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La tragédie de la Palestine

vendredi 8 juillet 2016 - 07h:09

Dr Ghada Karmi

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Tariq Ali s’entretient avec le Dr Ghada Karmi, auteure et universitaire palestinienne, sur le dilemme de l’état palestinien, l’histoire de sa formation et son avenir éventuel.

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30 juillet 2016 - Une jeune mère de Gaza attend à l’hôpital al-Shifa que son petit enfant, gravement blessé dans un bombardement israélien, puisse être soigné - Photo : Basel Yazouri/Activestills.org

- T A  : Bonjour, mon invitée est aujourd’hui le Docteur Ghada Karmi, qui est palestinienne, qui a écrit ses mémoires, a beaucoup écrit sur la Palestine, est fort sollicitée comme spécialiste de la Palestine pour parler partout dans le monde. Les trois livres qu’a écrit Ghada Karmi sont In Search of Fatima, mémoires très émouvants sur comment elle est arrivée de Jérusalem à Londres avec sa famille en 1948, Married to another man, Israel’s dilemma in Palestine, est son second livre, et son dernier livre est Return, a memoir.
- Ghada, bienvenue.

- G K : Bonjour

- T A : Nous sommes contents de vous avoir dans notre émission. Dites moi, lorsque vous avez écrit In Search of Fatima, qu’est-ce qui vous a poussée à le faire ?

- G K : Eh bien, je milite pour la Palestine depuis des décennies, et je n’ai pas pu ne pas remarquer que toutes les manifestations et les piquets de grève, les écrits, les apparitions à la télévision n’amélioraient pas la situation de la Palestine, elle empirait au contraire, je me suis dit quelque chose ne va pas, qu’est-ce qui cloche dans ce que nous faisons ? Et puis j’ai pensé à l’expérience quasi parallèle de l’holocauste, eh bien tout le monde a entendu parler de l’holocauste, chaque écolier en Angleterre connait l’holocauste. Donc je me suis dit mais pourquoi ? Ce n’est pas parce que quelqu’un a écrit un livre d’histoire, parce qu’ils ont lu les résolutions de l’ONU, parce qu’ils ont lu des statistiques sur les réfugiés, non ils connaissent l’holocauste parce que l’histoire a été raconté par le biais de récits, de la littérature, de l’art, de pièces de théâtre, de la poésie, de mémoires, et j’ai pensé pourquoi ne faisons nous pas la même chose, nous avons une histoire à raconter, pourquoi ne pas la raconter, sous forme de récits, d’histoires personnelles, voilà pourquoi j’ai écrit In search of Fatima.

- T A : Et, il y a une chose amusante dans ce livre, parmi tant d’autres, et d’autres tristes, dont je me souviens

ce qui est amusant dans ce livre, parmi tant d’autres choses amusantes, et certaines tristes aussi, dont je souvienne, c’est que lorsque votre père a quitté Jérusalem avec vous et votre mère, le quartier de Londres où vous vous êtes installés, c’était Golders Green qui était alors dans les années 40 et 50, le plus important faubourg juif de Londres. Comment avez-vous vécu ça ?

- G K : C’était l’une des ironies, et assez drôle vraiment dans une histoire tragique. Nous nous sommes installés comme vous l’avez dit dans un quartier majoritairement juif, plein de réfugiés juifs allemands à l’époque, ce qui est très intéressant à rapporter, c’est qu’en qualité de seule famille palestinienne dans le secteur nous nous entendions très bien, et on m’acceptait comme jeune étrangère, ils m ‘aimaient bien, et en fait la mère de ma meilleure amie m’a dit un jour, alors que je pensais épouser un Anglais, « non, ma chère, épouse un des tiens, elle m’a dit si t’étais juive je te trouverais un gentil mari juif.

- T A : Donc Ghada, ces Mémoires, quand ils ont été publiées, ont eu un énorme impact, je m’en souviens bien, et je pense qu’une des raisons, c’est que comme vous l’avez dit, personne n’avez lu de Mémoires palestiniens forts pour expliquer le dilemme palestinien, bien sûr ce n’était pas comme l’holocauste, mais c’était quand même plutôt tragique, et très peu de gens connaissaient cette histoire, mais depuis vous vous êtes déplacée partout dans le monde pour témoigner, et Married to another man, ce livre que j’ai dans les mains, est un livre très, très puissant. Expliquez nous son titre, Married to another man.

- G K : Oui, je sais que c’est étrange, et je dois dire qu’il a suscité un certain nombre de malentendus. Certaines personnes ont pensé qu’il s’agissait d’infidélité conjugale, de femmes légères, mariées à plusieurs hommes, ce genre de choses. Non, le titre en réalité fait référence à l’histoire de deux rabbins à la fin du 19ième siècle. Ce qui s’est passé, c’est que le Congrès mondiale sioniste s’était tenu en 1897 et ce congrès avait pris la décision qu’il devait y avoir un état pour les juifs, première chose et deuxième chose cet état devait se trouver en Palestine. Mais, les gens qui ont pris cette décision étaient des juifs européens, ils ne connaissaient rien du Moyen-Orient et certainement pas la Palestine, donc ils ont envoyé ces deux rabbins et leur ont demandé de rapporter ce qu’ils avaient vu : qu’est-ce que la Palestine ? A quoi ça ressemble ? etc.. Les deux rabbins y sont allés, et ils ont constaté que le pays était plein de gens, des gens comme mes ancêtres, des Palestiniens, très peuplé en fait. Donc ils ont envoyé le télégramme suivant à Vienne, disant la marié est belle, mais elle est mariée à un autre homme.

- T A : C’est assez adorable, en quelque sorte.

- G K : Oui, oui, le pays est très beau, mais il est plein de gens, plein de gens, donc il appartient déjà à quelqu’un d’autre.

- T A : Et c’était aussi une manière de contrer une vision défendue plus tard par Jabotinsky, et d’autres, qui avançait que, idée souvent utilisée par Golda Meir, que c’était une terre sans peuple pour un peuple sans terre, ce qui a toujours été faux et un mensonge délibéré.

- GK : Tout à fait, tout à fait !

- T A : Ghada, il y a autre chose que vous dites qui est très, très intéressant parce que vous expliquez dans ce livre comment dans les premiers jours de la fondation de l’état d’Israël en 1948 et la décennie qui a suivi, les dirigeants israéliens, quel que soit le nombre de guerres dans lesquelles ils aient combattu, et quoi qu’ils aient fait d’autre, étaient au moins assez honnêtes pour savoir ce qu’ils faisaient , et n’essayaient pas de le nier, et pour le bénéfice de nos spectateurs, je voudrais lire une citation du général Moshe Dayan, le grand général de la victoire de 1956 lorsque la Grande Bretagne, la France et Israël ont pactisé pour tenter de vaincre le gouvernement nationaliste de Gamal Abdel Nasser en Egypte. Parlant en 1956, vous écrivez, aux obsèques d’un jeune Israélien tué par un « infiltré arabe », entre guillemets, près de la frontière égyptienne, Moshé Dayan a dit : « Ne lançons pas aujourd’hui d’accusations contre les meurtriers, qui sommes nous pour dénoncer leur haine. Voilà maintenant huit ans qu’ils marinent dans leurs camps de réfugiés et que sous leurs yeux nous faisons notre la terre et les villages où leurs ancêtres et eux mêmes ont vécu. Nous sommes une génération de colons, et sans le casque d’acier et le canon nous ne pouvons planter d’arbres ni construire de maisons. Ne reculons pas à la vue de la haine qui fermente et remplit la vie de centaines de milliers d’Arabes tout autour de nous. Ne détournons pas le regard, afin que notre main ne défaille pas, c’est le destin de notre génération, le choix de notre vie d’être prêts et armés, forts et inflexibles, ou bien l’épée nous échappera et nous perdrons la vie. »
Eh bien, il est très honnête en disant, Nous avons pris leur terre, nous les tuerons s’ils essaient de nous la reprendre, soyez en sûrs, mais en même temps, comprenons pourquoi ils sont en colère. Si vous comparez ceci aux hommes et femmes politiques israéliens des 20, 25, 30 dernières années, à leurs propos absurdes comme si Israël n’avait aucune responsabilité, le contraste est plutôt saisissant, et Ghada, ce n’était pas seulement Moshé Dayan, je veux dire Ben Gourion aussi a dit des choses similaires. Cette première génération de sionistes était très dure, savait ce qu’ils avaient fait, n’avait pas d’état d’âme, et était prête à admettre que ça allait loin.

- GK : Tout à fait, et vous savez, ils étaient les vrais héritiers de Vladimir Jabotinsky qui a écrit un essai très frappant en 1923, je crois, intitulé The Iron Wall (Le mur de fer) dans lequel il dit avec, comme vous dites, une franchise surprenante, il dit , ne nous voilons pas la face, nous ne serons ici, et ne pouvons y être, que par la force des armes, il ajouta, nous devons accepter qu’aucun peuple au monde ne sera prêt à accepter que sa terre soit annexée par des colons, et qu’ils seront à jamais nos ennemis, puis il poursuit en disant, si nous sommes prêts pour ce genre de chose, il nous faut construire un mur de fer autour de nous, ce qu’il entendait par là c’était des baïonnettes d’acier, c’est à dire, bien sûr, les armes de l’époque, un mur de fer et nous devons être prêts à cela pour toujours, et puis il dit, et c’est très frappant, si nous n’y sommes pas prêts, alors nous devons abandonner le sionisme. C’est extraordinaire.

- TA : et c’est exactement ce qu’ils ont fait et font.

- GK : oui

- TA : Et Jabotinsky à l’époque et plus tard fut critiqué par les sionistes dits de gauche, venant d’un milieu socialiste qui ont dit, vous savez ce qu’il propose ne fait pas parti de notre projet, nous voulons vivre en paix avec les gens là-bas, etc …. Donc il y avait de nombreux autres débats au sein de la diaspora juive à l’époque, mais c’est Jabotinsky qui l’a emporté, il faut bien l’admettre, et aller de l’avant. Ghada, si l’on regarde en arrière, vous savez il y a presque cent ans, dans deux ans ce sera le centenaire de la déclaration Balfour, donc sans le soutien de l’Empire Britannique, il n‘aurait pas été possible de créer un état, et à mon avis même avec le soutien de l’empire britannique, ils n’auraient peut-être pas réussi s’il n’y avait pas eu l’holocauste, le génocide des juifs, ce fut la combinaison des deux qui a fait que ça a marché, s’il n’y avait pas eu le génocide pendant la Seconde guerre mondiale, et l’extermination de 5 à 6 millions de juifs, il n’y aurait pas eu ce désir chez les juifs d’Europe d’aller là-bas.

- GK : Tout à fait juste

- TA : Donc c’est en grande partie dû à la fondation de l’empire britannique et la poursuite de l’empire allemand sous domination fasciste, voilà ce qui s’est passé. L’Europe est responsable de ce qui s’est produit au Moyen-Orient et je ne crois pas que l’on puisse nier les faits. Mais laissons ceci de côté pour l’instant. Nous avons vu de grandes victoires israéliennes, qui dans certains cas ont été de nature décisive. 48 OK, ils ont tenu bon, les armées arabes ont été trompées, par des fripouilles qui n’avaient aucun désir de combattre, la guerre de 67, je pense, a été la guerre décisive, parce qu’il s’est produit deux choses : premièrement, ils ont vaincu le nationalisme arabe, la fierté du nationalisme arabe, les régimes égyptien et syrien se sont effondrés et leur armée s’est effondrée devant eux et deuxièmement la capacité d’Israël à réaliser ceci l’a rendu indispensable pour les Etats-Unis.

- GK : Les Américains ont concentré leur attention sur Israël comme une sorte de client régional, un client volontaire, bien disposé qui constituerait un contrepoids à plusieurs états arabes, qui avaient des liens solides avec l’Union Soviétique, comme l’Egypte et la Syrie, et l’Union Soviétique les avait armés, les avait entraînés, leur avait donné beaucoup de choses et les Etats-Unis ne voulaient pas de ça, Israël dans ce contexte était perçu comme l’allié des Etats-Unis, et ainsi ils ont pensé qu’en le rendant plus fort, en lui procurant des armes supérieures, en maintenant son avance stratégique et militaire sur les Arabes, que c’était la façon de procéder dans leurs relations avec l’Union Soviétique. Mais ce qui me déconcerte, c’est qu’il n’y a plus d’Union Soviétique, donc la question se pose, pourquoi ce, comme vous l’avez dit, ce soutien fanatique à Israël, la protection diplomatique, l’armement, le partage de renseignements, le soutien financier, les subventions qui sont accordés à Israël, qu’est-ce-que tout cela signifie ? Israël ne pourrait pas agir impunément, si on ne le lui permettait pas, c’est aussi simple que ça. Et qui le lui permet ? Les E-U tout d’abord et bien sûr l’Europe derrière les E-U. Mais pourquoi ? Pourquoi Israël est-il soutenu (à tord ou à raison) quoi qu’il fasse, aussi c’est une question très importante. Pourquoi est-ce ainsi ? Et j’en ai discuté avec Noam Chomsky, vous savez, et je lui ai demandé pourquoi les Etats-Unis soutiennent-ils Israël à fond, qu’est que ça signifie ? Y a-t-il un rapport avec le lobby, vraiment, le lobby israélien, qui en quelque sorte a saisi le contrôle du processus politique aux Etats-Unis, et il a répondu, non, il a dit que le lobby n’aurait aucun pouvoir, et, si la puissance impérialiste, c’est à dire les États-Unis ne pensaient pas qu’il lui était utile dans ses projets mondiaux, pas seulement dans la région, il m’a assurée, qu’il laisserait tomber Israël comme une vieille chaussette comme on dit, s’il ne jouait plus ce rôle, mais je vous dis, ça n’explique pas, avec tout le respect que j’ai pour lui, ça n’explique pas pourquoi un tel soutien.

- TA : Eh bien, je pense que vous avez raison, mais de manière assez curieuse, Noam a raison, mais de toute évidence, si les E-U voulaient, disons, démanteler le pays X au Moyen-Orient et que pour une étrange raison Israël ne coopérait pas et prenait parti pour l’autre camp, alors les Américains interviendraient, probablement, mais ce serait dans un cas extrême que ce genre de chose se produirait. Mais la question que vous avez posée à Noam Chomsky, à savoir pourquoi ils se comportent ainsi maintenant, on ne peut, à mon avis, y répondre sans comprendre à quel point la politique états-unienne et la politique israélienne sont liées , très proches l’une de l’autre, et un journaliste qui écrit, je crois, pour le New York Review of Books, Michael Massing, si je me souviens bien de son nom, a une fois mené une enquête dans laquelle il a dressé la liste de tous les républicains et démocrates qui émargent chez les Israéliens. Si c’est exact, Ghada, la question qui se pose, les Palestiniens, les Arabes palestiniens et Arabes non-palestiniens ne manquent pas d’argent, pourquoi n’ont-ils pas essayé d’acheter une cinquantaine de membres du Congrès, ou dix ou douze sénateurs, ils pourraient facilement le faire, pourquoi ne le font-ils pas, ils manquent d’imagination ou quoi ?

- GK : Non, non. C’est une question que nous, en tant qu’Arabes, nous sommes souvent posée, je crains que la réponse ne soit que les gouvernements de ces états arabes riches, qui sont en mesure de faire ce que vous suggérez, ces gouvernements , ces chefs d’état ne sont indépendants des Etats-Unis. C’est là où le bât blesse. C’est un problème bien connu en Amérique Latine, où dans le passé heureusement, mais certains encore de nos jours, œuvraient pour les Etats-Unis contre les intérêts de leur propre peuple.

- TA : Certains comme le Mexique, la Colombie continuent

- GK : Exact, bien que récemment et c’est tout à fait bienvenu, un certain nombre d’états se sont libérés de ces liens de servitude, notre problème dans le monde arabe, c’est que nous avons des états avec une grande influence en raison de leur immense richesse, qui sont engagés à servir les Etats-Unis, c’est choquant mais vrai, ainsi ils n’ont pas à cœur de défendre la cause arabe, ils n’ont pas à cœur la cause palestinienne, leur principale préoccupation est de rester au pouvoir et de combattre leur propre peuple, au cas où ils se soulèveraient, s’il leur prenait le désir de se libérer de ce type de régime, et il n’est guère surprenant par conséquent que pas grand chose ne soit fait, et que la seule chose qui soit faite, car il faut l’admettre il y a des militants aux Etats-Unis, et les Palestiniens sont très actifs mais leur ressources sont très limitées. Vous ne faites pas le poids avec les sionistes dans ce jeu, et vous savez c’est notre tragédie, que nous ayons ces états clients.

- TA : La première phase après la formation d’Israël vit une tentative totalement absurde de la part des dirigeants arabes de cette armée pitoyable, encadrée dans certains cas par les Britanniques, d’essayer de le faire refluer et ils ont échoué. La deuxième tentative fut l’opération menée par les Israéliens en cheville avec la France et la Grande Bretagne en 1956 pour renverser Nasser et il s’en est fallu de peu. Si les Américains ne les avaient pas repoussés, ils auraient pu réussir, ensuite est survenu la guerre de 67, et après la guerre de 67 la nation palestinienne a décidé nous n’allons plus dépendre de ces gens, nous allons dépendre de nos propres forces. L’Organisation de Libération de la Palestine prend son essor, d’autres groupes, le FPLP et d’autres groupes laïcs radicaux se forment, plus tard, beaucoup plus tard le Hamas est créé. Il y a donc eu un fort mouvement s’opposant à une dépendance totale des états arabes. Cette phase prit fin à mon avis, corrigez moi si je me trompe, avec la signature des Accords d’Oslo, lorsque l’OLP, pas le Hamas, décida que c’était fini, ils ont plus ou moins renoncé à la lutte. Feu Edward Said, notre ami, fit référence aux Accords palestiniens comme le Traité de Versailles du Mouvement palestinien. Il était très en colère, il fut dénoncé, et l’histoire lui donna raison, et depuis les Accords d’Oslo la situation s’est beaucoup aggravée, beaucoup, beaucoup, beaucoup, et nous sommes maintenant à un stade où la notion d’un état palestinien souverain, indépendant d’Israël, et indépendant dans tous les sens du terme semble une utopie. Donc, que faire maintenant ?

- GK : Permettez moi de faire un commentaire sur ce que vous avez dit, le renoncement comme nous pouvons l’appeler, commença de fait en 1988, lorsque l’OLP tint le ... , le Congrès National Palestinien s’est réuni à Alger, où il a déclaré que les Palestiniens dorénavant se battraient pour un état palestinien sur 20 à 22% du territoire palestinien originel, la soi-disant solution à deux états, et qu’Israël aurait 78%, et c’est là que commença vraiment le déclin, et vous savez souvent, j’ai été très généreuse en disant ceci, on peut comprendre pourquoi ils ont fait cela, parce que Israël est très fort, ils ne pouvaient pas, ils avaient conscience que, ils pensaient qu’ils ne pouvaient pas le renverser, donc pourquoi ne pas se contenter de quelque chose d’atteignable, peut-être,. Donc ce fut ce genre de raisonnement pragmatique qui en est responsable, mais c’est bien sûr ce raisonnement qui a fixé le cadre des Accords d’Oslo, c’est tout à fait exact, et vous avez raison les choses ont beaucoup, beaucoup empiré.

- TA : Et les Israéliens, en fait, ils savaient ce qu’ils voulaient obtenir des Accords, mais ils ont prétendu que les choses allaient s’améliorer, qu’ils allaient faire A, B et C, que les colons ne pourraient s’installer ici, etc….Et ils ont été amenés à faire cela à cause du succès de la 1ière Intifada et je me suis toujours demandé, Ghada, à supposer que les Israéliens, ce qu’ils ne voulaient pas faire, à supposer qu’ils aient négocié avec les dirigeants de cette Intifada au lieu des gars à Tunis, qui sait où nous en serions ?

- GK : Oui, c’est vrai, mais vous savez il y a un problème fondamental dans tout ça, vous savez, comme je l’ai en fait expliqué dans mon livre Married to another man, et je me suis donné beaucoup de mal pour l’expliquer, l’objectif de la solution à deux états n’est pas juste même si elle avait été réalisable, elle n’est pas juste du point de vue des principes, du point de vue de quelque chose que nous n’avons pas encore abordé, le droit au retour des réfugiés palestiniens, vous savez 6,5 millions de réfugiés dans des camps depuis 67 ans sans perspectives de solution et certainement pas de perspectives de pouvoir retourner dans leur patrie, qu’en est-il de ces gens ? Une solution à deux états les mettrait dans l’impossibilité pour toujours de rentrer chez eux, donc par conséquent, de mon point de vue, les dirigeants de la 1ière Intifada, oui ils auraient pu obtenir plus de la part des israéliens que ce qui en fait s’est produit, ils auraient pu obtenir davantage de concessions, plus de liberté pour faire certaines choses, mais cela aurait toujours été dans un contexte de séparation, les Israéliens n’ont jamais voulu que les Palestiniens viennent, vivent dans ce qui est appelé Israël proprement dit, ce pourrait être en enclave, peu importe, parce que comme je le dis c’est un problème fondamental, et vous savez ce que nous avons est pour moi absolument fascinant, ce que j’ai expliqué dans ce livre en faveur d’un seul état, j’y ai toujours cru, parce que dans un seul état, que nous partagerions avec les Israéliens juifs qui sont déjà là, le droit au retour devient valide, pas seulement, non pardon il devient réalisable, parce que les réfugiés pourraient alors venir, revenir dans un seul état. Il faut que je vous dise, lorsque je l’ai écrit, vous savez les arguments, les gens me disaient, non, non, ce n’est pas réaliste, ce n‘est pas accessible, etc .. mais l’ironie c’est qu’il est là, il y a un seul état maintenant

- TA : en effet

- GK : Exactement.

- TA : Et puis Ghada, les dernières décisions des Palestiniens qui vivent en Israël proprement dit, pour ainsi dire, qui se sont unis pour présenter une seule liste et qui sont représentés au parlement ont une plus grande représentativité, qu’ils en soient conscients ou non, mais certains doivent l’être, c’est de fait à mon avis un pas vers un état unique,

- GK : Je suis d’accord.

- TA : que cela plaise ou non aux Israéliens. Maintenant, Je voudrais vous citer un autre auteur mentionné dans votre propre livre, Benny Morris qui a été à l’origine, devait être un sioniste progressiste, mais qui est ensuite redevenu radical, et il dit que l’erreur qu’ont fait les sionistes, c’est d’avoir permis à des Palestiniens, à un seul d’entre eux de rester en Israël, qu’il aurait dû y avoir une épuration politique, totale de toute la terre d’Israël : et, puis il écrit « Si la fin de l’histoire s’avère être funeste pour les juifs, ce sera parce que Ben Gourion (le premier Premier Ministre d’Israël) n’a pas achevé le transfert en 1948. (cela veut dire les expulsions) Parce qu’il a laissé une importante et explosive réserve démographique en Cisjordanie et à Gaza et en Israël même ….. Dans d’autres circonstances, circonstances apocalyptiques, qui sont susceptibles de survenir dans cinq ou dix ans, je prévois des expulsions. Si nous nous trouvons dans une situation de guerre procéder à des expulsions sera totalement raisonnable. Elles pourraient même être essentielles… »
Voici l‘un des soi-disant historiens progressistes disant aux Palestiniens, dites un peu si vous continuez l’Intifada, nous pourrions nous débarrasser de vous tous, et ce n‘est pas une menace en l’air. Dans les faits, c’est ce qu’ils font avec les colonies, et ce qu’ils font à Jérusalem-Est, mais Ghada, que pensez-vous, je sais que c’est une question difficile, mais répondez-y brièvement parce que nous n’avons plus beaucoup de temps, comment voyez-vous cette partie du monde, Israël /Palestine dans 10 ou 20 ans ?

- GK : Quelle question difficile !

- TA : Impossible

- GK : Je vais vous dire, parce que …, c’est déjà un seul état, je pense que dans un avenir pas trop lointain cet état unique va devenir un champ de bataille pour l’égalité des droits, parce qu’en fin de compte les Palestiniens qui sont gouvernés par Israël, et dépourvus de droits vont revendiquer l’égalité des droits, et quand cela se produira il n’y aura plus d’état juif, parce qu’ils constituent la majorité démographique. Voilà comment je vois l‘avenir.

- TA : Merci beaucoup Ghada.

* Tariq Ali est un historien, écrivain, commentateur politique britannique d’origine pakistanaise. Il réalise, The World Today with Tariq Ali, programme hebdomadaire de commentaires politiques, culturels ou d’interviews sur le site anglophone du diffuseur vénézuélien teleSUR.

Octobre 2015 - teleSur - La vidéo peut être visionnée sur :
http://tariqalitv.com/portfolio/s2e...
Traduction : Info-Palestine.eu - MJB


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