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La route de Jérusalem (en passant par le Liban)

samedi 26 mai 2007 - 07h:00

Robert Fisk - The Independent

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Inspiré par al-Qaïda, un groupe d’activistes
jusqu’ici peu connu se trouve derrière la flambée
de violence sanglante qui a fait un tas de morts.

Ils sont arrivés au Liban l’été dernier, alors que le monde regardait Israël massacrer ce petit pays, dans sa vaine tentative de détruire le Hezbollah. Mais les hommes qui ont monté leur petite entreprise infâme dans le camp de réfugié de Nahr el-Bared (certains étant des combattants de la guerre d’Irak, d’autres venant du Yémen, de la Syrie ou du Liban lui-même) étaient beaucoup plus dangereux que ce que l’Amérique et Israël pensaient qu’était le Hezbollah. Ils étaient venus, ont-ils dit aux quelques journalistes peu nombreux qui se sont donnés la peine de les dénicher, "pour libérer" Jérusalem, parce que "libérer notre territoire est un devoir sacré gravé dans le Coran".

Que les hommes du Fatah al-Islam croient que la route de Jérusalem passe par la ville libanaise de Tripoli et pourrait être regagnée en tuant près de 30 soldats libanais - un grand nombre d’entre eux sont des Musulmans sunnites comme eux, dont quatre ont été décapités, apparaît-il maintenant - était l’un des signes les plus bizarres d’une organisation, alors qu’elle nie faire partie d’al-Qaïda, qui a clairement de la sympathie pour les "frères" qui servent les idées d’Oussama ben Laden !

Hier soir, leurs bandits armés dans Nahr el-Bared ont proposé un cessez-le-feu aux soldats libanais qui les encerclaient, après que des médecins avaient plaidé pour une trêve au cours de laquelle les morts et les blessés seraient dégagés des rues. C’était une idée tout aussi étrange de la part d’un groupe qui, seulement 24 heures auparavant, avait promis d’ouvrir "les portes de l’enfer" sur tout le Liban et de "tirer jusqu’à leur dernière balle" si l’armée n’arrêtait pas le feu. La nature de leur politique est toutefois moins sinistre que leur sauvagerie. Au moins deux d’entre d’eux, apparaît-il maintenant, se sont fait sauter dans Tripoli, dimanche dernier, en tirant sur leur ceinture d’explosifs, après avoir pris des otages civils.

L’un des survivants se souvient qu’un membre du Fatah al-Islam en train de mourir a passé ses derniers instants à lui lire le Coran. Cette organisation - nous ne savons toujours pas s’ils avaient 300 hommes en armes à leur disposition - a clairement trouvé de l’inspiration dans la fameuse déclaration d’Ayman al-Zawahiri, numéro 2 d’al-Qaïda, selon laquelle la Palestine est proche de l’Irak et, donc, que "les guerriers devraient porter leur guerre sainte aux frontières de la Palestine". L’une de ces frontières, évidemment, est la frontière libano-israélienne. L’année dernière, Chaker al-Absi a déclaré à des journalistes libanais que son mouvement "était fondé sur le Coran et la loi sainte" et que c’était un "mouvement réformateur créé pour amener la fin de la corruption et brandir dans le ciel au-dessus Jérusalem une bannière disant ’Il n’y a de Dieu que Dieu’."

Et il ajouta que "nous ne sommes ni les alliés d’un régime ou d’un groupe qui existe sur cette terre." Absi, devrait-il être ajouté, est recherché en Jordanie pour le meurtre d’un diplomate américain. Rien de moins qu’un personnage comme Omar al-Bakri - expulsé de Grande-Bretagne il y a plus d’un an - a décrit le Fatah al-Islam comme "bel et bien la carte maîtresse de la Syrie".

Si cela est vrai, alors la Syrie va devoir expliquer comment ce groupe a aussi revendiqué deux attentats à la bombe à Beyrouth le week-end dernier, dont l’un a tué une chrétienne d’âge mûr. L’armée libanaise le soupçonne aussi d’avoir placé en début d’année des bombes dans des bus du secteur chrétien d’Ain Alak.

Mais pourquoi Tripoli ? Et pourquoi maintenant ? Eh bien ! Il y a, bien sûr, le Tribunal imminent des Nations-Unies pour juger ceux qui ont tué l’ancien Premier ministre Rafik Hariri.

Etait-ce la Syrie ? Mais les reportages au Liban sont de plus en plus théâtraux à mesure qu’ils répètent : Que le Fatah al-Islam est financé par les deux fils de ben Laden, Saad et Mohamed ; Que deux des bandits armés à Tripoli étaient les frères d’un Libanais d’Akkar - qui se trouve aussi au nord du Liban - et qui a été arrêté en Allemagne l’année dernière, accusé de placer des bombes dans des trains ; Que parmi les morts à Tripoli il y avait aussi un Bangladais et un Yéménite.

Nous sommes certains que l’un des morts - peut-être deux - est le fils d’un Libanais de 60 ans, Darwish Haity, qui habite Sidon. Ce dernier a conscience que son fils Ahmed est mort et il craint que Mahmoud Haity ne fît partie de ceux qui se sont battu jusqu’à la mort dans l’immeuble de Tripoli. "Mes enfants ne sont pas comme ça", aurait dit leur père. "Le Fatah al-Islam les a dupés et en a fait des criminels." Ahmed Haity était marié et père de trois enfants.

La ville de Sidon, elle-même, est le foyer du plus grand camp au Liban, Ein el-Helveh, d’où au moins 20 Palestiniens sont partis commettre des attentas-suicides en Irak contre les soldats étasuniens. Un mouvement musulman sunnite de Tripoli se vante d’en avoir envoyé "au moins" 300. Et Ein el-Helveh revendique une palette de petits groupes islamiques, comme l’Isbat al-Ansar qui s’est dissous lorsque son leadership a fondé Isbat al-Noor - "La Communauté de l’Illumination" -, dont le chef a été assassiné, pense-t-on, par une faction de l’OLP.

Si ces querelles palestiniennes fratricides semblent lassantes, on devrait se rappeler qu’un grand nombre trouve son origine dans la guerre civile libanaise, lorsque l’OLP d’Arafat a combattu dans le camp musulman contre la milice chrétienne maronite.

Quand les soldats libanais ont arrêté le Yéménite Moamar Abdulhah al-Awami, en 2003 à Sidon, et qu’ils l’accusèrent de faire partie d’un complot pour faire sauter un restaurant McDonald, Awami - qui utilisait "Ibn al-Shahid" (Fils du Martyr) comme nom de guerre - affirmait avoir rencontré trois agents d’al-Qaïda à Ein el-Helveh. Plusieurs fondamentalistes libanais, impliqués dans une bataille contre l’armée libanaise à Sir el-Dinniye, en 2000, ont rejoint un groupe palestinien, connu sous le nom de Jund al-Shams (Soldat de Damas) et dont le chef, Mohamed Sharqiye, est arrivé à Sidon il y a 10 ans - et, ici, la boucle est bouclée - en provenance de ce même camp de Nahr el-Bared où le Fatah el-Islam s’est établi l’été dernier.

Il est trop simple d’affirmer que ceci est l’ ?uvre de la Syrie. La Syrie peut avoir un intérêt à observer cette déstabilisation, voire assister ces groupes avec de la logistique - à travers son réseau de sécurité. Mais d’autres organisations pourraient y avoir trouvé un intérêt commun : les insurgés irakiens, par exemple, voire les Taliban, peut-être également des petits groupes des territoires palestiniens occupés. Voilà comment les choses marchent au Proche-Orient, où il n’y a rien qui ressemble de près ou de loin à la responsabilité - seulement une communauté d’intérêts. Peut-être les Américains auraient-ils appris quelque chose à ce sujet s’ils n’avaient pas insulté les Syriens, il y a deux ans, en les accusant d’autoriser les combattants à entrer en Irak - à partir duquel moment, les Syriens cessèrent toute coopération militaire et de renseignement avec les Etats-Unis.

Interviewé en début d’année, un autre chef du Fatah al-Islam, qui se fait appeler "Abou Mouayed", a insisté pour dire : "nous ne sommes pas en contact avec d’autres Islamistes... nous n’en sommes pas au point de recruter des combattants, mais ceux qui veulent travailler avec nous et lutter contre les Juifs sont les bienvenus". Celui-ci a aussi menacé d’attaquer le force onusienne élargie au Sud-Liban, qui est dirigée par des généraux de l’Otan. A ce moment-là, les officiels de l’OLP à Nahr el-Bared affirmaient qu’ils "gardaient l’ ?il" sur le Fatah al-Islam. Mais au cours de ces deux derniers mois, leur regard s’est clairement égaré.

Il s’avère que l’armée et la Force de Sécurité Intérieure - une version soft d’unité de police paramilitaire - ont attrapé 11 de ces bandits armés avant qu’ils ne réussissent à mettre fin à leurs jours. Ceux-ci sont à présent sous interrogatoire (un processus qui ne sera définitivement pas tendre, bien qu’un de ces hommes aient été sérieusement blessé). Des photographes ont réussi à prendre des clichés de l’un des hommes capturés, au moment où il était attrapé par des soldats après avoir tué un de leurs camarades. Mais se peut-il que ces guerriers fiers - vicieux - parlent, alors qu’ils sont tous prêts à mourir ?

L’armée, elle-aussi, a ses sentiments. Il apparaît qu’environ la moitié de ses morts sont des Musulmans sunnites et beaucoup d’entre eux viennent du Nord-Liban.

C’est la partie du pays où les vendettas ont souvent été une caractéristique de la colère sociale et, une fois les batailles terminées à Nahr al-Bared, il y aura des familles qui chercheront coûte que coûte à venger leurs fils et maris disparus, en particulier ceux qui auront été conduits à la mort avec une telle cruauté. En remontant en 2000 à Sir el-Dinniye, il n’y avait pas eu de meurtres de vengeance après l’assassinat de 11 soldats. Mais certains des bandits armés qui les ont tués il y a sept ans sont eux-mêmes à présent - et la boucle est de nouveau bouclée, ici - au camp Ein el-Helveh à Sidon.

Le mouvement Fatah de l’OLP a appelé son homonyme "un gang de criminels" - sage précaution vue la fureur contenue des Libanais sur le fait que les Palestiniens aient autorisé que ce groupe soit créé dans le camp de réfugié du Nord. A Ein el-Helveh, l’OLP est dans la rue, assurant qu’il n’y aura pas de réapparition de ce problème, bien que l’un des Islamistes palestiniens, lundi dernier, ait tiré en l’air de colère à la mort de ses "frères" qui combattent l’armée.

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Robert Fisk

Cependant, si le siège de Nahr el-Bared se poursuit, il pourrait n’être pas si facile de contrôler les groupes palestiniens à Beyrouth et au sud du Liban. Et, ensuite, l’armée libanaise - qui préserve ici la paix de l’anarchie - sera encore un peu plus tendue.

Robert Fisk - The Independent, le 23 mai 2007 : The road to Jerusalem (via Lebanon)
Traduit de l’anglais par Jean-François Goulon, Questions Critiques

Du même auteur :
- Tripoli : Nombreux morts dans la bataille la plus sanglante depuis la guerre civile
- La destruction d’une nation et d’un peuple
- Une enfant étendue comme une poupée de chiffon, symbole de la guerre


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