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Menaces contre les défenseurs des droits de l’homme : jusqu’où ira Israël ?

mardi 6 septembre 2016 - 06h:46

Noura Erakat, Ingrid Jaradat, Diana Buttu

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Dans cette table ronde les conseillères politiques d’Al-Shabaka Noura Erakat, Ingrid Jaradat, et Diana Buttu examinent les menaces spécifiques qui pèsent sur le mouvement BDS et d’autres défenseurs des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés (TPO), en Israël et au-delà.

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« Gazez les Arabes ! JDL » peint à la bombe sur un mur extérieur de l’école Cordoba près de la rue Shuhada à Hébron, octobre 2012 - Photo : ActiveStills/Ryan Rodrick Beiler

Présentation

Israël s’attaque aux défenseurs des droits de l’homme. De hauts responsables israéliens ont ciblé des militants du Mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), appelant à « l’élimination civile ciblée » de dirigeants du BDS déclarant qu’ils devaient « payer le prix » de leur action. Le co-fondateur de BDS Omar Barghouti a été nommément cité.

En Israël, la Haute Cour de justice a confirmé en 2015 une loi de 2011 qui pénalise les organisations et les personnes appelant au boycott d’Israël ou de ses implantations illégales, et permet qu’elles soient poursuivies en justice. Israël a aussi investi des ressources considérables pour combattre le mouvement BDS à l’étranger.

Jusqu’où ira Israël dans la mise à exécution de ses menaces à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme ? Que devraient faire les Palestiniens et le mouvement de solidarité international afin de se protéger et de permettre au mouvement de continuer à progresser ? Dans cette table ronde les conseillères politiques d’Al-Shabaka Noura Erakat, Ingrid Jaradat, et Diana Buttu examinent les menaces spécifiques qui pèsent sur le mouvement BDS et d’autres défenseurs des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés (TPO), en Israël et au-delà. Le rôle de modérateur était tenu par leur consœur d’Al-Shabaka, Nur Arafeh.

Noura Erakat, donne un aperçu historique et juridique des « assassinats ciblés, » ou assassinats extrajudiciaires, qui ont tué des centaines de Palestiniens au cours des ans, et notamment récemment en Cisjordanie en raison d’une légère augmentation de la résistance armée palestinienne. Ingrid Jaradat, expose dans ses grandes lignes les tendances et les attaques spécifiques israéliennes à l’encontre des militants BDS et d’autres défenseurs des droits de l’homme ainsi que la complicité des pays occidentaux dans ces attaques.[1] Diana Buttu apporte des preuves supplémentaires des attaques israéliennes et soutient qu’actuellement leur fréquence et leur frénésie augmentent.

Noura Erakat : Les assassinats extrajudiciaires israéliens

Voilà des décennies qu’Israël a recours aux assassinats extrajudiciaires, c’est à dire l’exécution de quelqu’un sans aucune forme de procès pour déterminer sa culpabilité.[2] Le gouvernement a pour la première fois assumer publiquement la responsabilité de ces assassinats au cours de l’Intifada Al-Aqsa, à savoir en novembre 2000, lorsqu’il les a qualifiés « d’assassinats ciblés » et a créé une justification juridique pour leur utilisation contre les Palestiniens.[3]

Israël soutient qu’il est engagé dans un « conflit armé pas une guerre » avec les Palestiniens afin de pouvoir le qualifier de lutte contre des « terroristes. » Ceci permet à Israël d’utiliser la force militaire, définie par la loi, en déniant aux Palestiniens le statut de combattants ou de soldats. Au lieu de cela, l’utilisation de la force par les Palestiniens est considérée comme étant du terrorisme, que les cibles soient des civils ou des installations militaires ; de fait, toute utilisation de la force par les Palestiniens est considérée illégitime et illégale.

Ainsi Israël a créé un cadre juridique dans lequel les Palestiniens n’ont pas le droit de recourir à la force, mais les Israéliens ont le droit de les tuer même lorsqu’ils ne posent aucun danger et ceci sans procès. Ce cadre vise à interdire pour les Palestiniens toute forme de résistance et à accroître le droit d’Israël à recourir à la force. C’est dans ce contexte qu’Israël a aussi modifié la terminologie de la violence : « assassinat » est devenu « élimination ciblée. »

Cette pratique est illégale, étant donné que l’exécution arbitraire prive le suspect d’un procès équitable tel que garanti par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le droit international limite également l’usage de la force létale intentionnelle « au cours d’opérations de maintien de l’ordre à des situations nécessitant de protéger la vie » - c’est à dire que la police ne peut tirer pour tuer que lorsqu’il est clair que le suspect va tuer quelqu’un et qu’il n’y a pas d’autre moyen de l’arrêter. Dans une situation d’occupation, la loi est encore plus claire. Parce qu’une puissance occupante n’est plus en guerre, sa force est limitée à l’autorité chargée de l’application de la loi. Cela signifie que la puissance occupante ne peut utiliser la force létale comme mesure de premier recours.

« Israël a créé un cadre juridique dans lequel les Palestiniens n’ont pas le droit de recourir à la force, mais les Israéliens ont le droit de les tuer même lorsqu’ils ne posent aucun danger et ceci sans procès. »

En 2000, conformément au droit international, la communauté internationale, y compris l’administration de George W. Bush, s’opposa à l’usage de la force excessive par Israël et soutint qu’il devrait seulement utiliser les pouvoirs de police à l’égard des Palestiniens. Cependant, après que les États-Unis eurent adopté la même politique « d’élimination ciblée » à la suite du 11 septembre, sa condamnation de cette pratique déclina. Israël et les États-Unis coopèrent depuis dans le cadre de programmes de contre-terrorisme à l’échelle mondiale qui éludent les distinctions entre la guerre que font les États-Unis à des acteurs non-étatiques et les ambitions coloniales d’Israël en cours en Palestine.

Par exemple, lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU autorisa l’emploi de la force contre Al-Quaida en Afghanistan en 2001, Israël tenta d’appliquer la même logique à son usage de la force contre les Palestiniens. Elle fut rejetée par la Cour Internationale de Justice dans son avis consultatif de 2004 parce qu’Israël, en qualité de puissance occupante, détient seul l‘autorité juridique dans les territoires d’où proviennent les menaces, contrairement aux États-Unis, qui n’exerçaient pas encore l’autorité en l’Afghanistan. Israël ne pouvait, par conséquent, pas prétendre être en position d’auto-défense face à une population sur laquelle il exerçait déjà des pouvoirs militaires et de police.

Les protestations mondiales contre l’utilisation des assassinats par Israël eurent pour effet un arrêt presque total de cette pratique en Cisjordanie, jusque récemment. Cependant, Israël continua à utiliser les assassinats extra-judiciaires dans la Bande de Gaza, où il affirme ne plus avoir d’autorité depuis son désengagement unilatéral en 2005. En même temps, Israël ne prétend pas que la Bande de Gaza a obtenu l’indépendance ou le statut d’état. Il continue de qualifier Gaza « d’entité hostile » - notion qui n’a pas de fondement en droit international. L’importance de ce statut réside dans le fait que tandis qu’un état a le droit de constituer une armée et d’utiliser la force, une « entité hostile » non. Ainsi donc, Israël affirme depuis 2005 que la Bande de Gaza n’est ni occupée ni indépendante mais a le statut sans précédent d’entité hostile, contre laquelle la force peut être utilisée mais dont la population n’a pas le droit à l’auto-défense.

Ainsi, Israël a étendu encore plus son droit d’utiliser la force meurtrière et militaire tout en diminuant d’autant plus le droit des Palestiniens à la résistance, bien que le droit international reconnaisse la légitimité du recours à la force par un peuple sous le joug d’une colonisation étrangère.[4] Israël a utilisé cet argument pour tuer Sheikh Ahmed Yassin et le Dr. Abdel Aziz Rantissi à Gaza et des centaines de Palestiniens entre 2000 et 2005.

Israël utilise aujourd’hui la force meurtrière en Cisjordanie, Jérusalem-Est comprise, ainsi que dans la Bande de Gaza avec peu, voire pas de protestations mondiales. Sa politique du tirer pour tuer à l’égard des Palestiniens accusés de brandir un couteau est un bon exemple d’assassinat extra-judiciaire : La société est supposée croire sur parole le gouvernement israélien quand il dit que les Palestiniens qui ont été tués tenaient un couteau et menaçaient de l’utiliser contre un soldat qui raisonnablement craignait pour sa vie. Tout le processus d’enquête a été éliminé et Israël se comporte comme juge, jury et bourreau, rendant la vie des Palestiniens encore plus précaire.

Ingrid Jaradat : les campagnes à l’échelle locale et mondiale d’Israël contre BDS

Israël a toujours opprimé les défenseurs des droits de l’homme, pas seulement dans les TPO mais aussi en Palestine historique et au delà, dans le cadre de ses efforts pour éliminer l’activité en faveur de la justice et de la liberté des Palestiniens, y compris la résistance non violente et le plaidoyer en leur faveur. Cette oppression utilise la violence armée, les restrictions arbitraires de la liberté de mouvement, les interdictions de voyager, les expulsions (temporaires), les arrestations, l’emprisonnement et la torture.

Trois tactiques au moins ont pour objectif d’étouffer le militantisme pour les droits de l’homme sous le gouvernement de plus en plus droitier d’Israël.

La première : L’accroissement des menaces et attaques violentes, surtout dans les TPO. Elles sont le résultat principalement de la colonisation israélienne agressive, de l’incitation par des responsables israéliens contre les Palestiniens qui résistent et de fait contre quiconque critiquant la politique israélienne, et de l’impunité accordée dans le cas d’agression contre les personnes et les biens palestiniens. Tout ceci donne aux soldats, aux colons, et à d’autres la permission de proférer des menaces de mort, de battre et de tuer des Palestiniens, notamment des défenseurs des droits de l’homme.

La deuxième : L’offensive ouverte lancée par Israël contre la liberté d‘expression et des droits politiques et civils connexes dans les TPO ainsi qu’à l’intérieur d’Israël. Celle-ci est une réponse explicite au plaidoyer de militants pour l’adoption de mesures internationales obligeant l’état et ceux qui sont responsables ou complices de ces politiques illégales et oppressives à rendre des comptes. Ceci constitue une évolution, car historiquement les gouvernements israéliens dirigés par les sionistes de gauche ou du centre se sont abstenus de mener des attaques si visibles sur les libertés civiles qui discréditent l’idée selon laquelle Israël serait « la seule démocratie du Moyen-Orient. » Au lieu de cela, les gouvernements précédents avaient utilisé des prétextes liés à la « sécurité » et au « contre-terrorisme, » disponibles dans les règlements d’exception d’Israël, et le régime militaire qui n’a pas à répondre de ses actes dans les TPO, pour faire taire la résistance palestinienne qui s’exprime par des manifestations pacifiques et la défense des droits de l’homme

Dernièrement, les gouvernements israéliens affirment que la liberté d’expression, lorsqu’exercée pour promouvoir les droits de l’homme palestiniens – en particulier appeler au boycott ou l’appliquer – est une atteinte à la « sécurité » qui doit être éliminée. En plus de soutenir publiquement la violence contre les défenseurs des droits de l’homme, les responsables israéliens et les législateurs adoptent une législation plus restrictive et plus intimidante. Les autorités israéliennes ont aussi intensifié les activités de surveillance et du renseignement et les cyber-attaques à l’égard des défenseurs des droits de l’homme, tout en administrant des sanctions par le biais de mesures administratives, telles que les interdictions de voyager et la révocation du permis de résidant israélien au motif d’un « manque de centre de vie en Israël » ou, plus récemment, pour « défaut de loyauté envers l’état d’Israël. »

La troisième : L’exportation de ces attaques israéliennes dans d’autres pays et la complicité de certains pays occidentaux dans ces attaques. En cherchant à contrecarrer le BDS non seulement chez lui, mais également à l’étranger, Israël mène une campagne de style maccarthyste contre toute personne prenant position pour le peuple palestinien. Ceci se produit notamment en Europe et en Amérique du nord, où elle sape les libertés civiles des citoyens et réduit l’espace de la société civile.

De fausses accusations d’antisémitisme sont au cœur de ces attaques. Israël et ses lobbies ont investi des ressources substantielles pour travestir la signification de la discrimination raciale telle qu’elle a été adoptée dans les conventions internationales. Les soi-disant définitions pratiques d’antisémitisme mises en avant par Israël et les lobbies sponsorisés par Israël déclarent que toute opposition au sionisme et aux politiques israéliennes sont une forme de discrimination raciale à l’encontre du « peuple juif » et donc antisémites.

D’après un rapport récent de la Commission Nationale du BDS, ces attaques, qui sont perpétrées de l’Autriche aux États-Unis, comprennent :

- Des campagnes médiatiques ciblant les militants du BDS menées par des fondations israéliennes, des groupes de pression, et des journalistes et journaux affiliés ;
- Des poursuites judiciaires parrainées par Israël et des groupes affiliés contre des militants BDS, des syndicats, et conseils municipaux ;
- Des pressions sur les banques, impliquant souvent des journalistes « d’investigation » israéliens et des menaces de dommages financiers, se traduisant par la fermeture de comptes bancaires de groupes et d’organisations défendant les droits de l’homme palestiniens.
- Des pressions sur les propriétaires d’installations pour évènements publiques, au nombre desquels des municipalités et des ONG, pour refuser des salles aux défenseurs des droits de l’homme du BDS ;
- Des motions anti-BDS présentées à des parlements par des groupes de pression d’Israël et des députés solidaires ;
- Espionnage et sabotage des activités BDS menés par des groupes pro-Israël se faisant passer pour des militants des droits de l’homme palestiniens.

Les autorités des pays dans lesquels ces attaques ont lieu faillissent en général à leur devoir de protection de leurs citoyens qui font l’objet de ces attaques. Encore plus inquiétant, dans certains pays occidentaux les gouvernements et autres organismes de pouvoir ont répondu au lobbying israélien en adoptant leurs propres mesures pour réprimer les campagnes du BDS.

En France, par exemple, des poursuites pénales ont été engagées contre une trentaine de militants BDS et plusieurs ont été condamnés par les tribunaux français qui ont interprété de façon erronée un appel au boycott de produits israélien comme étant de la discrimination à l’égard d’une « nation, » qui est selon le droit français une infraction pénale. En outre, les autorités françaises appliquent ces décisions de justice à toutes les formes d’activité BDS, même lorsqu’elles ne comportent pas d’appels au boycott de produits israéliens. Les forces de police françaises ont à maintes reprises réprimé des manifestations pro-BDS.

Au Royaume Uni, de hauts responsables du gouvernement conservateur ont à maintes reprises avancé des allégations selon lesquelles le mouvement BDS est antisémite. Le gouvernement a aussi permis que des fonds destinés à des initiatives anti-BDS transitent par des institutions publiques. Par ailleurs, le UK College of Policing a adopté une « définition pratique de l’antisémitisme de l’Union Européenne » favorisée par Israël, même si l’Union Européenne a précisé qu’elle n’était pas à l’origine du document contenant la définition.

En outre, le gouvernement britannique a publié une note d’orientation sur les marchés publics en février 2016 qui réaffirme la loi britannique existante et les règles de l’OMC selon lesquelles les organismes publics ne sont pas autorisés à exclure une société des appels d’offres et contrats en raison de son « pays d’origine. » Le gouvernement a aussi annoncé une consultation en novembre 2015 sur les fonds de pension des pouvoirs publics locaux. Il déclare que les décisions d’investissement des pouvoirs publics locaux « ne devraient pas obéir à des politiques qui vont à l’encontre de la politique étrangère du Royaume Uni » et comprend une proposition qui donnerait au gouvernement national un pouvoir de veto sur les décisions d’investissement des conseils locaux.

Le Canada a récemment signé un accord de coopération avec Israël qui comprend un engagement explicite d’aider Israël à réprimer le mouvement BDS. Le gouvernement canadien – les libéraux au pouvoir ainsi que l’opposition conservatrice – a ensuite adopté une motion visant à condamner toutes les actions BDS des citoyens canadiens. Les hommes/femmes politiques canadiens dénoncent aussi fréquemment le militantisme BDS universitaire comme de l‘antisémitisme.

« En cherchant à contrecarrer le BDS non seulement chez lui, mais également à l’étranger, Israël mène une campagne de style maccarthyste contre toute personne prenant position pour le peuple palestinien. »

Aux États-Unis, des projets de loi et des lois anti-BDS ont été introduits dans plus de 20 états et au Congrès. Ils visent tous à refuser des fonds publics, des contrats, et/ou des investissements à des entités qui cautionnent le BDS. Très récemment le gouverneur de l’état de New York a adopté l’un de ces projets de loi par décret, court-circuitant le processus législatif qui avait bloqué le projet, et créant un précédant pour d’autres gouverneurs.

Ces attaques entravent la capacité de la société civile à mener des activités BDS, et constituent un réel défi en Europe. En raison de la diversité législative, politique et culturelle il est difficile d’apporter un soutien aux militants BDS à l’échelle de toute l’Europe. Jusqu’à ce jour les militants BDS de nombreux pays européens ne bénéficient pas d’un soutien juridique efficace. Toutefois, les efforts du BDS National Comittee (BNC) et de nombreux partenaires européens en défendant conjointement le droit et la légitimité du BDS ont contribué à surmonter la frustration initiale. Par ailleurs, les défenseurs des droits de l’homme en Europe ont prouvé qu’ils possèdent à la fois la résilience et la créativité nécessaires pour entreprendre une mobilisation BDS anticipatrice malgré les attaques israéliennes et les pouvoirs nationaux complices.

Aux États-Unis, les principales associations pour les droits civils, dont l’American Civil Liberties Union (ACLU), le Center for Constitutional Rights, et le National Lawyers Guild, se coordonnent entre elles ainsi qu’avec l’organisation Palestine Legal pour protéger les droits civils et constitutionnels des Américains qui prennent position pour les libertés palestiniennes. Toutes les associations ont explicité que le droit de boycotter pour promouvoir des changements politiques et sociaux est protégé par la Constitution, et qu’une violation de ce droit ne tiendra pas devant un tribunal.

Diana Buttu : Menaces contre les militants dans un état de plus en plus fasciste.

Le gouvernement israélien menace les défenseurs des droits de l’homme en Israël, aussi bien les citoyens palestiniens que les juifs israéliens, directement ou par procuration. Vers la fin de l’année dernière, les autorités israéliennes s’en sont prises au financement de Baladna (l’Association pour la jeunesse arabe) qui protestait contre le recrutement de jeunes Arabes dans l‘armée israélienne. En mars 2016, l’ancien ministre de la défense Moshe Ya’alon a dit de Breaking the silence – organisation de soldats israéliens qui dénoncent les agissements israéliens dans les TPO – qu’elle était composée de « traîtres. » En outre, des menaces de mort ont été proférées contre un volontaire de B’Tselem qui a filmé l’assassinat extrajudiciaire d’un Palestinien à Hébron en mars 2016.

En juillet 2016, Israël a adopté une loi exigeant des ONG, dont plus de la moitié de leur financement provient de gouvernements étrangers, qu’elles déclarent la source de leur financement étranger dans toutes leurs publications. La loi n’oblige pas de divulguer la provenance des fonds de donateurs privés. Cette loi touche les ONG des droits de l’homme, car elles reçoivent souvent des subsides de gouvernements étrangers, tandis que les ONG de droite obtiennent plutôt les leurs de donateurs privés aux motivations idéologiques.

Par ailleurs, en utilisant des ONG qui sont largement financées par le gouvernement israélien, Israël vise le travail fait par des organisations des droits de l’homme en faisant pression pour réduire le financement étranger. Les organisations au parrainage israélien ne sont un défi que pour les ONG qui critiquent les actions d’Israël ; le financement des organisations des droits de l’homme qui critiquent l’Autorité Palestinienne n’est pas remis en cause .

De telles attaques forment un pilier du pouvoir colonial d’Israël depuis déjà 1948. Toutefois, ce qui diffère maintenant c’est que la fréquence et la frénésie de ces attaques augmentent, créant une atmosphère de « nous » et « eux » dans laquelle quiconque n’est pas « nous » (à savoir, juif israélien, sioniste de droite) est une cible légitime d’attaque. De ce fait, B’Tselem et Breaking the Silence – ni l’une ni l’autre n’étant une organisation antisioniste – relèvent désormais de la catégorie « eux ». En fin de compte, toute critique d’Israël, même aussi modérée que celles exprimées le plus souvent par les organisations des droits de l’homme israéliennes, est vue comme une « menace » pour Israël. Il s’ensuit tout naturellement une montée du fascisme lorsqu’un homme ou une femme politique comme l’actuelle ministre de la justice Ayelet Shaked, qualifie les enfants palestiniens de « petits serpents. » Ces déclarations avec d’autres de dirigeants israéliens reflètent un soutien en hausse de la société israélienne aux politiques fascistes, et alimentent également ce fascisme.

La fréquence et la frénésie de ces attaques [contre les défenseurs des droits de l’homme en Israël] augmentent, créant une atmosphère de « nous » et « eux » dans laquelle quiconque n’est pas « nous » (à savoir, juif israélien, sioniste de droite) est une cible légitime d’attaque.

La nomination récemment d’Avigdor Lieberman au poste de ministre de la défense et l’entrée de Yehuda Glick à la Knesset reflètent cette montée du fascisme. Lieberman soutient les crimes de guerre d’Israël, que ce soit le blocus ou le bombardement de la Bande de Gaza ou l’expansion accélérée des colonies. Il prône le nettoyage ethnique des Palestiniens d’Israël (qualifié de « transfert ») et a dit que les Palestiniens qui ne prêtaient pas allégeance « devraient être décapités à coup de hache. » Il a aussi préconisé de noyer les prisonniers palestiniens. Lieberman fait campagne sur une profession de foi qui comprend l’établissement de la peine de mort pour les Palestiniens qui résistent à la domination israélienne – ceux qu’Israël trouve commode de qualifier de « terroristes. »

Bien que ce soit un colon et qu’il prône ouvertement ces politiques, Lieberman a été reçu dans les capitales étrangères lorsqu’il était ministre des affaires étrangères. En qualité de ministre responsable des guerres d’Israël, il aura désormais l’occasion de mettre ses convictions en pratique. L’ascendant exercé par Lieberman dernièrement est évidemment inquiétant, cependant il y a bien plus préoccupant : ça n’a pas l’air d’émouvoir la communauté internationale qui fait comme si de rien n’était, les États-Unis déclarant déjà par exemple que son nouveau rôle au sein du gouvernement n’aura pas d’incidence sur le programme d’aide militaire sans précédent consenti par les États-Unis à Israël : probablement 4 milliards de dollars pas an pendant 10 ans.

Que faut-il faire ?

Pour conclure, cette partie reprend des idées avancées par les participantes à la table ronde Noura Erakat, Ingrid Jaradat, et Diana Buttu.

Dans le cas d’Omar Barghouti, à qui, en plus des menaces à son égard, on a récemment refusé le droit de voyager à l’étranger tandis que le bruit court que son statut de résident pourrait être révoqué, un degré de protection limité a peut-être été atteint du fait qu’il a été adopté en tant que défenseur des droits de l’homme par Amnesty International, Human Rights Watch, la International Federation for Human Rights, et Euromed Rights, et de la vaste couverture médiatique des attaques à son égards. Toutefois, une protection plus efficace d’Omar Barghouti nécessite des condamnations publiques des attaques israéliennes et des interventions en sa faveur de hauts responsables de gouvernements occidentaux, de l’UE, et de l’ONU. Tous ont été sollicités. Une mobilisation dans les TPO, en Israël, et à l’étranger est maintenant nécessaire pour veiller à ce qu’ils fassent les démarches nécessaires.

Pendant ce temps, une colonisation encore plus agressive des TPO, y compris à Jérusalem-Est, et des mesures plus répressives contre les défenseurs des droits de l’homme peut élargir le soutien international à ceux qui se font les avocats du peuple palestinien. Ceci accélérerait le processus d’isolement du régime israélien de colonialisme de peuplement, d’apartheid, et d’occupation. Cependant, des campagnes BDS soutenues et visionnaires et des actions de défense des droits civils et politiques, dont le droit de BDS, seront nécessaires de la part des défenseurs des droits de l’homme. Ceci est particulièrement vrai actuellement, alors que des gouvernements occidentaux puissants lancent à nouveau une autre « initiative de paix » de type Oslo pour protéger le régime israélien et le statu quo d’oppression. Dans ce but, le mouvement pro-justice plus large peut faire du lobbying, inviter des défenseurs des droits de l’homme palestiniens ciblés par Israël à venir prendre la parole dans leur pays, et à se joindre aux efforts locaux et régionaux pour un soutien juridique efficace aux militants BDS.

Du côté palestinien, les militants devraient élaborer des initiatives diplomatiques pour demander aux gouvernements de l’UE de condamner les assassinats extrajudiciaires et d’amener Israël à répondre de ses crimes. Les Palestiniens ont aussi besoin d’une stratégie médiatique et d’une équipe juridique pour assurer les poursuites judiciaires contre les soldats israéliens. Bien que plusieurs organisations et des militants des droits de l’homme y travaillent, leurs efforts manquent généralement de coordination et sont souvent sporadiques ; il est nécessaire de réaliser la cohésion par le biais de la collaboration. En outre, les ONG des droits de l’homme devraient travailler ensemble pour s’attaquer aux restrictions sur leur financement, que ce soit en raison de la nouvelle loi israélienne imposant la divulgation des fonds étrangers ou les attaques coordonnées sur leur financement par Israël et les ONG soutenues par Israël.

Noura Erakat

Conseillère politique de Al-Shabaka (Le Réseau Politique Palestinien) Noura Erakat est une avocate palestinienne et une défenseur des droits de l’homme. Elle est actuellement professeur adjoint de droit international des droits de l’homme au Moyen-Orient à l’Université de Georgetown.

Elle a très récemment servi de conseillère juridique à un sous-comité du Congrès à la Chambre des Représentants et de conseillère auprès du membre du Congrès Dennis Kucinich sur les affaires du Moyen-Orient. Noura commente régulièrement la politique étrangère des Etats-Unis et les questions de droit international. Elle est intervenue sur Al Jazeera International, dans "Politically Incorrect," sur NBC et dans "The O’Reilly Factor" sur Fox. Ses articles ont été publiés dans The Huffington Post, le Berkeley Law School’s Journal for Middle East and Islamic Law, Counterpunch, Al-Majdal, et le Middle East Research and Information Project (MERIP).

Ingrid Jaradat Gassner

Conseillère politique de Al-Shabaka, Ingrid Jaradat Gassner est membre fondateur de la campagne palestinienne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et co-fondatrice et ancienne directrice du Centre de Documentation de Badil pour les droits de résidence et des réfugiés palestiniens (Badil). Elle a beaucoup travaillé dans le domaine du droit international et de la défense, a mené des recherches innovantes sur les réfugiés palestiniens, le droit au retour, le colonialisme israélien et l’apartheid et les responsabilités liés d’états tiers. Elle a aussi coordonné la recherche pour une initiative civique palestinienne visant à faire enregistrer des Palestiniens en exile en tant qu’électeurs et à faire campagne pour des élections directes au Conseil National Palestinien. Elle travaille actuellement comme coordinatrice de la promotion des droits pour la Coalition civique pour les droits des Palestiniens à Jérusalem.

Diana Buttu

Conseillère politique de Al-Shabaka, Diana Buttu est une avocate qui a été conseillère juridique de l’équipe de négociateurs palestiniens et membre de l’équipe qui a participé aux poursuites fructueuses contre le Mur devant la Cour internationale de Justice. Elle intervient fréquemment sur la Palestine sur des chaînes de télévision internationales comme CNN et la BBC ; c’est une analyste politique d’Al Jazeera International et contribue régulièrement à The Middle East magazine. Elle conserve une activité juridique en Palestine, principalement en droit international appliqué aux droits de l’homme.

Notes

1. Les opinions exprimées dans cette table ronde par Ingrid Jaradad sont les siennes et ne représentent pas celles du Comité National de BDS.
2. Un assassinat est une exécution extrajudiciaire parce que l’état prend une décision en qualité de juge, jury, et bourreau. L’accusé n’a jamais la possibilité de contester les éléments de preuves ou de prouver son innocence. Dans une situation de guerre, ces considérations ne sont pas pertinentes car il va de soi que les belligérants tirent pour se tuer mutuellement.
3. Noura Erakat examine ces questions de façon plus approfondie dans son prochain livre, Law as Politics in the Palestinian-Israel Conflict (le droit en tant que politique dans le conflit Israël-Palestine)
4. Le droit des Palestiniens à recourir à la force est reconnu depuis 1977, il est inscrit dans le premier, puis le second protocole additionnels de la Convention de Genève qu’Israël et les Etats-Unis n’ont jamais ratifiés

4 août, 2016 - Al-Shabaka - Traduction : Chronique de Palestine


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