin, de 23 ans, a déclaré que des fonctionnaires de l’armée lui avaient dit que son père avait été abattu par des militaires américains montant la garde et qui n’avaient pas compris la fonction que celui-ci assurait. L’armée a confirmé que le décès était à l’étude car il était possible que la mort soit dûe à « des tirs amis ».

Kristen Martin a dit avoir attendu trois semaines le retour du corps de son père, et elle éprouve du ressentiment à voir les contractants décédés traités différemment des soldats tombés au combat.

« Si quelque chose arrive aux militaires, vous en entendrez parler tout de suite, » nous explique-t-elle à l’occasion d’une interview par téléphone. Les « drapeaux sont mis en berne, ils obtiennent le respect. Mais vous n’entendez pas un mot au sujet des agents privés. »

Les militaires à Washington et à Bagdad ont déclaré qu’aucun bureau du Pentagone n’a enquêté sur les décès des employés et qu’ils n’ont aucun moyen de confirmer ou d’expliquer la forte hausse des décès cette année.
Le général major William B. Caldwell, premier porte-parole de l’armée américaine en Irak, a refusé par l’intermédiaire d’un de ses adjoints de traiter du sujet. « Les contractants sont hors de notre champ de responsabilité, et nous ne faisons aucun commentaire à leur sujet, » a déclaré son adjoint le lieutenant Matthew Breedlove.

Les compagnies qui ont perdu des employés en Irak restent généralement imperméables aux questions concernant le nombre de décès et les circonstances qui les entourent, pas plus qu’elles ne reconnaissent avoir constaté une augmentation des pertes cette année.

Mais un porte-parole de l’American International Group, la compagnie d’assurance qui couvre environ 80% de la main-d’oeuvre contractuelle en Irak, dit avoir constaté une forte hausse des requêtes en indemnités suite au nombre de morts et blessés de ces derniers mois. Les données enregistrées au Département du Travail prouvent qu’en plus des 146 décès des trois premiers mois de cette année sont aussi classées pour un seul trimestre 3430 réclamations en provenance de contractants pour cause de blessures ou autres dommages subis en Irak. Mais le chiffre des pertes pourrait être beaucoup plus élevé car la base de données statistiques du gouvernement n’est pas complète.

Les chiffres ont été fournis en réponse à une requête Freedom of Information Act faite par le New York Times. D’autres estimations proviennent de plusieurs organismes gouvernementaux, d’entrepreneurs privés et d’assureurs traitant les réclamations liées à des décès et blessures.
Les pertes militaires américaines en Irak sont presque de 3400 tués. Les nouvelles statistiques au sujet des contractants suggèrent que pour quatre soldats américains qui meurent en Irak, un employé privé est tué.

Le sénateur John McCain, le républicain de l’Arizona qui a fortement poussé pour l’augmentation des forces militaires en Irak a déclaré que les pertes parmi les employés privés étaient le symptôme d’un grand déficit dans le nombre de troupes envoyées plus tôt afin d’assurer la sécurité dans l’ensemble de l’Irak.

« Nous mettons maintenant ces personnes face à un danger auquel nous n’avions jamais pensé qu’elles seraient exposées parce que nous ne pouvons pas contrôler le pays, » a-t-il argumenté.

D’autres législateurs ont également exprimé des inquiétudes concernant les chiffres. Le représentant John P. Murtha, démocrate de Pennsylvanie et qui est président du Comité des Crédits pour la Chambre, à la Défense, dit avoir été choqué de l’ampleur des pertes parmi les contractants et qu’il projetait de tenir des auditions au sujet de la chute constatée dans l’emploi d’agents privés en Irak.

Jan Schakowsky, représentante démocrate de l’Illinois, a présenté une loi pour forcer le gouvernement à communiquer des informations détaillées sur l’emploi de contractuels en Irak ainsi que les noms et la description des fonctions du tous ceux qui ont été tués ou blessés, une information qu’il est pratiquement impossible d’obtenir en ce moment. L’armée communique les noms et les biographies de ses morts en temps de guerre, mais les entreprises ne sont pas obligées de fournir de telles informations, et le Département du Travail refuse ègalement de le faire, le justifiant par des règlements internes.

« En dissimulant ces informations sur cette force cachée, cela change la perception et l’évaluation que chacun fait de la guerre, » estime Jan Schakowsky. « Il y a presque un millier de morts et un grand nombre de blessés. Je pense qu’e cela masque le fait que nous sommes en train de privatiser l’armée dans ce pays. »

Les employés sous contrat disent qu’à mesure que la fréquence des opérations militaires a augmenté ces derniers mois, les attaques contre les agents privés augmentaient aussi. Les convois de camions utilisés par des compagnies privées ne sont souvent pas aussi bien blindés ou protégés que ceux des unités militaires, indiquent-ils.

Un haut responsable dans l’industrie de la sécurité a déclaré récemment avoir appris de militaires américains et d’employés privés qu’en Irak, 50 à 60% des convois de camions sont soumis à des attaques. Auparavant, d’après lui, cette moyenne n’était que de 10.

« Il y a un pic évident dans les attaques de convois, » a dit ce responsable s’exprimant sous le couvert de l’anaonymat parce que l’information était confidentielle. Gordon Dreher, âgé de 48 ans, et qui conduisait un camion de carburant fournissant les troupes américaines en Irak a révélé que lui et d’autres conducteurs ont fait face à des attaques presque constantes de la part des insurgés.

« On m’a tiré dessus, mon camion a explosé derrière moi, une mine a explosé à quelques mètres de l’endroit où j’étais, et j’ai perdu une partie de mon audition, » ajoute-t-il, se rapportant à un dispositif explosif improvisé (IDE). « Je suis habitué maintenant à être pris pour cible, à avoir des traces de balles tout autour de mon camion. J’ai été pris à deux reprises dans une embuscade contre le même convoi. »

M. Dreher s’est détruit le dos en janvier pour avoir conduit trop rapidement sur les routes défoncées, et est de retour à la maison à Brick dans le New Jersey, attendant une opération chirurgique. [...]
Mark Griffin, un camionneur âgé de 53 ans et originaire de Georgie et qui a quitté l’Irak en novembre dernier affirme que les attaques vont en s’accélérant. « Cela devenait de pire en pire chaque mois, tout le temps que j’étais là-bas. »
Il a travaillé pour KBR, conduisant des camions dans la province d’Anbar pour fournir les bases militaires en munitions, eau et nécessités de base. Il a expliqué que vers la fin 2006, les convois et leurs escortes militaires trouvaient 20 à 30 bombes au bord de la route à chaque passage de convoi par Anbar, le centre de l’insurrection sunnite : « Le nombre d’IED. est devenu plus important ; leur puissance et les dommages occasionnés ont progressivement empiré avec le temps ».

Les statistiques du Département du Travail prouvent que les chiffres des tués et des blessés parmi les employés privés ont augmenté pendant les périodes d’activité militaire américaine plus intense. Par exemple, le nombre de contractants tués de janvier à mars [2007] dépasse le record trimestriel précédent de 112 tués à la fin de 2004 pendant l’attaque militaire américaine contre Falluja et les opérations qui ont suivi.

Cette tendance à la détérioration semble devoir se confirmer pour le deuxième trimestre de cette année, alors que les insurgés lancent une série d’attaques au mortier et de tirs de fusée sur la « zone verte » de Bagdad, le siège hyper protégé du gouvernement. Au début de ce mois, par exemple, deux Indiens, un Philippin et un Népalais travaillant pour l’ambassade américaine à Bagdad ont été tués par des fusée tirées en direction de la « zone verte ».
Presque 300 compagnies américaines et du reste du monde fournissent les contractuels qui réprésentent une force cachée en Irak presque aussi importante que les militaires en uniforme. Environ 126 000 hommes et femmes travaillent pour des compagnies privées à côté d’environ 150 000 militaires américains, rapporte le Pentagone. Les Etats-Unis n’ont jamais mené auparavant de guerre avec autant de civils prenant en charge dans les zones de combat les activités - gardiens armés, entraîneurs militaires, traducteurs, interrogateurs, cuisiniers et ouvriers d’entretien - autrefois uniquement sous la responsabilité de ceux qui portaient l’uniforme.

Dans la guerre du Golfe Persique en 1991, par exemple, seuls 9 200 employés privés - la plupart du temps pour surveiller des systèmes d’armes très avançés - ont travaillé à côté de 540 000 militaires. Mais à la fin de la guerre froide, le congrès et le Pentagone étaient soucieux de tirer les soit-disant dividendes de paix et de diminuer de façon rigoureuse les effectifs militaires. L’administration Bush a développé la stratégie consistant à externaliser [les activités] à des niveaux sans précédent après l’invasion de l’Irak [en mars 2003].

Beaucoup d’agents privés dans les zones de combat disent manquer des mesures de sécurité minimum pourtant fournies aux troupes en uniforme, et bénéficient d’avantages qui diffèrent non seulement de ceux fournis aux troupes, mais diffèrent également selon l’employeur. Le salaire hebdomadaire va de 60 dollars US pour les traducteurs et les employés irakiens jusqu’à 1800 dollars pour des conducteurs de camion et même jusqu’à 6000 dollars pour les gardes de sécurité privés employés par des compagnies comme Blackwater. Les indemnités lfournies par les assurances et la couverture médicale varient également considérablement, de l’excellence au minimum.

Les conditions en Irak sont dures, et beaucoup de civils qui arrivent là, poussés par le patriotisme, un certain goût de l’aventure ou simplement l’appât du gain, sont écrasés par l’environnement. S’ils posent des questions au sujet des jours ouvrables de 12 heures, du manque de blindage sur les camions ou sur les bombardements périodiques des bases, leurs responsables leur rétorquent souvent qu’ls n’ont qu’à faire leurs bagages et rentrer chez eux.

Cynthia I. Morgan, un conductrice de camion venant du Tennessee et qui a passé plus d’une année en Irak en tant que chef de convoi, a déclaré que la réponse habituelle de ses patrons à de telles plaintes était : « Couloir ou hublot ? Poulet ou pâtes ? » - la signification étant : « Montez dans le prochain avion et hors d’ici. »

19 mai 2007 - The New York Times - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.nytimes.com/2007/05/19/w...
Traduction : [AIO - Info-palestine.net]

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