16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Evolution du mouvement féministe palestinien

vendredi 12 mai 2006 - 15h:36

Ghada Hashem Talhami

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Le problème est réellement le contexte de l’occupation et de l’oppression. Je vous rappelle une déclaration de Amal Abdel Hadi... "Pour nous, femmes palestiniennes, l’ennemi n’est jamais l’homme palestinien - c’est l’homme israélien." Cela résume vraiment tout.

Lors d’ une réunion récente au Centre Palestine, la Dr. Ghada Hashem Talhami a pris la parole sur le statut des femmes en Palestine et sur la dynamique entre leur identité de femmes et plus largement, leur lutte nationale contre l’occupation. Parlant à l’occasion de la Journée internationale des Femmes (8 mars), Ghada Talhami a argumenté qu’on ne pouvait comprendre le féminisme palestinien qu’à l’intérieur du contexte de la lutte nationale palestinienne.

Ghada Talhami est l’auteure de plusieurs livres, qui incluent les réfugiés palestiniens : " Pawns to Political Actors " (Des pions pour les acteurs politiques) (Nova Science Publishers, 2003) ; " Syria and the Palestinians : The Clash of Nationalisms " (La Syrie et les Palestiniens : Le choc des nationalismes) (University Press of Florida, 2001) ; et " The Mobilization of Muslim Women in Egypt " (La mobilisation de femmes musulmanes en Egypte)(University Press of Florida, 1996).

Ghada Talhami a parlé pendant près de 40 minutes, et à la fin de son exposé, a répondu aux questions.
***

"Merci beaucoup. Mes remerciements au Centre Palestine ainsi qu’à l’ambassadeur et Mme Afif Safieh d’être ici ce matin. C’est en effet le sujet du jour, ce matin, et je suis contente que vous ayez trouvé le temps dans vos journées chargées pour être ici.

Avant toute chose, je pense que vous savez que les femmes palestiniennes ont une grande expérience historique dans la confrontation du patriarcat, de l’occupation et de toutes sortes de conditions négatives pour leur combat.

On pourrait dire que le féminisme des femmes alestiniennes a évolué au cours des générations et s’est développé au cours du temps. Chaque génération a contribué à sa façon à la lutte nationale.

D’ailleurs, nous ne craignons pas de dire que le nôtre a toujours été une sorte de féminisme nationaliste. Ce n’est pas vraiment un féminisme de classe ou de genre. Certaines personnes ne l’appelleraient même pas du tout du féminisme. D’après Elizabeth Fernea, une experte en femmes irakiennes, c’est vraiment une idéologie centrée sur la famille. J’entends par là, qu’il existe incontestablement une compréhension que le féminisme ne concerne pas le conflit de genre. Il ne s’agit pas d’un conflit entre hommes et femmes. C’est réellement un conflit entre les femmes et leurs conditions d’oppression, d’abord et avant tout en terme d’occupation. Occupation, occupation et encore occupation. C’est sous ces conditions qu’elles ont réellement vécu.

Nous avons toutes grandi sous les feux de la rampe du mouvement féministe américain. Dans les années 60, le mouvement féministe américain a apporté le sujet au premier plan des débats idéologiques aux États-Unis. Nous avons toutes grandi en sachant que cela faisait partie du ferment des années 60 aux USA. En effet, le mouvement féministe US a développé la notion que le monde entier souscrit à son analyse de ce que devrait être le féminisme. Je pense qu’un examen plus attentif de la situation palestinienne, comme la situation en Afrique du Sud jusqu ?à l’indépendance, prouve qu’il n’en est pas ainsi. Il prouve vraiment que le féminisme du tiers-monde, en tant que tel, est une forme de féminisme particulière et complètement différente ;

« Pour nous, femmes palestiniennes, l’ennemi n’est jamais l’homme palestinien - c’est l’homme israélien. »

Je voudrais vous rappeler les travaux des féministes afro-américaines Cheryl Odim Johnson et Bell Hooks [née Gloria Jean Watkins], qui avaient décidé pendant longtemps qu’il y avait quelque chose d’inhabituel dans ce féminisme américain - trop blanc, trop bourgeois, trop classes moyennes. Cela ne convient pas et ne s’applique pas aux femmes du tiers-monde. D’après Cheryl Odim Johnson, la forme de féminisme vieux jeu de Simone de Beauvoir, ou même de Betty Friedan, voudrait vous faire croire que la lutte réelle est au sujet du patriarcat. Ainsi la lutte est vraiment entre hommes et femmes, en d’autres mots, les femmes doivent se libérer du patriarcat et une fois qu’elles le font, elles peuvent vraiment avancer vers leur propre libération humaine. L’auteure féministe Bell Hooks franchit encore un pas en disant que le féminisme américain est un féminisme de genre très classes moyennes, qu’il est vraiment blanc et qu’il ne s’intéresse pas à des questions socio-économiques ou d’oppression.

En effet, le mouvement féministe américain a toujours insisté sur les droits électoraux, les droits politiques, l’éducation, le plafond de verre et la liberté sexuelle. Ces questions sont réellement hors de propos pour les femmes du tiers-monde, terriblement peu pertinentes. Ce qui est le plus important pour des femmes du tiers-monde est le contexte de leur oppression. Ce n’est pas le patriarcat. Le patriarcat joue un rôle, mais le patriarcat lui-même ou la situation de la famille, telle qu’elle est dans le tiers-monde - n’est pas une force aussi négative dans la vie des femmes comme voudraient nous le faire croire les féministes américaines. Les femmes dans les contextes du tiers-monde ont prouvé qu’elles sont capables de man ?uvrer et de réaliser une sorte d’espace à l’intérieur du patriarcat traditionnel.

Le problème est réellement le contexte de l’occupation et de l’oppression, qui d’ailleurs vise et les hommes et les femmes dans les sociétés du tiers-monde. Je vous rappelle une fameuse déclaration de Amal Abdel Hadi. Je ne sais pas si vous savez qui est Amal Abdel Hadi, mais à un moment donné, elle a été présidente de l’Union générale des Femmes palestiniennes. Elle assistait à une rencontre au Yémen et juste à côté d’elle était, l’Egyptienne ultra-féministe qu’on décrit souvent comme une féministe de style occidental qui insiste plus sur les droits individuels que sur les droits communautaires Amal Abdel Hadi s’est levé, et pointant Nawal Saadawi, elle lui a dit, « Pour nous, femmes palestiniennes, l’ennemi n’est jamais l’homme palestinien - c’est l’homme israélien. »

Cela résume vraiment tout. Pour nous, c’est l’homme israélien. Je crois qu’il en a été ainsi depuis longtemps.

Beaucoup de femmes palestiniennes ont grandi, en essayant littéralement de survivre, sous les différents régimes politiques du mandat britannique, la période jordanienne, plus tard dans les camps de réfugiés au Liban et en Syrie, et maintenant, bien sûr, en Palestine, qui n’est pas libéré, comme je suis sûre que vous le réalisez. Ce n’est pas une entité souveraine, libérée. Quand nous utilisons le terme entité, nous vous disons que ce n’est pas un pays libéré. Cela ne s’associe même pas au nom d’un état.

Donc, les femmes ont expérimenté de nombreux régimes. C’est pour cela qu’on peut distinguer les Palestiniennes à cause de la longue période de leur expérience. Au cours de ces expériences, nous avons vu de plus en plus de femmes radicales. Nous avons vu, avant tout, une génération de femmes bourgeoises de classes moyennes, vieux jeu, qui étaient de la famille des personnalités proéminentes dans le mouvement national palestinien avant 1948. L’idée centrale de leur militance était toujours dirigée vers des projets de bien-être social pour les familles victimes de guerres, de la période britannique à plus tard, pendant la Nakba en 1948, et encore plus tard après la guerre de 1967. En d’autres mots, les objectifs de ces femmes ont toujours été matériellement la survie d’autres femmes et la survie de la société, parce que « femmes » signifiaient en effet, « la famille » et ce que les femmes représentent dans la famille.

Plus tard quand l’Organisation de Libération de la Palestine apparut au Liban, le Conseil national palestinien, notre parlement en exil pendant de longues années - comprenait en réalité des sièges spéciaux, un quota, si vous voulez, pour l’Union générale des femmes palestiniennes (UGFP). Le UGFP a toujours été un cadre important de l’OLP. Je veux aussi vous rappelez que l’UGFP est la deuxième plus ancienne organisation de Palestiniens dans le monde. La plus ancienne organisation est l’Union générale des étudiants palestiniens, qui est née en Egypte. C’est l’organisation que feu le président palestinien Yasser Arafat a dirigé pendant des années, qu’il a réellement utilisé pour construire plus tard son appareil.

L’Union générale des femmes palestiniennes a commencé à Gaza et était en réalité la seconde plus ancienne des organisations palestiniennes. Il faut s’en souvenir. C’est pour dire qu’il est clair que les femmes palestiniennes ont un degré de conscience considérable sur la nature de la lutte nationaliste, qui les a poussé et catapulté en avant dans une position très importante.

Pendant les années sous l’égide du Conseil national palestinien, le reproche le plus important des femmes palestiniennes était l’absence d’autonomie fiscale. Elles se sont toujours plaintes que l’organisation de l’OLP ne leur permettait pas une man ?uvrabilité quand il s’agissait de leur argent et de leurs finances. D’autre part, je pense qu’elles étaient satisfaites de la forme de représentation qu’elles avaient au sein du Conseil national palestinien. Mais bien sûr, elles ne s’engageaient pas comme combattantes, à quelques exceptions près. Les exceptions sont quelques femmes dans les factions radicales, comme le Front de libération de la Palestine (PFLP) ; des femmes comme Leila Khaled et d’autres qui étaient engagé dans quelque chose que nous qualifierions de rôles féminins « d’atypique ». Mais la plupart des autres femmes étaient engagées dans le travail social, de nouveau dans les camps, soutenant la Société du croissant rouge palestinien et faisant du travail charitable.

De nouveau, laissez moi vous rappelez que le problème pour les Palestiniens est réellement la survie, la survie, la survie, la survie. Comment peut-on faire survivre des êtres humains après des années conditions de vie horribles au Liban, les guerres du Liban, d’autres guerres arabes dans différentes parties du monde arabe, etc.. C’est vraiment l’histoire des femmes palestiniennes. En effet, la guerre de 1967 a créé une nouvelle réalité pour nous par l’occupation de la Cisjordanie obligeant la société palestinienne toute entière à confronter l’occupant israélien de front.

Ce qui résulta de l’occupation de 1967 était vraiment intéressant. D’une part, il y avait l’action de femmes plus jeunes universitaires des factions de gauche du mouvement palestinien, qui étaient très soucieuses de préparer les factions plus pauvres à confronter l’hégémonie économique de l’occupant. Une fois la Cisjordanie occupée, les Israéliens l’ont utilisée comme source de main d’ ?uvre à bon marché et comme marché fermé pour les produits israéliens. C’était vraiment cela. Et ne l’oublions pas, une partie de cette main d’ ?uvre bon marché était constituée de femmes. Des femmes étaient transportées chaque matin en bus jusqu’aux lieux de leur emploi par des recruteurs israéliens et ramenées en bus le même soir chez elles parce qu’elles n’étaient pas autorisées à passer la nuit en Israël, pas plus que les hommes. Des femmes de Cisjordanie, qui n’avaient jamais travaillé avant sous aucune condition étaient à présent forcées d’accepter des emplois serviles dans le secteur israélien - même pas le secteur palestinien. Pensez-y. Qu’arrivait-il à leurs enfants, à leurs devoirs familiaux ? La tâche des femmes plus jeunes a été de voir comment créer un réseau - qui finalement devint des jardins d’enfants, pas plus - mais grâce auxquelles, au moins, on pouvait s’occuper des enfants pendant que les femmes étaient parties. C’est une des réponses.

L’autre réponse était d’enseigner aux jeunes femmes l’économique ou des négociations collectives - comment marchander avec les recruteurs israéliens. Bien sûr, ces travailleurs palestiniens n’ont jamais joui sur le marché israélien d’aucuns des avantages dont jouissaient les travailleurs israéliens. Les hommes et les femmes palestiniens étaient traités comme les travailleurs migrants dans notre pays, ici aux USA. C’est-à-dire qu’ils étaient payés à l’heure sans aucun avantage. Ils revenaient le soir chez eux pour trouver une myriade de choses à faire dans leur propre famille, c’était un gros problème.

Nous avons trouvé notre propre leader, Um Khalil

D’un autre côté, nous avons finalement trouvé notre propre leader - une leader palestinienne renommée - qui réagissait, je pense, à tous ces aspects négatifs de la situation palestinienne. C’est la réputée Samiha Khalil [Um Khalil], qui était en effet une institution en Palestine et qui s’est finalement présentée comme candidate à la présidence contre le président Arafat lors de la première élection palestinienne. C’était une femme formidable à tous points de vue. S’il y a eu une femme pour les Palestiniens, Um Khalil était véritablement la dirigeante des femmes palestiniennes.

Qu’y a-t-il d’inhabituel au sujet d’Um Khalil ? Samiha Khalil était une femme d’âge moyen quand elle est devenue connue. Elle avait terminé les Humanités, pas plus, et était une femme au foyer et une mère pendant une grande partie de sa vie. Plus jeune, elle a été institutrice et finalement elle se fixa en créant une institution de très grande envergure à Ramallah qui procurait des opportunités de formation et d’emploi pour des femmes désavantagées. L’institution n’avait qu’un but : les rendre indépendantes du secteur économique israélien. Pour elle, la perte de dignité subie par les femmes quotidiennement réclamait une autre forme de réponse.

Samiha Khalil, aux dires de tous, était une femme très conservatrice. Elle ne répondrait pas, je pense, au profil moyen de la dirigeante féministe typique. D’abord, elle était nataliste. Elle a toujours plaidé pour de grandes familles et poussé les femmes à avoir de grandes familles pour soutenir la révolution. Elle était une femme religieuse, mais très indépendante. Politiquement, elle ne se situait pas tellement à droite, mais je pense que ses croyances personnelles en faisaient une bonne Musulmane, une bonne femme musulmane. Elle faisait appel au monde des affaires à Naplouse, Ramallah et Jérusalem pour procurer un financement pour les mariages de jeunes filles orphelines pour qu’elles puissent avoir un mariage convenable.

Il était important pour elle de maintenir la dignité de ces femmes et de leurs familles. Une de ses plus importantes contributions consistaient à faire acquérir par ces femmes de nouvelles capacités comme couturières, esthéticiennes, la confection de conserves, etc. Ses institutions sont devenues effectivement des agences de marketing pour ces produits. Pour tout cela, l’intention était d’apprendre à ces femmes à se passer du secteur économique israélien.

D’ailleurs, Um Khalid est aussi devenue membre d’un comité dirigeant clandestin en Cisjordanie avant le retour de l’OLP en Cisjordanie, après Oslo. Um Khalil a été pendant de longues années la seule femme dans ce comité secret de 5 à 10 personnes, qui a vraiment déterminé la nature de la lutte en Palestine contre les Israéliens. Je pense que c’est un de ses accomplissements sur lequel on ne s’est pas beaucoup étendu.

Il existe quelques biographies d’Um Khalil. Je suis tombée sur l’une d’elles écrite par un Canadien, donc il existe des gens conscients (du rôle) de cette femme incroyable. Um Khalil a été en prison et on lui a interdit d’emprunter le pont vers la Jordanie pour visiter ses enfants devenus adultes. Elle avait des fils qui vivaient à Amman, mais les Israéliens ne l’ont jamais laissée y aller. Et quand le gouverneur israélien de Ramallah la convoquait chez lui, elle disait, « Il n’a qu’à venir me voir chez moi, Je n’y vais pas. » C’était, en effet, une femme formidable. Je l’ai toujours considérée comme mon idole. Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois, à Chicago, - elle n’a été autorisée à quitter le pays qu’une seule fois. Elle était très terre à terre, une femme, sel de la terre, qui, je crois, savait vraiment où étaient les priorités. C’était fantastique, réellement fantastique.

Il y a d’autres femmes dont vous devriez entendre parler qui sont aussi très importantes. Aujourd’hui, nous entendons beaucoup parler de l’initiative de démocratie du Président Bush, n’est-ce pas ? Il voudrait vendre la démocratie aux Arabes et la promouvoir dans le monde arabe. Malheureusement, pour lui et pour nous, c’est au mauvais message adressé à des gens non concernés, au mauvais moment pour ce message. Beaucoup de gens qui sont importants dans ces pays - c-à-d les penseurs, les écrivains, les intellectuels - ont dit : « Avant d’exporter la démocratie, nous aimerions qu’il pense à nos droits humains, à ce qui arrive aux Palestiniens, comment ils sont traités, à ce qu’il pourrait y faire, etc. C’est plus important que d’exporter la démocratie. » Mais prenons le au mot, disons qu’il existe véritablement un intérêt réel de la part du gouvernement US d’enseigner aux Arabes la démocratie et de faire avancer la cause des femmes. Nous avons vu Laura Bush [US First Lady] parler après l’invasion de l’Afghanistan, en faveur des femmes et contre le traitement des femmes par les Talibans. Très bien.

Que trouvons-nous ici ? C’était une question intéressante pour les Palestiniens. Ils avaient déjà expérimenté cette attitude pendant l’occupation israélienne, quand il n’y avait qu’une seule élection municipale. Cela se passait en 1974. Les Israéliens s’attendaient à ce que ces élections fournissent une fournée de maires amicaux qui travailleraient avec les Israéliens. A ce moment là, les Israéliens développaient des ligues de villages, leur propre version de collaborateurs mous qui travailleraient avec eux et rendre gérable la gouvernance de la Cisjordanie. Quand ils se mirent à préparer les élections de 1974, ils décidèrent de faire quelque chose pour les femmes. Ce sont les Israéliens qui le décidèrent, « Nous devons maintenant faire quelque chose à faire pour les femmes. Nous allons donner aux femmes le droit de vote, pour la première fois dans leur histoire. Bien sûr, les femmes n’avaient jamais voté pendant le régime jordanien, alors nous allons leur donner le droit de vote maintenant. » Il y avait toute une propagande centrée sur ce point.

Voulez-vous croire que les femmes palestiniennes ont rejeté ce droit dans un message tonitruant ? Elles disaient, « Nous n’acceptons aucun cadeau de la main de l’occupant. Nous le réaliserons nous-mêmes. » Et voulez-vous savoir qui a conduit cette campagne ? Vous serez surpris : Rowanda Tawil, Suha, la mère de Suha Arafat, qui était une journaliste et une militante bien connue. Je pense, quand le temps sera venu d’écrire sa biographie, que nous devrions nous rappeler de cette prise de position.

C’était vraiment une prise de position importante. Elle nous a appris quelque chose et devrait être mentionnée à cette administration aux USA, que ce n’est pas ainsi qu’on fait avancer la démocratie. La démocratie ne peut pas naître dans le contexte d’une occupation, dans un contexte où n’existent pas les droits humains. Ne croyez jamais que les femmes trahiront leur cause dans l’intérêt des droits de genre. Elles ne le feront pas. Elles resteront sûrement avec leur propre peuple avant toute autre chose. C’est ainsi que les choses se sont passées, et je pense que cela va continuer ainsi.

Depuis que l’Autorité nationale de la Palestine (AP) est arrivée au pouvoir sur la Cisjordanie et Gaza après Oslo, nous n’avons pas vraiment assisté à une grande amélioration du statut des femmes. C’est quelque chose que nous regrettons toutes, mais nous avons, bien sûr, aussi assisté à la dégradation de conditions résultant de l’oppression continue de l’AP elle-même. C’est-à-dire que nous faisons une grande erreur en assumant que l’AP était libre de faire ce qu’elle voulait. Elle est encore en train de lutter, poussée dans ses limites. Cela étant, si vous regardez aujourd’hui les statistiques, vous découvrirez que seulement 13% des postes de l’AP sont occupés par des femmes. C’est très, très peu.

Un poste seulement était réservé aux femmes - le Ministre du bien-être social , qui a été souvent occupé par Um Jihad [Intisar al Wazir] - la veuve de Abu Jihad [Fateh co-fondateur Khalil al-Wazir], le second en commandement après Arafat, s’il avait vécu. Elle était en effet une des femmes formidables de l’histoire palestinienne, qui a géré les comptes pour les martyrs, leurs familles et leurs enfants pendant des années. Elle était fondamentalement la Ministre du Bien-être social avant l’établissement de ce gouvernement en Palestine. Elle faisait cela depuis longtemps. Je ne pense pas qu’aucun homme en Palestine discuterait le fait qu’Um Jihad ne méritait pas d’avoir un poste au cabinet mais je pense que c’est vraiment une femme alibi. Nous devons faire plus. Nous devons étendre davantage la participation. Aujourd’hui nous voyons que le dossier de Jérusalem est tenu par une femme [Hind Khoury]. Une femme chrétienne, je précise, qui est aussi très intéressante.

Donc, il y a eu quelques minuscules améliorations, mais quand nous arrivons à la seconde Intifada, je pense que le tableau devient très sombre. Ce qu’on voit alors est la dégradation de la situation humaine de tous les Palestiniens. Il est très difficile de séparer en quoi cette situation affecte les femmes, des impacts sur la famille. Nous devons vraiment examiner la seconde Intifada et la détérioration des conditions de vie des Palestiniens qui l’ont accompagné avant de pouvoir parler de ce qui affecte les femmes palestiniennes. Cela va réellement ensemble. On ne peut pas séparer les deux.

Les femmes sous occupation élèvent leur perception de l’oppresion

Une des idées de Cheryl Odim Johnson, cette féministe afro-américaine est qu’une lutte sans fin a pour effet sur les femmes qui vivent sous une oppression, d’élever leur perception de l’oppression et les rend désireuses d’assumer des rôles masculins parce les hommes seront tués, emprisonnés ou exilés. C’est la situation que les Palestiniens ont toujours rencontré en grand nombre.

Un certain nombre de femmes sont devenues par les circonstances et involontairement cheffes de familles, alors que par définition, la patriarcat prétend toujours que les chefs de famille sont des hommes. Mais en réalité, les femmes ont assumé ce rôle en Palestine. A cause de l’élévation de la conscience de l’oppression, les femmes sont pris une orientation politique et s’y intéressent. Elles lutteront pour obtenir leurs droits politiques, mais elles veulent le faire dans le contexte de la lutte nationale. Elles ne peuvent pas séparer leurs droits de la lutte générale.

Quand vous pensez aux 25 000 Palestiniens qui ont perdu leur logement à Gaza comme résultat de la démolition de maisons - ce chiffre a été fourni par Peter Hansen, l’ancien directeur de l’ UNRWA [the United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East]- (l’agence de l’ONU pour les réfugiés au Moyen Orient) - et les 10 000 qui ont perdu leur logement à Rafah, de nouveau à la suite de démolitions de maisons, ce sont simplement des chiffres. Quand vous pensez aux +/- 65 femmes qui ont donné naissance aux checkpoints depuis le début de la seconde Intifada, à cause de l’impossibilité d’atteindre un hôpital ou une clinique, ou aux 11% de ménages qui vivent avec moins de 2 à 3 dollars par jour et dont le chef de famille est une femmes, réalisez combien est pénible la situation des femmes au Moyen Orient.

Le taux d’abandon d’études pour les étudiantes en Cisjordanie et à Gaza est proche de 45% à cause de la dégradation des situations de sécurité et économiques. A propos, la question de l’éducation et de l’accès aux opportunités éducatives pour les hommes et les femmes dans le monde arabe a toujours été une question de ressources. Quand les ressources étaient présentes, nos familles ont toujours fourni l’éducation aux filles, parfois plus qu’aux garçons. Quand il n’y avait pas de ressources, alors les garçons prenaient en réalité la préséance. Évidemment, les gens qui viennent de familles aisées, comme moi, n’ont jamais dû confronter le problème d’aller ou non à l’école ou à l’université. Pourtant, il y a des filles avec lesquelles j’ai été à l’école qui venaient de camps de réfugiés et qui ont dû abandonner parce que, s’il y avait un peu d’argent disponible, il servait aux garçons. C’est le genre de situation dans lequel vous vivez sous l’occupation et dans les horribles circonstances.

Aux dernières élections qui viennent d’avoir lieu - comme vous le savez, beaucoup d’entre nous ont été aussi surprises par les résultats que vous et autant que le Hamas, lui-même - 17 femmes ont été élues au Conseil national palestinien. Cela fait 17 sur 132 membres. Ce n’est pas mal. Cependant, je suis un peu ennuyée que les organisations et les partis politiques sur la gauche, plus éclairés, et plus progressistes, doivent encore adopter un programme spécifique concernant les droits des femmes.

Par exemple, la plate-forme de Badil - la liste alternative qui comprenait le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) et Hizb al-Shaabah (le Parti du peuple), un autre groupe de gauche - a émis des déclarations très spécifique sur Jérusalem. Elle appelait à l’arrêt des colonies juives à Jérusalem et à l’arrêt de l’isolement de Jérusalem du reste des zones arabes de Cisjordanie. Elle a des idées très spécifiques sur le Mur et appelle à faire du mur une priorité pour le futur gouvernement palestinien. Elle a des idées très élaborées pour que la branche exécutive du gouvernement soit responsable devant la branche législative du gouvernement. C’était des revendications spécifiques exprimées dans un langage politique spécifique.

Mais quand on arrive à la question des femmes, vous serez très désappointés. Tout ce que la plate-forme de Badil a dit était, « Nous nous engageons à ?uvrer à la réalisation de l’égalité pour les femmes et faire en sorte qu’elles participent de plus en plus à la prise de décision politique, et à ce que tous les codes soient réellement plus enclins à introduire des réformes. »Cela signifie quoi : la Charia ? D’autres codes ? C’était vraiment un langage très vague et c’est inacceptable, vraiment inacceptable.

Je crois que nous sommes en train de rater le coche en quelque sorte. Des situations radicales appellent des solutions radicales. Je pense qu’à un moment où la crise humanitaire des Palestiniens s’intensifie à un degré tel, il est de notre intérêt d’amener les femmes au premier plan. Peut-être, si ce n’est pour une autre raison, que cela prouverait au monde extérieur que nous avons une haute opinion de nos femmes, de leurs réalisations et de leurs contributions à la lutte. Mais, cela ne signifie pas que nous prendrons nos instructions du mouvement féministe américain ou du mouvement féministe internationale ; Je peux vous montrer des exemples où le mouvement féministe américain a été en dessous de tout dans leur appréciation ou leur compréhension de la nature d’une lutte de femmes du tiers-monde. Je vous donne deux exemples.

Un des slogans lancé tout le temps par Ms magazine est que la sororité est globale. Cela pouvait être pris dans deux sens différents - avant tout, que le patriarcat dont tout le monde se plaint, s’applique à la lutte des femmes palestiniennes, tout comme les femmes américaines et comme n’importe qui d’autre. Nous venons de prouver que ce n’est pas le cas. Que la sororité soit globale devrait aussi signifier qu’elles devraient éprouver de la sympathie pour la souffrance d’autres femmes dans le monde. Elles ne le font pas.

Il n’y a absolument pas une instance de NOW (L’Organisation nationale des femmes aux US) qui prennent position ou émette une déclaration contre la souffrance des femmes palestiniennes non plus. Je ne pense pas que nous attendons qu’elles prennent position sur la situation générale des Palestiniens, mais je pense au moins de femme à femme, si elles croient vraiment en une sororité globale, elles auraient dû faire une déclaration ou prendre position pour de meilleurs rapports humains pour ce secteur souffrant de la communauté palestinienne.

Je vous donnerai un autre exemple. Robin Morgan a été une éditrice de Ms Magazine et est un des grands noms de NOW. Il y a quelques années, elle a écrit un livre formidable appelé Demon Lover. Le livre, Demon lover, était en réalité le résultat de ses nombreuses interviews avec des femmes de Gaza et des camps de réfugiés au Liban. Quelque chose l’embêtait au sujet de ces femmes ; elle voulait savoir pourquoi elles avaient de si grandes familles.« Comment se fait-il qu’ellesnecomprennentpasqu’onnepeutpasavoir de si grandes familles et être libérées, » voulait-elle savoir. A Beyrouth, quand Robin Morgan approchait des familles très pauvres qui avaient 10 enfants et plus, elle était très contrariée. Elle leur demandait pourquoi et les femmes répondaient, « Un de plus pour la révolution. » En d’autres mots, elles comprenaient très bien que la plupart de leurs enfants mourraient. Si elles avaient de la chance, l’un d’eux survivrait pour la révolution. Robin Morgan n’arrivait pas à comprendre cela.

J’en donne moi aussi un de plus pour la révolution, ici. Robin Morgan refusait de croire que des conditions révolutionnaires ont un effet sur les fonctions natalistes des femmes dans toutes les sociétés - pas seulement parmi les Palestiniens. Même en Israël, où une femme qui a plus de 3 ou 4 enfants est l’objet d’une considération spéciale, on encourage les femmes à avoir de plus en plus d’enfants à cause de la question démographique. Mais elle a refusé de reconnaître cela parmi les Palestiniens - (cela montre) combien elle était peu capable de comprendre que cette situation exige plus d’enfants. Cette situation réclame quoi, comme nous disons communément parmi les Palestiniens, « Nous combattrons avec nos propres enfants. » Ils devront se battre, parce que la lutte des Palestiniens est générationnelle. Elle ne sera pas terminée demain. Elle prendra un long temps. Je crois que les femmes le comprennent mieux que les hommes.

Avant d’arrêter je veux encore parler d’une autre question que je suis sûre, vous avez à l’esprit. Chaque fois que je parle quelque part, des gens me demandent, « Des femmes israéliennes ont-elles tendu la main à des femmes palestiniennes ces dernières années ? » Après tout il y a quelques féministes israéliennes très convenables. Je rencontre certaines d’entre elles à différents rassemblements aux USA. Certaines d’entre elles, comme les Femmes en Noir se sont opposées à la politique de leur propre gouvernement depuis l’invasion du Liban et ont manifesté un désir très grand de contacter des femmes palestiniennes. Il y a eu quelques contacts, il me semble au niveau de l’élite. Ce sont des femmes dans des universités qui se parlent ou des femmes de l’échelon supérieur des organisations féministes de Cisjordanie et de Gaza qui ont parlé avec les femmes israéliennes.

Quel est le résultat de ce contact ? Zéro. Nous sommes tellement coincées dans le contexte de notre question nationale et elles sont tellement coincées dans le contexte de leur sionisme que nous ne pouvons jamais trouver notre terrain commun. Il n’y a pas de terrain commun. C’est pathétique. Nous avons réellement essayé de l’explorer, mais il n’y en a pas. Leur objectif, chaque fois qu’elles recherchaient ce genre de connexions, était d’adoucir en quelque sorte la réponse des femmes palestiniennes à la société israélienne. Eh bien, nous ne pouvons pas faire cela.

Nous ne le pouvons pas. Nous ne pouvons pas les voir comme des libératrices, ou comme des femmes engagées dans le même combat que nous, à moins qu’elles se séparent vraiment de leur société. Et nous ne pouvons pas nous séparer de notre propre société. Nous ne pouvons pas nous désengager de notre propre société - pas plus qu’elles ne peuvent se dégager de la leur. Il n’y a donc absolument pas de terrain commun.

C’est pourquoi c’est encore un autre aspect de l’expérience des femmes palestiniennes. Les femmes palestiniennes sont très expérimentées. Elles ont accumulé une expérience politique extraordinaire pendant ces années.

C’est pourquoi je n’ai pas peur d’un gouvernement du Hamas en Palestine ; je crois que nous savons comment traiter n’importe quoi. Nous savons comment nous comporter avec le patriarcat. Nous savons comment nous comporter avec l’occupation. Nous savions comment nous comporter avec le régime jordanien. Nous savions comment nous comporter avec les phalanges libanaises.

Notre communauté est une communauté féministe très expérimentée, et je pense qu’elle survivra. Je pense qu’elle gagnera. Je pense qu’elle survivra toujours comme partie intégrante de la lutte nationale palestinienne.

Merci beaucoup".

Ghada Hashem Talhami
Le Dr. Ghada Talhami est professeure de politique du Tiers-monde et d’études féministes au Lake Forest College , talhami@lfc.edu

Le Centre Palestine, Washington DC - 10 mars 2006 - (sous-titrage par la publication) - Traduction de l’anglais : Edith Rubinstein - A partir de la liste : fenwib@zamir.net


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