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Israël, l’Amérique et l’Aipac

jeudi 31 mai 2007 - 06h:52

George Soros - Jeune Afrique

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George Soros, financier et philanthrope américain

Israël a plus que jamais besoin du soutien des États-Unis. Le moment est-il alors bien choisi pour dénoncer la lourde influence de l’Aipac - l’American Israel Public Affairs Committee, le lobby pro-israélien - sur la politique américaine ? Je ne suis pas insensible à cet argument. C’est pour cette raison que je me suis abstenu de critiquer la politique israélienne dans le passé. Je ne suis pas sioniste, et je ne suis pas non plus un juif pratiquant, mais je me sens très proche de mes coreligionnaires et je suis très attaché à la survie d’Israël.

Je n’ai pas voulu donner du grain à moudre aux ennemis de l’État hébreu. J’ai justifié ma position en expliquant que si je voulais faire des critiques, il serait normal que j’aille vivre en Israël. Mais comme il y a déjà de nombreux Israéliens qui ne ménagent pas leurs critiques, on n’avait pas besoin de moi, et j’avais d’autres chats à fouetter.

Aujourd’hui, cependant, je me pose la question : pourquoi Israël se retrouve-t-il dans une situation aussi dangereuse ? Je ne peux pas exempter l’Aipac de sa part de responsabilité. Je suis un défenseur fervent de la liberté de penser. J’ai soutenu des dissidents dans de nombreux pays. J’ai pris position contre le président George W. Bush lorsqu’il a déclaré que ceux qui ne soutiennent pas sa politique soutiennent les terroristes. Je ne peux pas garder le silence alors que le lobby pro-israélien est l’un des derniers bastions de ce dogmatisme. Je dis cela avec une certaine hésitation, parce que je m’expose à de nouvelles attaques qui risquent de nuire à ma capacité de persuasion dans la défense de causes pour lesquelles je me suis engagé. Mais les dissidents que j’ai soutenus ont pris de bien plus grands risques.

Je ne suis pas suffisamment engagé dans les affaires juives pour m’impliquer dans la réforme de l’Aipac, mais je dois me prononcer clairement en faveur du processus critique qui est au c ?ur de notre société ouverte. Je crois qu’un très nécessaire examen de conscience concernant la politique des États-Unis au Moyen-Orient a été amorcé, mais il ne peut guère avancer tant que l’Aipac conserve aussi une grande influence à la fois au Parti démocrate et au Parti républicain. Certains dirigeants du Parti démocrate ont promis un changement, mais ils ne pourront pas tenir cette promesse tant qu’ils ne seront pas capables de résister aux diktats de l’Aipac.

La Palestine est un lieu d’une importance capitale où un changement positif est encore possible. L’Irak est largement hors de contrôle, mais si nous réussissions à régler le problème palestinien, nous serions dans une bien meilleure position pour engager des négociations avec l’Iran et nous dégager de l’Irak. L’urgence d’un règlement pacifique en Palestine est plus grande que jamais. Dans l’intérêt d’Israël comme dans celui des États-Unis, il est tout à fait souhaitable que l’Initiative de paix saoudienne aboutisse, mais l’Aipac est toujours là. Le lobby continue d’être hostile à tout contact avec un gouvernement palestinien auquel participe le Hamas.

Il est fort douteux que le Parti démocrate puisse se libérer de l’influence de l’Aipac. Tout homme politique qui ose dénoncer l’influence de l’Aipac s’expose à son courroux : il en est très peu qui prendront ce risque. Il appartient donc à la communauté juive américaine elle-même de remettre au pas l’organisation qui prétend la représenter. Mais cela ne peut se faire si l’on n’écarte pas d’abord l’argument le plus insidieux invoqué par les défenseurs de la politique actuelle : à savoir que ceux qui critiquent la politique israélienne actuelle d’occupation, de contrôle et de répression en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza encouragent l’antisémitisme.

C’est le contraire qui est vrai. L’un des mythes propagés par les ennemis d’Israël est qu’il y a une toute-puissante conspiration sioniste. C’est totalement faux. Néanmoins, l’Aipac a si bien réussi à faire taire la critique que certains se laissent piéger par ces idées fausses. Briser le mur de silence qui protège l’Aipac aiderait à les combattre. Un débat au sein de la communauté juive, loin d’alimenter l’antisémitisme, l’affaiblirait.

Anticipant les attaques, j’aimerais souligner que je ne souscris pas aux mythes propagés par les ennemis d’Israël et que je ne rejette pas sur les Juifs la faute de l’antisémitisme. L’antisémitisme existait avant la naissance d’Israël. Ni la politique d’Israël, ni ceux qui critiquent cette politique ne doivent être tenus pour responsables de l’antisémitisme. En même temps, je suis convaincu que l’attitude à l’égard de l’État hébreu est influencée par la politique israélienne, et que l’attitude à l’égard de la communauté juive est influencée par le succès avec lequel le lobby pro-israélien interdit d’exprimer des opinions divergentes.


George Soros - The New York Review of Books et Jeune Afrique, le 20 mai 2007


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