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Malgré les préjugés, les adoptions d’enfants conçus hors mariage sont en hausse dans Gaza

jeudi 24 mars 2016 - 06h:46

Asmaa al-Ghoul

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GAZA, Bande de Gaza - Les guerres ne sont pas les seules tragédies qui accablent la bande de Gaza. Il y a d’autres tragédies, comme partout, et notamment celle des enfants de parents inconnus.

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Avril 2009 - Jeunes orphelines dans le SOS Children’s Village de Rafah - Photo : AFP/Saïd Khatib}

Yara (un pseudonyme), 16 ans, est l’un des 18 enfants de parents inconnus qui ont grandi dans le Centre de charité Mabarra al-Rahma dans la ville de Gaza. Elle était très contente de montrer ses dessins à Al-Monitor et nous avons pris soin de ne pas aborder avec elle des sujets sensibles pour éviter de lui faire de peine.

Quand Yara s’est éloignée, Khouloud Ghanem, la responsable des dortoirs, a déclaré à Al-Monitor, « C’était une élève brillante, jusqu’à ce qu’un jour, un de ses camarades de classe lui demande à l’oreille si elle était un enfant illégitime. Normalement, personne à l’école, sauf le principal, ne connaît la vérité, mais des gens du voisinage savent que des enfants de parents inconnus vivent dans le centre. C’est comme ça que la nouvelle se répand ».

Khouloud Ghanem a expliqué que plus les enfants sont grands, plus ils posent de questions sur leurs parents et la raison pour laquelle ils vivent dans le centre. Par conséquent, on finit par être forcé de leur dire la vérité.

Selon Ghanem, la vie de Yara a été bouleversée par la révélation de son camarade de classe ; ses résultats scolaires s’en sont ressentis et elle a commencé à avoir des problèmes de concentration en classe.

Dans une salle proche du bureau de l’administration, Iyas, qui a 18-mois, dort dans son lit. On n’a pas réussi à lui trouver une famille d’adoption car il souffre d’une déficience visuelle causée par une atrophie cérébrale. Il passe la plupart de son temps à dormir et joue uniquement avec des hochets.

Hazem al-Enezi, le vice-président de Mabarra al-Rahma, a dit à Al-Monitor que ces enfants sont stigmatisés et traités comme des choses honteuses par la société. « Cette réputation injuste les poursuit jusque dans l’âge adulte ; elle constitue un obstacle majeur à leur intégration dans la société et les empêche d’avoir une carrière ou de trouver un compagnon, » a-t-il dit.

Il a ajouté : « Environ 173 nouveau-nés de parents inconnus ont été admis au centre depuis sa création en 1993. Ces enfants ont été conçus dans des relations sexuelles illégitimes et remis [au centre] par des autorités officielles comme la police. Parmi ces enfants, 152 ont été adoptés par des familles à Gaza et 18 sont restés au centre. Certains d’entre eux sont morts en arrivant au centre des suites du froid, de blessures ou d’attaques d’animaux errants subies dans la rue ».

Il y a un an, Ibrahim Attia, 37 ans, a voulu adopter Janet (un pseudonyme), un bébé de 18 mois. Il a dû faire face à de nombreux obstacles juridiques pour obtenir les documents officiels nécessaires pour que Janet porte son nom.

Lors d’une interview avec Al-Monitor à son domicile, au sud de la bande de Gaza, il a dit : « Je suis tombé amoureux d’elle dès que je l’ai vue ; de nombreux bébés étaient plus beaux qu’elle, mais je suis resté éveillé toute la nuit avec ma femme à penser à elle et à imaginer comment nous pourrions prendre soin d’elle. Il nous a fallu deux mois avant de pouvoir l’adopter et l’amener chez nous. »

Ibrahim a ajouté : « Je suis marié depuis 10 ans, et ma femme et moi ne pouvions pas avoir d’enfant. Ma femme était très triste, mais, en devenant un membre de notre famille, Janet a changé notre vie et a fait notre bonheur ».

Janet semble heureuse dans sa jolie robe rouge. Elle se déplace d’un fauteuil à l’autre dans le salon, et attrape tout ce qu’elle voit. Elle s’assied sur les genoux de sa mère, puis tout à coup se met à courir après le chat.

En juin 2012, le Conseil législatif palestinien (PLC) a approuvé la version amendée du projet de loi sur l’état civil en deuxième lecture. La loi permet à la famille d’adoption d’ajouter le mot « Mawla » (qui signifie sous la tutelle de) après le nom de l’enfant. Par exemple, le nom de Janet serait alors Janet Mawla Ibrahim Attia.

La raison en est que la charia interdit l’adoption. En conséquence, l’enfant adopté vivait dans sa famille d’adoption sans porter son nom. Avant cet amendement, les enfants adoptés avaient des noms de famille inventés, différents de ceux de leurs familles d’adoption, ce qui causait beaucoup de problèmes.

Al-Monitor a rencontré Umm Ahmad à son domicile dans la bande de Gaza. Elle a dit : « J’ai adopté ma fille Sanaa qui était à Mabarra al-Rahma, quand elle avait 10 mois. Elle a maintenant 10 ans et, jusqu’en 2012, elle avait encore un certificat de naissance avec un nom de famille inventé. Elle est très intelligente. Elle me demandait pourquoi le nom de son père [dans ses documents officiels] était différent de celui de son vrai père. Nous avons fini par porter l’affaire devant les tribunaux, et elle a pris le nom de mon mari ».

Sanaa (un pseudonyme) ne sait pas qu’elle est adoptée et « Mawla » apparaît dans son nom complet. « Maintenant Elle me demande pourquoi le nom de son père est précédé de ’Mawla’, contrairement aux noms de ses frères et sœurs » a ajouté Umm Ahmad.

Umm Ahmad a adopté Sanaa après 14 ans de lutte contre l’infertilité. Puis, un an et demi après l’adoption, elle est tombée enceinte de jumeaux. Mais elle ne fait pas de distinction entre ses trois filles et les aime pareillement.

Sanaa, dans son uniforme scolaire et un bandeau blanc dans les cheveux, a déclaré à Al-Monitor avec enthousiasme : « J’ai enfin une chambre à moi, séparée de mes sœurs. Nous nous battions toujours pour la télécommande et les chaînes que nous voulions regarder ».

En ce qui concerne le processus d’adoption, Enezi dit que les parents candidats à l’adoption doivent être mariés depuis plus de 10 ans, qu’ils doivent avoir de quoi vivre et être incapables de concevoir. Mabarra al-Rahma suit sur les enfants adoptés avec des visites régulières. « Il y a environ 700 demandes de couples qui veulent adopter des enfants. C’est beaucoup. La priorité est donnée aux familles qui remplissent les conditions et qui ont vraiment envie d’adopter un enfant. Ensuite, un comité spécialisé se réunit pour prendre la décision en coordination avec les instances gouvernementales », a-t-il expliqué.

Bien que la société soit conservatrice dans la bande de Gaza, il y a des enfants de parents inconnus. La psychologue Zahia al-Qura a dit Al-Monitor : « il y a des relations interdites dans toutes les sociétés et les enfants illégitimes en sont une conséquence naturelle. Cela n’a rien à voir avec la nature de la société à Gaza, mais cette question est un tabou qu’on ne peut pas aborder ouvertement ».

Selon elle, la jeune génération ne reçoit pas une bonne éducation sexuelle. Elle tient ses informations de ses pairs et de l’Internet. L’éducation sur des questions comme celle-ci devrait se faire en classe.

Umm Ahmad se fait du souci pour Sanaa et ses deux filles jumelles, non seulement à cause des conditions de vie et des menaces de guerre dans la bande de Gaza, mais aussi parce qu’elle sait que le jour viendra où elle devra dire à Sanaa qu’elle est adoptée. Elle ne sait pas comment ses jumelles vont réagir.

« La société est dure avec ces enfants et les considère comme une honte. Pourtant ma fille adoptive a été la joie et l’amour de ma vie. Après l’adoption de Sanaa, nous n’avons eu que du bonheur », a conclu Umm Ahmad.

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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