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La Palestine après Abbas : quels enjeux ?

lundi 11 janvier 2016 - 07h:34

Ramzy Baroud

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Bien que destiné à galvaniser ses partisans du parti Fatah, le discours télévisé de Mahmoud Abbas à l’occasion du 51ème anniversaire de la création du groupe a au contraire mis en lumière la crise sans précédent qui continue de ravager le peuple palestinien.

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Abbas, prestataire de services pour l’occupant israélien... entouré de son équipe lors de la prière de Eid al-Fitr le 17 juillet 2015 à Ramallah - Photo : AFP/Abbas Momani

Non seulement Abbas a semblé sur la défensive et n’a exprimé aucune initiative sérieuse et neuve, mais son intention ultime est apparue comme étant strictement sa survie politique, et rien d’autre.

Dans son discours du 31 décembre, il a recyclé quelques vieux clichés, lancé quelques critiques à Israël mais avec des mots soigneusement choisis, et insisté pour que toute décision vitale concernant « l’avenir de la terre, de la population et des droits nationaux » soit « soumise à des élections générales et [votée] par le Conseil national palestinien (CNP), parce que notre peuple a fait de lourds sacrifices et qu’il est la source de toutes autorités. »

On peut ironiquement constater qu’Abbas préside l’Autorité palestinienne (AP) par un mandat qui a expiré en janvier 2009, et son parti, le Fatah, qui a refusé d’accepter les résultats des élections démocratiques dans les territoires occupés en 2006, continue de se comporter comme « le parti au pouvoir » sans mandat, en dehors de la validation politique qu’il reçoit d’Israël, des États-Unis et de leurs alliés.

Quant au CNP, il a servi d’organe législatif de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) jusqu’à ce que l’AP soit créée en 1994. Subventionnée par des fonds internationaux, l’AP a initialement été créée comme le moyen d’une fin, celle de négociations sur le « statut final » et un État palestinien. Au lieu de cela, elle est devenue en statu quo en elle-même, et ses institutions, qui reflètent en grande partie les intérêts politiques d’une branche spécifique au sein du Fatah, ont remplacé l’OLP, le CNP, ainsi que toutes les autres institutions qui exprimaient démocratie et ouverture.

La structure de l’OLP qui est restée symboliquement en place après le coup d’État en douceur de l’AP est maintenant juste un tampon qui ne reflète pas uniquement les souhaits d’un seul parti, le Fatah (qui a perdu la majorité en 2006), mais d’un groupe élitiste et riche au sein du parti autrefois leader. En quelque sorte, le rôle actuel d’Abbas est essentiellement de servir l’intérêt de ce groupe, au lieu de tracer la voie de la libération pour la collectivité palestinienne toute entière, dans le pays, dans les camps de réfugiés et dans la diaspora.

Abbas n’a rien dit sur sa véritable mission à la tête de l’AP dans son discours du 31 décembre, où il a totalement exclu le démantèlement de l’AP - maintenant qu’il a échoué dans sa mission, et alors qu’une structure politique OLP élaborée existe déjà, qui est capable de la remplacer. Bizarrement, Abbas a décrit l’AP comme l’une des plus grandes réalisations du peuple palestinien.

Je dis « bizarrement » parce que l’AP fut le résultat du « processus de paix » d’Oslo désormais pratiquement défunt, qui fut négocié par Abbas et quelques autres, en secret, avec Israël, à la demande de feu le chef du Fatah palestinien, Yasser Arafat. Toute l’initiative fut fondée sur le secret et la supercherie et fut signée sans tenir compte du peuple palestinien. Pire encore, lorsque les Palestiniens ont essayé de contester le statu quo d’Oslo par le vote, le Fatah a refusé le résultat des élections, ce qui a provoqué une guerre civile en 2007 au cours de laquelle des centaines de Palestiniens ont été tués.

Mais hormis les erreurs historiques d’Abbas, qui a maintenant 80 ans, ses paroles - bien que destinées à ses partisans - sont en fait un rappel brutal que le peuple palestinien, qui vit depuis octobre un soulèvement violent, est pratiquement sans dirigeant.

Alors qu’Abbas explique que les raisons de la « habba » ou « soulèvement » - en référence à l’Intifada en cours - sont les violations ininterrompues d’Israël et la colonisation illégale ; il n’a pas donné son aval à l’insurrection en cours, pas plus qu’il ne se comporte en chef de cette mobilisation nationale. Il essaie constamment de ménager la chèvre et le chou, de manière à ne provoquer ni la colère de son peuple, ni celle d’Israël.

Comme un homme politique rusé, il tente également de récolter de multiples avantages en se rangeant certaines fois du côté de son peuple comme un leader révolutionnaire, pour rappeler à Israël et aux États-Unis son importance comme celui qui représente la tendance non violente de la politique palestinienne, et de surfer sur la vague de l’Intifada jusqu’au rétablissement de l’ordre ancien.

En fait, les signes de cet ordre ancien - les négociations interminables - sont encore visibles. Le négociateur en chef de l’AP, Saeb Erekat, a récemment annoncé que les pourparlers entre l’AP et Israël sont toujours en cours, un présage terrible au moment où les Palestiniens ont un besoin désespéré de révision complète de leur approche politique et de libération nationale ratées.

Le problème dépasse cependant Mahmoud Abbas. Réduire l’échec palestinien à une seule personne est profondément enraciné dans la plupart des analyses politiques relatives à la Palestine depuis de nombreuses années (c’est plus prononcé dans les médias occidentaux que dans les médias arabes). Hélas, une fois qu’Abbas âgé ne sera plus sur le scène politique, il est probable que le problème persiste, s’il n’est pas réglé.

Alors que le Fatah a apporté des contributions notables à la résistance palestinienne, sa plus grande contribution fut de libérer la cause palestinienne, autant que faire se peut, des limites et de la manipulation des politiques arabes. Grâce à cette génération de jeunes dirigeants palestiniens, qui incluait également des dirigeants du FPLP et d’autres groupes socialistes, il y eut, pour la première fois, un programme palestinien relativement unifié qui a représenté un niveau de priorités et objectifs palestiniens.

Mais cette unité relative a éclaté entre les factions palestiniennes : au sein de l’OLP elle-même, et puis en dehors de l’OLP, où les groupes et sous-groupes ont évolué dans diverses directions idéologiques et dont beaucoup ont été financés par des régimes arabes qui se sont servis de la lutte palestinienne au profit de leurs agendas nationaux et régionaux. Un épisode long et tragique d’effondrement national s’en est suivi. Lorsque la résistance palestinienne a été exilée du Liban en 1982 après l’invasion israélienne de ce pays, l’OLP et l’ensemble de ses institutions ont été surtout dominées par un seul parti.

Le Fatah a alors été gagné par les ans et la corruption, opérant au sein de sphères géographiques qui étaient loin de la Palestine. Il a dominé l’OLP qui s’est alors transformée en un organe embourbé dans le tribalisme politique et la corruption financière.

Certes, Abbas est une personnalité essentielle dans ce triste épisode qui a conduit au fiasco d’Oslo en 1993 ; cependant, la culture politique naissante qu’il a épousée en partie continuera de fonctionner indépendamment des aspirations du peuple palestinien, avec ou sans Abbas.

C’est à cette classe qui est alimentée par l’argent et les avantages des États-Unis et de l’Occident et volontiers tolérée par Israël que les Palestiniens eux-mêmes doivent faire face, s’ils veulent avoir une chance réelle de récupérer, une fois encore, leurs objectifs nationaux.

La croyance actuelle véhiculée par certains que l’Intifada d’aujourd’hui a supplanté l’AP est une absurdité totale. Aucune mobilisation populaire n’a de chance de réussir si elle est entravée par un groupe aussi puissant que celui investi dans l’AP, dont les membres sont unis par la satisfaction effrénée de leurs propres intérêts

De plus, attendre qu’Abbas prononce un message plus fort et plus convaincant est également une perte de temps, puisque le problème n’est pas le vocabulaire qu’il utilise, mais le refus de son groupe de céder un pouce de ses privilèges immérités pour faire la place à un environnement plus démocratique - de sorte que tous les Palestiniens, les laïcs, les islamiques et les socialistes prennent une part égale à la lutte pour la Palestine.

Un point de départ serait une direction unifiée dans les territoires occupés, qui gère l’Intifada au-delà des limites des factions, conjuguée à une perspective de refonte des institutions de l’OLP pour qu’elle devienne plus inclusive et pour rassembler tous les Palestiniens, partout.

Abbas va bientôt quitter la scène politique, à cause d’un coup d’État interne au Fatah ou à cause de son grand âge. De toute façon, l’avenir de la Palestine ne peut pas être laissé à ses disciples pour gérer comme ils l’entendent et protéger leurs propres intérêts. L’avenir de toute une nation est en jeu.

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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4 janvier 2015 - Ma’an News - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.maannews.com/Content.asp...
Traduction : ISM-France - MR


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