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Égypte : la seconde vie des syndicats indépendants

lundi 8 février 2016 - 16h:21

Giulio Regeni

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Ceci est le dernier reportage de Giulio Regeni, sur une réunion remplie d’hommes et de femmes, défenseurs de la liberté. Des initiatives spontanées et populaires brisent le mur de la peur qui a pris le pas sur l’espoir du printemps arabe.

Nous publions ici l’article écrit par Giulio Regeni et communiqué par courrier à la mi-janvier, sur les syndicats indépendants en Égypte. Sa requête était de le publier sous un pseudonyme comme cela a été le cas à plusieurs reprises dans le passé. Après sa disparition, par souci de prudence et dans l’expectative, nous l’avions gardé de côté dans l’espoir d’une issue positive. Après l’assassinat barbare au Caire du chercheur originaire du Frioul, nous avons décidé de mettre à disposition des lecteurs ce témoignage, et d’y apposer le vrai nom de l’auteur, maintenant que notre prudence a été tragiquement dépassée par les événements.

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Manifestation en Égypte - Photo : LaPresse

Al-Sisi a imposé le contrôle du parlement avec le plus grand nombre de policiers et militaires de l’histoire du pays tandis que l’Égypte est à la traîne dans tous les classements à l’échelle mondiale pour le respect de la liberté de la presse. Pourtant, les syndicats indépendants ne renoncent pas. Une réunion animée vient d’avoir lieu à l’initiative du Centre pour les travailleurs et les syndicats (Ctuws), un des points de repère du syndicalisme indépendant égyptien.

Bien que la plus grande salle du Centre dispose d’une bonne centaine de places, la réunion ne pouvait accueillir le grand nombre de militants syndicaux venus de toute l’Égypte pour une assemblée au caractère extraordinaire dans le contexte actuel.

L’occasion en a été une circulaire du Conseil des ministres qui recommande une coopération étroite entre le gouvernement et le syndicat officiel Etuf (seul autorisé jusqu’en 2008), avec l’objectif explicite de contrer le rôle des syndicats indépendants et de les marginaliser parmi les travailleurs.

Même si aujourd’hui le Ctuws n’est pas représentatif de la constellation complexe du syndicalisme indépendant égyptien, son appel a été, peut-être de façon inattendue, repris par un très grand nombre de syndicats.

En fin de compte, ce seront près de cinquante acronymes qui signeront la déclaration de clôture, représentant les différents secteurs de l’économie et toutes les régions du pays : du transport à l’école, de l’agriculture au secteur informel si vaste, du Sinaï à la Haute Égypte en passant par le Delta, Alexandrie et au Caire.

La circulaire du gouvernement constitue une nouvelle attaque contre les droits et les libertés syndicales des travailleurs, fortement restreints après le coup militaire du 3 juillet 2013, et elle a donc servi de catalyseur à un mécontentement généralisé parmi les travailleurs, même si celui-ci a eu du mal jusqu’à aujourd’hui à se transformer en initiatives concrètes.

Mouvement en crise

Après la révolution de 2011, l’Égypte a connu une expansion surprenante de l’espace de liberté politique. Elle a assisté à l’émergence de centaines de nouveaux syndicats, un véritable mouvement dont le Ctuws était l’un des protagonistes, à travers ses activités de soutien et ses formations.

Cependant, au cours des deux dernières années, la répression et la cooptation par le régime militaire ont sérieusement affaibli ces initiatives, de sorte que les deux grandes fédérations (la Edlc et Efitu) n’ont pas tenu leur assemblée générale depuis 2013.

De fait, tous les syndicats agissent maintenant au niveau local ou de leur secteur. Cependant, la nécessité d’unir et de coordonner leurs efforts est profondément ressentie, ce dont témoigne la grande participation à la réunion, en plus des nombreuses interventions qui ont pointé du doigt la fragmentation du mouvement et appelé à la nécessité d’agir ensemble, au-delà des courants et des appartenances.

Les interventions se sont suivies par dizaines, concises, souvent passionnées et avec une approche très pratique : il s’agissait de proposer et de décider ensemble de « quoi faire dès demain matin, » un appel répété comme un leitmotiv lors de la réunion, étant donné l’urgence du moment et la nécessité de définir un plan d’action à court et moyen terme.

A noter la présence d’une grande minorité de femmes, dont les prises de parole ont été parfois parmi les plus appréciées et applaudies par le public à prédominance masculine. La grande assemblée s’est conclue par une décision de former un comité aussi représentatif que possible, qui se chargera de jeter les bases d’une campagne nationale sur les questions du travail et de la liberté syndicale.

Conférences régionales

L’idée est d’organiser une série de conférences régionales qui conduiront en quelques mois à une grande assemblée nationale et, éventuellement, à une manifestation unitaire ( « à Tahrir ! » ont dit certains de ceux qui étaient présents, faisant référence à la place qui avait été le théâtre de la période révolutionnaire de 2011 à 2013 et qui depuis plus de deux ans, est interdite à toute forme de protestation).

L’ordre du jour semblait très large, et comprenait un objectif sous-jacent de contrer la loi 18 de 2015 qui a récemment pris pour cible les travailleurs du secteur public et a été fortement contestée dans les derniers mois.

Mais ces derniers jours, dans différentes régions du pays, de Assiut à Suez jusqu’au delta, les travailleurs de l’industrie textile, du ciment, de la construction, se sont mis en grève. La plupart du temps leurs revendications concernent l’extension à leur secteur des droits des salaires et indemnités applicables dans les entreprises publiques.

Nouvelle vague de grèves

Ce sont des avantages dont ces travailleurs ont cessé de profiter à la suite de la vague massive de privatisations de la dernière période de l’ère Moubarak.

Beaucoup de ces privatisations après la révolution de 2011 ont fait l’objet de recours devant les tribunaux, lesquels en ont souvent déclaré la nullité, notant plusieurs cas d’irrégularités et de corruption.

Ces grèves sont pour la plupart sans rapport les unes avec les autres, et en grande partie déconnectées du monde du syndicalisme indépendant qui s’est rencontré au Caire.

Mais elles représentent un fait très important, pour au moins deux raisons. D’une part, quoique d’une manière pas tout à fait explicite, elles contestent le cœur de la transformation néolibérale du pays qui a subi une accélération importante à partir de 2004 et que les soulèvements populaires qui ont éclaté en janvier 2011 avec le slogan « Pain, Liberté, Justice sociale) » n’ont pas sensiblement réussi à remettre en cause.

L’autre aspect est que, dans le contexte d’un régime autoritaire et répressif comme celui du général al-Sisi, le simple fait qu’il existe des initiatives populaires et spontanées qui brisent le mur de la peur est lui-même un coup de pouce majeur pour le changement.

Défier l’état d’urgence et les appels à la stabilité et à la paix sociale jutsifiées par la « guerre contre le terrorisme », cela revient aujourd’hui à s’attaquer, fût-ce indirectement, au fondement de la rhétorique du régime, laquelle justifie son existence même et la répression de la société civile.

Lire également :

- Giulio Regeni, étudiant italien, a-t-il été torturé à mort par la police égyptienne ? - 5 février 2016

5 février 2016 - Il Manifesto - Vous pouvez consulter cet article à :
http://ilmanifesto.info/in-egitto-l...
Traduction de l’italien : Info-Palestine.eu


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