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Renouveau politique et nouvelle génération

jeudi 14 avril 2016 - 19h:46

Alaa Tartir

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Alaa Tartir est directeur de programme d’Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, et chercheur post-doctorant à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales et du développement, à Genève. Il a bien voulu répondre à nos questions.

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Alaa Tartir, est directeur de programme au réseau al-Shabaka : The Palestinian Policy Network

Info-Palestine.eu : Alaa, pouvez-vous rapidement vous présenter, ainsi que le réseau al-Shabaka (The Palestinian Policy Network. ) ainsi que ses objectifs ?

Alaa Tartir : Je m’appelle Alaa Tartir et je suis le directeur des programmes d’Al-Shabaka : le Réseau Politique Palestinien. Je suis palestinien, ma famille est originaire d’Al-Lydd, mais je suis né et j’ai grandi à Ramallah en Cisjordanie occupée. Après avoir terminé mes études à l’université Birzeit en Palestine, j’ai obtenu ma maîtrise d’Etudes en Développement International à l’université de Manchester au Royaume Uni, et mon doctorat d’Etudes en Développement International à la London School of Economics and Political Science (LES).

Depuis septembre 2015, j’effectue mes recherches post-doctorat et j’enseigne au Centre de recherche pour l’analyse des Conflits, le Développement et la consolidation de la Paix (CCDP) à l’Institut des Hautes Études et au Département d’Anthropologie et de la Sociologie du Développement, à Genève. J’ai écrit et publié de nombreuses études et articles universitaires, ainsi que des éditoriaux et des articles pour les médias, sur l’économie politique des processus de développement en Palestine, la sécurité et l’édification d’un état, la politique palestinienne, et le conflit israélo-arabe.

Mes publications peuvent être lues sur mon site web alaatartir.com et on peut me suivre sur mon compte twitter @alaatartir

Je travaille avec Al-Shabaka depuis quatre ans. Al-Shabaka, qui signifie littéralement « le Réseau », est un think-tank de politiques palestiniennes, sans murs ni frontières, qui vise à faire entendre à l’échelle mondiale une voix indépendante en matière de politiques palestiniennes. Al-Shabaka est le seul think-tank transnational indépendant pour la Palestine avec ses 150 analystes de politiques, dispersés sur six continents et dans plus de vingt pays.

Notre objectif principal est d’élaborer des stratégies pour la Palestine et de procurer une réflexion sur les politiques servant sa lutte nationale et ses droits à l’autodétermination et la liberté. Nous produisons des résumés de politiques d’avant-garde étayés de preuves et des commentaires, tous en arabe et en anglais, récemment traduits en français et en italien, sur des questions relatives à la société civile palestinienne, au développement économique, aux réfugiés, à la politique et les négociations de paix . Toutes nos publications sont disponibles sur notre site Al-shabaka.org

Info-Palestine : Nous souhaitons vous interroger tout d’abord sur la question des organisations politiques en Palestine occupée. Sans tenir compte de leurs représentativité, comment classeriez-vous ces organisations ? Quels sont les critères pertinents pour les différencier ?

Alaa Tartir : A ce jour, les partis politiques palestiniens sont principalement divisés en trois groupes : religieux, laïques nationalistes, et progressistes de gauche. En plus des différences idéologiques, les critères qui permettent de distinguer les différents partis politiques dépendent de leur position sur l’avenir de la Palestine, les Accords de Paix d’Oslo, le rôle de l’Autorité Palestinienne, les stratégies de résistance, la résistance armée et les pourparlers de « paix », le rôle de la religion dans la vie quotidienne, le rôle de la religion dans la construction de l’état, le droit et le contrat social, les programmes économiques et sociaux, le rôle des femmes et la justice sociale, et les liens régionaux et mondiaux.

Depuis la création de l’Autorité Palestinienne, la notion de « parti gouvernant » fut ajoutée à la liste des catégories qui plongèrent le Fatah, et ultérieurement le Hamas, dans une crise identitaire et nationale. L’âge d’or de la gauche palestinienne prit fin avec l’effondrement de l’Union Soviétique et la fin de la Première Intifada. Depuis lors la gauche palestinienne n’a fait que décroître, ce qui s’accompagne de conséquences politiques et sociales. L’érosion de la gauche palestinienne a été compensée par la montée de l’islam politique et l’émergence du Djihad Islamique et le mouvement de résistance islamique, Hamas.

Ces mouvements islamiques se sont graduellement transformés de mouvements et groupes sociaux en partis politiques et factions de résistance avec une aile militaire. Leur idéologie met en évidence le rôle central qu’occupe la religion dans leurs stratégies et comportements quotidiens et son incidence sur leur programme social régressif. Leur stratégie de résistance armée, au moins jusqu’en 2006, était une caractéristique clé qui les différenciait par exemple du Fatah, parti laïque nationaliste.

Au cours des dix dernières années, toutefois, le Hamas a subi des changements spectaculaires quant à ses stratégies et outils et s’est éloigné de sa Charte, chose que les cercles occidentaux d’élaboration de politiques généralement ignorent. Le Hamas de 2016 est différent du Hamas de 1996 sur le plan politique. Finalement, le Fatah a radicalement changé dans ses stratégies et principes, et de parti révolutionnaire il s’est transformé en « parti gouvernant » dominé par son leader suprême.

La confusion entre le Fatah et l’Autorité Palestinienne a fait du tort au parti lui-même et à la lutte nationale palestinienne. En qualité de « parti gouvernant », il était impossible pour le Fatah d’accepter la défaite électorale de 2006, ce qui s’est traduit par une fracture intra-palestinienne, pour laquelle maintenant le Fatah et le Hamas se partagent également la responsabilité.

Info-Palestine : Dans le contexte d’une occupation israélienne qui perdure depuis des décennies, le mouvement national palestinien a connu plusieurs phases. Mais ce que l’on considérait en général comme le mouvement laïc, voir marxiste, et qui s’était fortement développé dans les années 60 et 70, est-il encore aujourd’hui représenté dans des organisations comme le Fatah et l’OLP ?

Alaa Tartir : En effet jusque la Première Intifada, les principes laïques, progressistes, socialistes et marxistes dominaient dans la sphère et la vie politiques palestiniennes. De nos jours, ce n’est plus le cas. Maintenant, la popularité des principes marxistes est très, très faible, même si un petit nombre de partis de gauche palestiniens s’en réclament encore. Quant au Fatah, il est dirigé par un ensemble composite de principes qui changent en fonction de la période et de la conjoncture politique.

L’OLP, qui en théorie mais pas en pratique, est le seul corps politique représentant légitimement les Palestiniens, est dirigé par la direction laïque nationaliste du Fatah. Ni le Hamas, ni le Djihad Islamique ne sont représentés dans l’OLP, et la représentation de la gauche palestinienne et des autres petits partis dans l’OLP est plutôt de l’ordre du cosmétique avec une influence proche de zéro sur ses réelles décisions.

Le style de gouvernance au sein de l’OLP et dans le système politique palestinien dans son ensemble demeure personnel et dominé par une très petite partie de l’élite politique. Donc pour faire court, ni le Fatah, ni l’OLP ne se définissent par des principes laïques ou marxistes. La réalité, c’est que leurs principes de facto suivent la « mode » de la scène politique et changent en fonction des conditions et circonstances régionales et mondiales. Quels que soient les principes qui gouvernent ces partis, une chose est claire, c’est qu’ils ont profondément déçu le peuple palestinien au cours des quelques dernières décennies.

Info-Palestine : L’apparition d’une composante islamique politiquement structurée remonte à la première Intifada palestinienne. Dans quelle mesure considérez-vous le Hamas et le Jihad islamique (pour s’en tenir aux deux composantes principales) comme étant des organisations politiques ? Quel serait l’originalité et la part du facteur religieux dans leur charte ou programme ?

Alaa Tartir : A ce jour, le Hamas et le Djihad Islamique sont des organisations et partis politiques. Ils ont, en effet, débuté comme prestataires de services sociaux et quelques services publics avec un programme idéologique clair. Mais ils se sont transformés d’organismes sociaux en partis politiques qui entretiennent des groupes armés et une aile militaire, et ont ultérieurement dirigé des institutions gouvernementales (dans le cas du Hamas).

Alors que le Djihad Islamique est resté fidèle à ses principes et a refusé de rentrer dans le jeu politique officiel palestinien, le Hamas lui est maintenant complétement dedans. Le Djihad Islamique demeure proche de sa charte et de ses principes fondateurs, mais pas le Hamas. Notamment à partir de 2006, le Hamas a tristement/ heureusement accepté les règles fondamentales du jeu politique, et a même déclaré son acceptation d’un état palestinien dans les frontières de 1967, ce qui constitue un changement radical dans la position du Hamas.

Quant au rôle de la religion, les deux partis se définissent à l’aune de principes religieux ainsi que par leur combat pour faire aboutir le droit des Palestiniens. Donc la religion est le pilier principal de leur programme social et politique, la clé de leur conception de la société, des règles de gouvernement et le rôle de la religion en politique.

Ceci ne signifie pas toutefois que le Hamas et le Djihad islamique ne soient que des groupes religieux, ce sont des groupes politiques avec un programme religieux et des objectifs nationaux. Depuis 2006, ces partis sont les plus populaires à Gaza et en Cisjordanie comme en témoignent les élections de 2006.

Info-Palestine : Il est largement convenu que le processus d’Oslo a impacté l’homogénéité des Palestiniens, les divisant entre ceux qui refusent et ceux qui acceptent ce projet de « délégation » de la charge de l’occupation sur les Palestiniens eux-mêmes et les donateurs au niveau international. Cette fracture est-elle au coeur de la division qui prévaut aujourd’hui entre les organisations palestiniennes ?

Alaa Tartir : En effet le processus et les Accords d’Oslo sont les principales raisons responsables de la fragmentation palestinienne. Ils ont créé un clivage fondamental dans la société et le système politique palestiniens, ce phénomène a même été vu par des intellectuels critiques comme le « début de la fin de la lutte nationale palestinienne ».

La création d’un nouvel organe politique, agent de sécurité et employeur à la suite des Accords d’Oslo, l’Autorité Palestinienne, a eu des conséquences préjudiciables sur la lutte palestinienne pour les droits et la liberté étant donné qu’elle a de fait coopté, marginalisé et remplacé l’OLP. Ceci s’est traduit par des changements majeurs dans le programme politique et la représentation du peuple palestinien. Toutefois, la division interne palestinienne existant aujourd’hui n’est pas le fait du processus d’Oslo en soi, mais plutôt le fruit de la concurrence pour l’autorité « fantôme » à laquelle le processus d’Oslo a donné naissance.

La division palestinienne interne est maintenant ancrée dans la « jouissance du pouvoir » que le Fatah et le Hamas exercent et les avantages économiques qu’ils en retirent en plus du dynamisme régional dont ils font partie. Ce qui divise le Fatah et le Hamas, ce ne sont pas des divergences idéologiques ou même politiques ou stratégiques en matière de résistance, mais ce sont des calculs personnels et factieux étroits qui nuisent au peuple palestinien en Palestine et en exil.

Info-Palestine : De par leur stratégie plus radicale, en liaison avec différentes tactiques de résistance incluant le recours aux armes, ne peut-on considérer que les organisations de la résistance islamique ont sauvegardé, dans le contexte d’Oslo, les fameuses « constantes » palestiniennes dont le droit au retour pour tous les réfugiés ?

Alaa Tartir : Selon le point de vue de beaucoup, on peut dire que les organisations de la résistance islamique, par leur persévérance et par le fait d’avoir empêché la liquidation des objectifs nationaux, ont un meilleur bilan à présenter que le Fatah. C’est principalement dû à la stratégie de résistance adoptée par l’organisation de la résistance islamique [le Hamas], et nous en avons pour preuve les résultats des élections de 2006 ainsi que de nombreux sondages.

Mais les organisations du Fatah et du Hamas, ont également fait le plus grand tort aux fameuses « constantes » palestiniennes, en divisant le peuple palestinien et en affaiblissant ses capacités à résister, négocier, et faire appliquer ses droits.

Aussi, il ne devrait pas seulement être question de préserver les « constantes », mais également de construire sur ces « constantes » pour faire respecter les droits des Palestiniens. Et sur ce point, nous pouvons conclure avec certitude que les deux organisations ont failli. Quant au droit au retour pour tous les réfugiés, ni le Fatah ni le Hamas n’ont fait quoi que ce soit de concret pour assurer la réalisation de ce droit.

En effet, ils le font dans leur rhétorique mais pas dans leurs actions réelles. Il peut même être dit qu’en raison de leur clivage tout au long de ces dix dernières années, les réfugiés Palestiniens n’ont jamais été aussi loin de pouvoir retourner chez eux.

Info-Palestine : Est-il réaliste, dans le contexte d’une occupation particulièrement brutale, prédatrice et incapacitante, de vouloir tenir des élections, organiser une vie démocratique dans le cadre de laquelle des organisations politiques pourraient pleinement jouer leur rôle ?

Alaa Tartir : Le principal problème avec les élections qui ont eu lieu en Cisjordanie et Gaza en 1996 et 2006, c’est qu’elles ont complètement ignoré et mis sur la touche plus de la moitié des Palestiniens : ceux qui vivent dans la Diaspora et l’exil, et ceux qui vivent en Israël. Ainsi les paramètres qui s’appliquent aujourd’hui - et particulièrement depuis les accords d’Oslo - ne favorisent pas la mise en place d’un système ou de structures politiques représentatifs et responsables.

Et ces élections renforceront le rôle « prédominant » de l’Autorité Palestinienne au détriment de celui de l’OLP, à moins que n’aient simultanément lieu des élections sur des bases différentes pour les institutions de l’OLP et les différents corps représentatifs, ainsi que dans les communautés palestiniennes de la Diaspora. Seule une rénovation fondamentale du système de représentation permettra qu’un système politique et ses structures puissent bénéficier aux Palestiniens pour imposer leurs droits politiques et civiques.

Info-Palestine : Assistons-nous à une crise de représentativité de ces organisations dans la société palestinienne ? Sont-elles dans une situation de rupture de fait avec la jeunesse, qui paie un prix si élevé dans le soulèvement actuel ? Faut-il s’attendre à l’apparition prochaine de nouveaux dirigeants, dans un cadre organisationnel différent ?

Alaa Tartir : Oui, nous sommes les témoins d’une crise de représentativité et de légitimité. Cette crise n’est pas particulièrement nouvelle mais elle s’approfondit au fil du temps et l’actuelle vague de révolte, qui a commencé en octobre 2015, met au défi les différents partis politiques et leurs directions. Comme je l’ai écrit dans un récent article d’opinion : « Les derniers mois [de la vague de colère] ont montré combien faibles et illégitimes sont les partis politiques palestiniens à travers tout le spectre de la classe politique. Ces partis politiques ’historiques’ n’ont pas fourni ni la représentation institutionnelle ni l’appui politique nécessaires à la jeunesse palestinienne qui, dans une vague de colère, se révolte contre les multiples sources d’oppression.

« Ils ont échoué à mobiliser les masses, n’ont pas su fournir à la jeunesse en révolte l’éducation politique et l’espoir en l’avenir si nécessaires, et n’ont pas su contester les appareils de sécurité et les décisions politiques de l’Autorité Palestinienne (AP). Quelques partis semblent même indifférents à se lancer dans la lutte nationale pour les droits politiques et civiques, et semblent en lieu et place plus désireux de maintenir le statu quo de l’occupation militaire.

Ces multiples échecs s’expliquent non seulement par les dysfonctionnements et l’inefficacité de ces partis, mais également par leur absence de volonté politique et par le fait que leurs directions, et probablement aussi leurs programmes politiques, sont considérés comme illégitimes et sans pertinence par le peuple palestinien.

« La faiblesse des partis politiques traditionnels n’est pas un facteur exogène, mais plutôt le résultat d’une transformation interne qui s’est produite dans nos structures et nos programmes politiques, et dans notre style de gouvernance. Ces transformations se sont en particulier imposées depuis 2007, à la suite du clivage intra-palestinien, du renforcement des pouvoirs respectifs en Cisjordanie occupée et dans la Bande de Gaza assiégée et occupée. »

Quant à l’émergence de nouveaux dirigeants, comme je l’ai développé dans un autre récent article d’opinion, en effet « une nouvelle et différente génération de Palestiniens est en train d’émerger. Cette génération dispose de nouvelles visions, de nouveaux objectifs et de nouveaux outils. Alors qu’une partie de cette génération se révolte dans les rues de Palestine, une autre composante (bien que moins visible que la jeunesse en révolte) élabore de nouvelles stratégies pour la lutte et met en service ces stratégies, au niveau local et international…

Cette génération non seulement n’en peut plus de l’occupation israélienne et de ses politiques coloniales, mais elle est également saturée d’un leadership palestinien illégitime et peu représentatif. Toutes ces composantes de la jeunesse sont écœurées et lasses des échecs à répétition, et elles réfléchissent et agissent pour se rapprocher du moment où leurs droits seront respectés. »

Info-Palestine : L’OLP pourrait-elle encore et à quelles conditions jouer un rôle fédérateur entre les courants politiques en Palestine ? Ou faut-il un complet changement de paradigme ?

Alaa Tartir : Si l’OLP veut retrouver son rôle de représentant unique du peuple palestinien, un certain nombre de conditions préalables doivent être remplies et celles-ci l’obligeraient à un changement complet de paradigme. La direction actuelle n’est ni intéressée ni disposée à rétablir le rôle initital de l’OLP, puisque les dispositions et les règles du jeu d’aujourd’hui vont dans le sens de ses intérêts.

Ainsi, en théorie, oui... l’OLP pourrait jouer un rôle important si elle était clairement rénovée et reformée, avec une refonte de son programme politique, de ses structures de direction et des partis qui la composent. La domination d’un parti sur l’OLP est ce qui doit en priorité être évité, comme les pratiques antidémocratiques qui ont régi cette organisation pendant des décennies.

Les Palestiniens ont un besoin désespéré d’une organisation qui les fédère, les représente, leur donne légitimité et efficacité. Mais les structures et les institutions de l’OLP telles qu’elles sont à ce jour ne peuvent servir ces objectifs. Un travail sérieux est nécessaire pour reformer le régime politique palestinien et permettre à l’OLP de jouer un rôle majeur et constructif.

Info-Palestine : Par peuple de Palestine, nous comprenons les Palestiniens des territoires occupés par les Israéliens depuis 1967, la Diaspora – c’est-à-dire les survivants et descendants des nettoyages ethniques qui se sont succédé depuis 1948 – et les Palestiniens disposant d’une nationalité israélienne. Est-il envisageable, réaliste, souhaitable, qu’à l’avenir cette division spatiale soit dépassée par une ou plusieurs formes d’organisations communes ?

Alaa Tartir : C’est un objectif majeur. Historiquement comme dans la période présente, la fragmentation du peuple palestinien est l’une des raisons principales de sa faiblesse. C’est un élément clé qu’Israël a toujours très bien su exploiter pour maintenir son occupation et sa domination coloniales. Si les Palestiniens veulent faire appliquer leurs droits, alors l’action collective est la solution. Ceci préservera également leur identité et renforcera leur position dans tous pourparlers de « paix » à venir.

Pour être légitime et efficace, toute nouvelle direction se devra d’agir au nom des 12 millions de Palestiniens et non seulement au nom d’une fraction de ceux-ci. Établir des liens entre tous les Palestiniens, où qu’ils soient, fait aussi partie du rôle d’une OLP rénovée. C’est seulement par des liens fonctionnels et réels partout dans le monde, que les Palestiniens avanceront vers l’application du droit au retour, vers la réalisation de leurs droits.

Info-Palestine : La campagne BDS [Boycott, Désinvestissement et Sanctions] ...]est-elle aussi centrale en Palestine même qu’elle ne tend à le devenir dans le mouvement international de solidarité ? Peut-on penser - et espérer - qu’un jour prochain, un mouvement national unifié palestinien s’appuiera sur un mouvement de solidarité fédéré au niveau international ?

Alaa Tartir : Comme j’ai déjà eu l’occasion de le développer, le mouvement BDS à l’initiative de la société civile palestinienne impose ses conditions et propulse les Palestiniens « à la place du conducteur » pour leur lutte nationale et leurs droits civiques et politiques. Cette campagne gagne sa légitimité à travers ses succès et ses actions concrètes, et sans user d’une rhétorique vide de sens à l’image de celle de l’Autorité Palestinienne. Le mouvement BDS redonne du sens et une valeur réelle aux notions de revendications politiques et d’actions collectives.

Le sens et la réalité de l’appropriation populaire d’un des outils pour la lutte d’autodétermination, sont un facteur clé qui explique le succès, la légitimité, et le rôle influent de la campagne BDS. Comme je l’ai expliqué, « le rôle influent du mouvement BDS et les succès qu’il a engrangés sont dus non seulement au mode de formation de la direction du mouvement ou à ses principes et objectifs fédérateurs et exhaustifs, mais également à l’intégration d’un des outils pour la lutte d’autodétermination, preuve historique de l’efficacité de tels outils pour assurer la justice, et preuve des évolutions et transformations dans l’opinion publique au niveau mondial sur le conflit palestino-israélien.

La croissance du mouvement international de solidarité, qui agit en harmonie avec les priorités et les appels des Palestiniens de société civile, est un exemple qui nous inspire d’une collaboration globale pour la réalisation de droits universels ».

Le mouvement BDS a foi dans le pouvoir du peuple, et il agit en conséquence. Le mouvement BDS est un des premiers exemples de quelles doivent être les relations entre occupés et occupants : des relations basées sur une confrontation permanente pour imposer ses droits. C’est pourquoi elle constitue une importante source d’espoir pour les Palestiniens, en Palestine comme en exil.

* Alaa Tartir est directeur de programme d’al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, et chercheur post-doctorat à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales et du développement, à Genève.

Du même auteur :

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- Le soulèvement de la jeunesse palestinienne et le rôle des organisations politiques - 18 décembre 2015
- Le départ d’Abbas changerait-il quoi que ce soit ? - 8 septembre 2015

11 avril 2016 - Propos recueillis et traduits de l’anglais par : Info-Palestine.eu - MJB, CZ


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