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Comment l’Etat Islamique apprend de ses défaites

lundi 28 mars 2016 - 07h:37

Patrick Cockburn

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Dans les années à venir, la guerre en Irak pourrait plus ressembler à la guerre en Afghanistan.

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Dans les combats avec L’État islamique, la ville de Ramadi a été quasiment détruite par les bombardements. C’est très probablement ce qui attend la ville de Mossoul

Lorsqu’elles tiennent des positions fixes et identifiables, les forces de l’État islamique ne peuvent résister aux attaques terrestres soutenues par d’immenses frappes aériennes de la part de l’US Air Force ou, dans le cas de l’armée syrienne, la Russie.

Le dernier État sunnite fondamentaliste extrême du grand Moyen-Orient l’a découvert à ses dépens en 2001, lorsque les frappes aériennes des États-Unis, en soutien à l’Alliance du Nord numériquement plus faible, ont renversé les Talibans en Afghanistan. A l’instar des Talibans afghans, Daech pourrait en revenir progressivement à la guérilla urbaine, dans laquelle il est mieux en capacité d’utiliser ses combattants très engagés et très bien entraînés sans subir de lourdes pertes.

L’État Islamique est soumis à une pression militaire croissante de la part de ses nombreux ennemis, sur de nombreux de fronts. L’armée irakienne, soutenue par les forces aériennes américaines, a repris Ramadi, la ville que les combattants de Daech avaient prise en mai dernier lors de leur plus grande victoire de 2015. A la frontière opposée du califat autoproclamé, les Kurdes syriens menacent l’emprise de Daech au nord d’Alep et dans ces parties de la Syrie septentrionale que L’État Islamique contrôle toujours.

Se pourrait-il que la chance ait finalement tourné de façon irréversible contre l’État Islamique ? Partout, il se bat contre des forces terrestres soutenues par des frappes aériennes, ce qui signifie qu’il subit de lourdes pertes tandis que les troupes qui lui sont opposées sont indemnes.

Cela a été démontré durant le siège d’un mois et demi de Kobané, cette ville située au nord de la Syrie, dans lequel Daech aurait perdu quelque 2200 hommes, tués principalement par des bombes et des missiles. La ville a été détruite à 70%, et la même chose pourrait être vraie pour Ramadi, qui a été touchée par quelque 600 frappes aériennes depuis juillet dernier.

Au premier semestre de 2015, l’État islamique disposait de plusieurs atouts qu’il a désormais perdus dans cet enchaînement de défaites. Il disposait alors d’un accès facile à la Turquie, au passage frontalier de Tal Abyad que les Unités de protection du peuple kurde syrien (YPG) ont pris en juin dernier.

Daech peut toujours déplacer les personnes et les approvisionnements à travers une bande étroite à la frontière ouest de l’Euphrate, mais les Forces démocratiques syriennes (en fait, les YPG légèrement diluées par des Arabes sunnites et des Chrétiens) ont pris le barrage de Tabqa sur l’Euphrate, le 23 décembre dernier, menaçant ainsi toute la position de l’État Islamique au nord d’Alep.

Le soutien aérien russe à l’armée syrienne signifie qu’il est maintenant beaucoup plus difficile pour Daech de remporter des victoires faciles, telles que la prise de Palmyre en mai dernier. Les frappes aériennes russes ne veulent pas dire que Bachar el-Assad va gagner, mais elles signifient vraiment qu’il a peu de chance de perdre.

Les succès de l’État islamique en 2014 étaient en grande partie le résultat de la faiblesse de ses ennemis, qui se désagrégeaient lorsqu’ils étaient attaqués par les forces beaucoup plus petites de Daech. Il était alors concevable, sinon probable, que le règne d’Assad s’effondre sous la pression et que L’État Islamique en soit le bénéficiaire. Ce n’est plus le cas.

L’intervention russe a causé des dégâts à Daech et aux autres groupes djihadistes d’une autre façon : elle a stimulé l’action militaire américaine en Irak et en Syrie. Washington a bien fait comprendre que les Américains n’ont aucunement l’intention de coopérer avec la Russie pour détruire l’Etat Islamique.

Mais la rivalité entre superpuissances lors de la Guerre Froide n’eurent pas toujours des effets négatifs, et les États-Unis ont accru le poids de leurs frappes aériennes contre l’État Islamique, en soutien, avant tout, à l’armée irakienne et aux Kurdes syriens et irakiens. De plus, les frappes aériennes - combinées à la chute du prix du pétrole - ont largement détruit l’économie pétrolière de Daech, auparavant sa première source de revenus.

Mais il est trop facile d’imaginer que ces défaites et ces revers signifient que Daech est en phase terminale. Il est vrai que dans un discours que le Calife Abou Bakr al-Baghdadi a rendu public le 26 décembre, ce dernier reconnaît implicitement, voire de façon provocatrice, que les choses ne vont pas bien. Il a dit : « Ô Musulmans, ne vous inquiétez pas, votre État va bien et s’étend chaque jour, et avec toutes les rudesses qui l’accompagnent, il élimine les hypocrites et les espions et devient plus solide et plus fort ».

L’expansion dont il parle, à supposer que cette référence ne soit pas purement théorique, se réfère vraisemblablement à la Libye, au Sinaï, au Yémen, au Nigeria et aux autres pays où l’État Islamique s’est enraciné.

Malheureusement, il y a des limites aux progrès militaires des quatre principales forces terrestres opposées à Daech, l’armée irakienne, les YPG, les Kurdes irakiens et l’armée syrienne. Elles ont toutes avancé ou remporté des victoires locales parce qu’elles étaient soutenues par d’intenses frappes aériennes.

L’État Islamique sait qu’il perdra toujours s’il livre des batailles et mène des sièges où ses combattants peuvent être facilement pris pour cible. C’est la leçon de la bataille de Ramadi et sur d’autres fronts, en Syrie et en Irak, au cours de l’année dernière.

Mais l’État Islamique a appris de ses défaites. Il n’a pas engagé un grand nombre de combattants pour livrer une dernière bataille condamnée d’avance à Ramadi, Sinjar, Tal Abyad ou à la base aérienne de Kweires, à l’est d’Alep. Aussi important qu’ait pu être pour le Califat le poste frontalier de Tal Abyad avec la Turquie, il n’y avait peut-être que 25 combattants pour le défendre lorsqu’il a été pris par les YPG.

Les Etats-Unis ont déclaré que dans les dernières phases des combats, l’État Islamique avait réduit ses forces dans la ville à 250/350 hommes, et la plupart d’entre eux ont filé avant la fin. L’État Islamique revient à la guerre de guérilla, dans laquelle il peut mieux employer les tactiques d’attaques surprises et d’embuscades menées par des petites forces rapidement assemblées.

Il existe une raison pour laquelle de telles tactiques auront toutes les chances d’être particulièrement efficaces dans la guerre actuelle. L’État Islamique se bat contre des armées numériquement faibles, lesquelles ont un nombre encore plus limité de troupes de combat qui peuvent être déployées. A Ramadi, l’armée irakienne a utilisé sa « Division Dorée » et ses meilleures unités, mais la puissance aérienne des États-Unis a été cruciale pour remporter la victoire.

L’armée irakienne dispose de quelque 50.000 hommes répartis dans cinq divisions, et ceux-ci sont de qualité variable. Les YPG revendiquent un nombre similaire de soldats, mais le chiffre réel est probablement plus faible. A Sinjar, les Peshmergas kurdes irakiens semblent avoir agi comme une force de nettoyage, où, une fois encore, Daech a battu en retraite plutôt que de livrer une dernière bataille coûteuse perdue d’avance.

Il y a un développement supplémentaire dans cette guerre qui œuvrera en faveur de Daech : les forces anti-Daech sont peut-être capables de gagner des territoires mais elles ne peuvent pas nécessairement les tenir.

Alors que les ennemis de l’Etat islamique avancent, ils se retrouveront de plus en plus en opération dans des zones peuplées d’Arabes sunnites, où le soutien à l’État islamique et l’hostilité contre les forces non-sunnites ou non-arabes seront les plus forts. Ce sera vrai pour les Kurdes et, peu importe leur revendication d’être non-sectaires, pour les armées irakienne et syrienne.

Les haines communautaires ont atteint un tel niveau en Irak et en Syrie que l’occupation par une force armée arabe non-sunnite pourrait provoquer une réaction en faveur de l’État islamique.

Le parallèle avec l’Afghanistan peut être poussé trop loin, parce que l’État Islamique a toujours accordé une importance politique et religieuse particulière à son emprise territoriale, des territoires où il peut faire régner sa loi et où les gens peuvent vivre selon cette variante de l’Islam. Daech a un véritable État et une structure administrative à défendre.

Ses croyances théologiques sont peut-être rigides mais sa stratégie militaire est fluide et change rapidement pour faire face aux défis externes. Malgré ses récentes défaites, le califat est encore bien loin d’être vaincu.

* Patrick Cockburn est l’auteur de Muqtada : Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq

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4 janvier 2016 - CounterPunch - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.counterpunch.org/2016/01...
Traduction : JFG QuestionsCritiques


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