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Le nouveau champ de bataille contre al-Qaïda ?

dimanche 27 mai 2007 - 08h:51

Paul Khalifeh - RFI

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Le gouvernement de Siniora et l’Occident veulent en finir une fois pour toute avec les intégristes sunnites de Fahat al-Islam. Mais le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dénonce une tentative américaine de transformer le Liban en nouveau champ de bataille contre al-Qaïda.

Les combats acharnés du début de semaine entre l’armée libanaise et des intégristes sunnites retranchés dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, au Nord-Liban, ont cédé la place à des accrochages sporadiques. Mais la crise, qui a ravivé chez les Libanais les images de la guerre civile, est loin d’être réglée. Bien au contraire, elle risque de s’aggraver dans les prochains jours.

La classe politique libanaise et les organisations palestiniennes sont divisées sur la conduite à adopter face à ces combats, qui ont fait 78 morts depuis dimanche dernier, dont 33 militaires et 18 islamistes. Le gouvernement, fort de l’appui de l’Occident, de l’Arabie saoudite et du représentant de l’OLP à Beyrouth, soutient l’option militaire qui pourrait nécessiter l’entrée de la troupe dans ce camp, habituellement habité par une quarantaine de milliers de personnes. Le Premier ministre Fouad Siniora avait réaffirmé, jeudi, qu’il ne pouvait y avoir d’autre solution que d’extirper « les terroristes ». Le groupe Fatah al-Islam, idéologiquement proche d’al-Qaïda, est surtout composé de Libanais, de ressortissants arabes et musulmans, et d’une minorité de Palestiniens. Mais la coalition pro-occidentale du 14-mars, qui contrôle le gouvernement libanais, l’accuse d’être instrumentalisé par le régime syrien pour déstabiliser le Liban dans le but de saboter la formation du tribunal international, chargé de juger les assassins de Rafic Hariri. Damas nie en bloc et indique que des membres de ce groupe font l’objet de poursuites judiciaires en Syrie et d’avis de recherches émis par Interpol.

George Bush, l’Arabie saoudite et les principaux pays occidentaux, ont soutenu la manière forte, prônée par Fouad Siniora. La France, par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, a qualifiée de « juste » une éventuelle décision de prendre le camp d’assaut. « La décision d’attaquer ou pas appartient au gouvernement et à l’armée. Qu’ils l’a prenne me semble juste », a déclaré Bernard Kouchner, à l’issue d’une visite de deux jours à Beyrouth. Le chef de la diplomatie française a toutefois précisé que l’assaut doit être donné « après l’évacuation de plus de civils possibles ». Le représentant de l’OLP à Beyrouth, Abbas Zaki, a également fourni une précieuse couverture politique au gouvernement, en affirmant que l’Autorité palestinienne ne s’opposerait pas à l’entrée de la troupe à Nahr al-Bared.

Mise en garde de Nasrallah

En plus de leur appui politique au gouvernement, les Etats-Unis ont mis en place un pont aérien avec Beyrouth pour acheminer équipements et munitions à l’armée libanaise. Trois avions-cargos venant des dépôts de l’armée américaine dans les pays du Golf, ont déjà atterri à Beyrouth. Huit autres sont attendus dans les prochains jours. Le consensus qui commençait à se former autour de la manière forte a cependant été brisé, vendredi soir, par le chef du Hezbollah.

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Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé à un cessez-le-feu.
(Ph.Al-Manar)

Hassan Nasrallah a prôné la prudence et la patience dans le règlement de cette crise qui menace de provoquer une discorde. « Attaquer le camp serait une erreur. C’est dangereux pour la paix et la sécurité au Liban, c’est dangereux pour l’unité nationale » a-t-il dit lors d’un message télévisé à l’occasion du 7ème anniversaire de la libération du Sud-Liban de l’occupation israélienne. « Nous ne pouvons pas accepter une guerre dans les camps, qui provoquerait de nouveaux conflits entre Libanais et avec les Palestiniens, a ajouté Hassan Nasrallah. Toute décision visant à faire entrer les troupes régulières dans le camp reviendrait à sacrifier l’armée, le Liban et le peuple palestinien. L’armée est la dernière institution encore unie qui sauvegarde l’unité du Liban et la paix civile dans le pays ». Le chef du Hezbollah a appelé à un cessez-le-feu immédiat et à une solution politique, « même si cela prend un peu de temps ». « Attaquer l’armée et entrer dans le camp sont des lignes rouges qu’il ne faut pas franchir », a-t-il encore dit. Il a proposé une solution par étapes, basée sur des démarches sécuritaires, politiques et judicaires : « Les agresseurs devraient être déférés devant la justice et pouvoir jouir d’un procès équitable ».

Hassan Nasrallah a jugé « suspect » la décision des Américains de livrer en urgence du matériel militaire à l’armée libanaise. Il a accusé Washington de vouloir transformer le Liban, à l’image de l’Irak, en champ de bataille contre l’organisation d’Oussama Ben Laden. « Le Liban ne doit pas entrer dans la guerre américaine contre le terrorisme, contre al-Qaïda. Le sang coulera à flot, comme en Irak », a-t-il averti. De leur côté, le Hamas et le Jihad islamique en Palestine sont opposés à l’entrée de l’armée dans le camp de peur que les civils ne soient pris sous les tirs croisés des belligérants. Plusieurs dizaines de réfugiés ont été tués ou blessés lors du pilonnage de Nahr al-Bared par l’armée et pendant les combats des trois premiers jours. Ils craignent aussi qu’un assaut ne mettent le feu aux poudres dans d’autres camps de réfugiés, notamment celui d’Aïn el-Héloué, à 40 kilomètres au Sud de Beyrouth, où sont basés deux groupes jumeaux de Fatah al-Islam, Jund al-Cham (Les combattants du Levant) et Esbat al-Ansar (La ligue des partisans). Le chef du Fatah (de Mahmoud Abbas) au Liban, le général Sultan Aboul Aynayne, a également exprimé de fortes réserves vis-à-vis de l’entrée dans le camp.

Renforts libanais

Pendant ce temps, l’armée libanaise a acheminé de nouveaux renforts autour de Nahr al-Bared, dont elle contrôle les trois accès. De plus, des vedettes de la marine surveillent en permanence la côte pour empêcher la fuite des combattants intégristes ou l’arrivée de renforts. Des dizaines de transports de troupes blindés, montés sur de grands camions remorques, ont été ramenés sur le front, et des unités d’élite y ont été déployées.

Les préparatifs sur le terrain laissent penser que l’option militaire va prendre le dessus. Surtout que l’armée a publié un communiqué, vendredi, menaçant les islamistes d’une riposte « très dure ». « Il n’y aura pas d’indulgence ni de compromis avec les meurtriers criminels, a-t-elle prévenu. La seule alternative pour eux est de respecter la loi et se rendre à la justice ». Mais le ministre de la Défense a, quant à lui, laissé la porte ouverte au dialogue. « Les autorités donnent une chance aux négociations politiques. Si elles échouent, le commandement de l’armée se chargera de mener les actions requises », a-t-il dit. Les propos de M. Murr interviennent au lendemain d’une déclaration très sévère, dans laquelle il affirme que pour chaque soldat mort, dix islamistes seront tués. Comment expliquer, alors, ce changement de ton ? L’armée souhaite rester à égale distance de tous les protagonistes de la crise qui secoue le pays depuis 7 mois. Elle préfère ne pas s’engager dans un long et sanglant conflit où elle risque de s’enliser. Elle temporise, prend son temps avant de lancer un assaut d’envergure, pour laisser une chance aux initiatives politiques. Mais elle est en même temps soumise à de fortes pressions du gouvernement et de l’Occident, qui l’incitent à trancher le problème militairement. Un récent rapport du Département d’Etat avait critiqué le gouvernement pour son impuissance à mettre en ?uvre la résolution 1559 des Nations unies, qui exige, entre autres, le désarmement des organisations libanaises (allusion au Hezbollah) et non libanaises (palestiniennes).

Sur le terrain, près de la moitié des habitants de Nahr al-Bared ont fuit vers le camp de Beddaoui, dix kilomètres plus au sud. Le flux s’est ralentit jeudi et vendredi, surtout que des snipers ont tiré vers des civils pour les empêcher de quitter le camp. L’armée accuse Fatah al-Islam d’utiliser la population comme bouclier humain. Une forte tension continue par ailleurs de régner à Tripoli, deuxième ville du Liban à majorité sunnite et vivier traditionnel des mouvements fondamentalistes. L’armée a annoncé avoir arrêté un grand nombre de membres de Fatah al-Islam dans cette région. De Tripoli à Nahr al-Bared, en passant par Aïn el-Héloué, le feu couve sous la cendre. Inquiète pour l’avenir, la population libanaise attend la suite des événements. Entre assaut et guerre d’usure, aucun des scénarios envisagés n’est rassurant.

Paul Khalifeh, correspondant à Beyrouth - RFI (Radio France Internationale), le 26 mai 2007

Du même auteur : Liban : Un épais mystère entoure Fatah al-Islam

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